“Etre cheval” ou l’apprentissage BDSM filmé comme une performance poétique

“Je filme comme un fils, un frère […] je dors avec mes personnages.” C’est en ces termes que Jérôme Clément-Wilz, ancien bûcheron devenu assistant réalisateur puis cinéaste (Un baptême de feu, 2014 ; Quand tout le monde dort, 2018) se définit...

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“Je filme comme un fils, un frère […] je dors avec mes personnages.” C’est en ces termes que Jérôme Clément-Wilz, ancien bûcheron devenu assistant réalisateur puis cinéaste (Un baptême de feu, 2014 ; Quand tout le monde dort, 2018) se définit dans un court texte de présentation que l’on trouve sur son site internet.

C’est effectivement ce qui frappe devant Etre cheval, ce tutoiement, cette amitié entre lui, derrière la caméra, et Karen, de tous les plans, 50 ans, beau visage émacié, cheveux longs couleur rose. Après seulement une vingtaine de minutes, Karen, au téléphone avec sa fille, dit : “On finit le documentaire, Jérôme t’embrasse.”

On comprend alors que ce que nous voyons est déjà la fin d’un périple durant lequel Jérôme Clément-Wilz aura rencontré puis filmé Karen pour arriver à ce point final : cette virée en Amérique où cet ancien professeur va faire l’expérience du pony play, une pratique proche du BDSM qui consiste à “devenir cheval” à l’aide de postiches (crinière, harnais, combi en latex, et chaussures-sabots de près de cinq kilos chacune…) et à se soumettre au désir d’un·e dresseur·euse, ici un taxidermiste moustachu, redneck en puissance et pourtant petite star totalement assumée de ce jeu de domination sans sexe, en tout cas en ce qui les concerne. L’intelligence du film se trouve nichée dans ces faux paradoxes.

“Je suis rien du tout, je suis nulle part”

La beauté d’Etre cheval est à l’image de la personne filmée de bout en bout : il ne cherche jamais à fixer, à définir, à psychologiser ce qu’il regarde. “Je suis pas trans, je suis rien du tout, je suis nulle part…”, dit Karen, dont on sait simplement qu’il a été hétéro, marié et visiblement bagarreur comme le disent les cicatrices sur son dos.

>> A lire aussi : MeToo, dans le BDSM aussi

Le parti pris de mise en scène qui consiste à filmer le visage de Karen de près, les bouts de son corps, plutôt que la pratique dans son ensemble, de loin, dit les ambitions sincères d’un film qui balaye toute suspicion d’exotisme, de curiosité malsaine pour envisager l’expérience physique, celle éprouvante vécue par Karen, comme un état de transe, une performance artistique et poétique – le film débute par une séquence onirique en forêt, avant de nous embarquer à bord d’un avion où les passager·ères dorment profondément… belle annonce d’un film rêveur.

L’apprentissage de la faiblesse

Etre cheval négocie sans cesse avec le visible et l’invisible, avec le sens 1er et le sens caché des choses, chasse tout principe d’opposition pour préférer la complexité, l’ambiguïté. En devenant animal, objet du désir de son maître, Karen ne se soumet pas mais cherche une forme d’absolue liberté et dit faire “l’apprentissage de la faiblesse”. Une quête vers une dépossession de soi, d’abandon qui fait aussi d’Etre cheval un grand film politique.

Etre cheval de Jérôme Clément-Wilz (Fr., 2016, 1h03). Sur Henri le 26 mai