Et si Marilyn Monroe n’était pas morte à 36 ans ? Si elle avait vieilli ?

Je l’imagine… Écrire sur la vieillesse des actrices, c’est, inévitablement, se poser la question du cas Marilyn. Lorsque je réfléchissais au sujet, son image revenait comme une vague incontrôlable. Elle était là, tout le temps et, pourtant,...

Et si Marilyn Monroe n’était pas morte à 36 ans ? Si elle avait vieilli ?

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Je l’imagine…

Écrire sur la vieillesse des actrices, c’est, inévitablement, se poser la question du cas Marilyn. Lorsque je réfléchissais au sujet, son image revenait comme une vague incontrôlable. Elle était là, tout le temps et, pourtant, quelque chose m’empêchait de lui consacrer un chapitre. Cela aurait été insuffisant, restrictif : en matière d’écriture sur les actrices, Marilyn devait hanter le livre plutôt qu’être enfermée dans les limites d’un texte. Moins une actrice aux contours limités, qu’une présence qui poudroie, poussière d’étoiles qui s’étale sur chacune de vos pensées et de vos phrases lorsque vous rêvez aux actrices. C’est sur fond de Marilyn qu’on pense à toutes les autres.

J’avais peut-être voulu contourner la question, l’avais éludé ou remise à plus tard. Sans doute parce que je savais que des millions de gens se l’étaient posée, que cette question structurait largement le mythe Marilyn : comment aurait-elle vieilli ? Pour la pensée, cette question figure un précipice, dresse les contours d’un infigurable. Mais essayons.

Entre talk-show et rêves de cinéma

La 1ère image qui me vient, c’est que Marilyn vieille aurait fait beaucoup de plateaux télé et de talk-show. La télévision aurait été pour elle, comme pour beaucoup de célébrités, le lieu du ressouvenir. Sans fausse pudeur, mais avec beaucoup d’humour, elle répondrait aux questions indiscrètes sur JFK, Yves Montand, on passerait ses photos les plus sulfureuses et – en plein dans les années 1970 – le public applaudirait, sifflerait joyeusement. Sa biographie n’aurait plus été ce labyrinthe de drames, mais aurait été invoquée sur un mode comique et nostalgique. La voix éraillée, éclatant de rire, elle n’aurait gardé de sa jeunesse que sa manière de se redessiner un visage par-dessus le sien à force de fards, de rouges à lèvres et de crayons à sourcils. Le maquillage tenterait d’invoquer le fantôme de ce qu’elle a été. En fait, l’actrice quinquagénaire aurait singé Marilyn.

Sans doute aurait-elle pu jouer avec les cinéastes qu’elle estimait. Lorsqu’elle parvient à renégocier son contrat avec la Fox, l’actrice rédige la liste de ceux avec lesquels elle rêve de jouer : la lire aujourd’hui, c’est prendre la mesure de l’immense gâchis que fut sa carrière. Elle rêvait de tourner avec Hitchcock, Vincente Minnelli, John Ford, Mankiewicz, George Cukor, Vittorio De Sica ou encore David Lean. J’imagine certains de ces cinéastes s’autoriser à filmer Marilyn, mais seulement tardivement. L’actrice est un monde à part entière qui peut rivaliser avec le vôtre.

Beaucoup de cinéastes de cette liste n’auraient jamais pensé à elle. Hitchcock, par exemple, semble avoir construit la blonde hitchockienne, ce “feu sous la glace”, par opposition au sexe explicite, innocent et déculpabilisé, qu’incarne Marilyn. Une fois, seulement, son nom semble avoir été envisagé pour Vertigo… Seule fois qu’Hitchcock a filmé une actrice, Kim Novak, qui n’était pas de son goût et portait le sexe sur sa figure -, mais pour mieux la plonger dans la glace (et je n’imagine pas Marilyn parvenir à devenir une blonde glacée).

Une immense actrice de comédie

Sa vérité, de toute façon, se trouvait du côté de la comédie : seul genre à prendre la pleine mesure de son génie, à l’utiliser toute entière. Le drame m’a toujours semblé une prison dorée pour elle, un passage obligé, mais pénible pour celle qui rêvait d’être prise au sérieux et, encore aujourd’hui, je trouve toujours suspect qu’on tente de la faire passer pour une intellectuelle, comme si c’était la seule manière de prendre au sérieux une blonde.

Je l’imagine jouer chez Frank Tashlin, Stanley Donen, encore Hawks et Wilder (son ombre plane sur un film comme Kiss Me, Stupid). Peut-être, aussi, réussir à mettre sur pied le biopic sur Jean Harlow qu’elle ambitionnait depuis longtemps – c’est finalement Carroll Baker qui jouera dans Harlow, la blonde platine de Gordon Douglas. Un biopic qu’elle n’a pas eu le temps de jouer, certes, mais qu’elle a pleinement vécue – jusqu’à l’âge de sa mort, les deux actrices partagent des dizaines de points communs et de détails biographiques troublants.

Vers une joie secrète, enfin

Je l’imagine rapidement devenir un caméo, sa propre épigone aux côtés de Jayne Mansfield, et être encore géniale au cœur du mauvais cinéma des années 1960 parce que Marilyn Monroe ne se confond jamais avec la médiocrité de ses films – elle semble appartenir à un autre régime d’images, étrangère à toutes les fictions, ne représentant qu’elle-même. Tout au long de la décennie, sa vieillesse accompagnerait le crépuscule du système des studios.

Finalement, la sexualité n’aurait plus eu besoin de Marilyn Monroe : les années 1950 étaient son milieu naturel, pas les années 1960, où l’asexualité bourgeoise de Doris Day a fini par prendre la suite, refoulant toute l’énergie libidinale que Monroe faisait éclabousser à la surface des films. Au cours des années 1970, je l’imagine, telle une Mae West, échouer malicieusement à Las Vegas, là où les icônes rejouent et parodient leur génie. Elle aurait adopté une petite fille, écrit ses mémoires, accompagné des rétrospectives, eu beaucoup de chiens. Je pense surtout que la vieillesse aurait mis fin à ce qui fut sa malédiction : d’être cette insoutenable promesse de bonheur. Le déclin de son pouvoir érotique aurait été sa joie secrète. Vieille, Marilyn n’aurait plus rien promis aux autres. Dans le secret de sa vie intime, elle aurait tenu la seule promesse qui vaille pour une actrice : s’appartenir enfin. Marilyn, en somme, aurait cessé d’être Marilyn.