“Everything Was Beautiful” : Spiritualized (toujours) entre puissance et mélancolie

Quelque chose dans la voix de Jason Pierce, alias l’âme de Spiritualized, continue, avec les années, à bercer une étrange sensation : celle d’un état décati, comme sur le point de s’effondrer, mais qui se maintient là, aux limites. Est-ce cela...

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Quelque chose dans la voix de Jason Pierce, alias l’âme de Spiritualized, continue, avec les années, à bercer une étrange sensation : celle d’un état décati, comme sur le point de s’effondrer, mais qui se maintient là, aux limites. Est-ce cela qui fait qu’au bout de toutes ces années la musique de cet Anglais si singulier fascine toujours ? Sa fragilité instable, sa présence malgré tout ?

Il faut dire que, depuis le temps, Jason aurait pu avoir épuisé sa musique, et s’épuiser lui-même – plusieurs de ses disques ont été réalisés dans des états extrêmes : amoureux au cœur brisé (pour Ladies and Gentlemen We Are Floating in Space en 1997), malade (Sweet Heart Sweet Light en 2012), mourant (Songs in A&E en 2008)…

Les habitué·es s’y reconnaîtront

Cela étant, depuis les années 1980 et son 1er groupe Spacemen 3, Jason n’a eu de cesse de creuser un sillon dans lequel se rejoignent des influences très identifiées : les Stooges, le Velvet Underground, du gospel, de la soul, du jazz, free ou spirituel. Le tout dans un même creuset électrique.

“Mon obsession, toujours, c’est le rock’n’roll et la façon dont on continue à en faire, son ineptie, sa simplicité, sa stupidité même, ce vocabulaire si ténu : qu’est-ce que cela veut encore dire ?” C’est à peu près ce qu’il dit presque d’emblée lorsqu’on le rencontre à Paris, dans un hôtel plutôt discret du IXe arrondissement pour évoquer son nouvel album.

 

“Les accords de doo-wop dont je suis fou, me donnent à chaque fois des frissons”

 

Les habitué·es s’y reconnaîtront : les morceaux débutent avec douceur, montent progressivement, explosent, reviennent à quelque chose proche de la narcolepsie, mêlant puissance et mélancolie, tension romantique et élégies maladives. Dans l’esthétique de Spiritualized, tout est à sa place. “À mon âge, on fait les choses pour qu’elles soient justes, pour qu’elles correspondent à nos envies et pas forcément pour jouer éternellement les mêmes vieux morceaux que le public réclame.”

Ne pas voir le temps passer

Le secret, c’est de ne pas s’arrêter d’écrire, de chercher ? Au fait, il y a une recette ? “Un accord, peut-être trois, qu’il faut tenir et passer du temps à raffiner, faire briller différemment. Faire évoluer un seul accord vers quelque chose de plus en plus spécial. Étrangement, cela me fait penser à Bach : quand on écoute précisément sa musique, on se rend compte des limites de sa palette, mais ce qu’il en fait est vertigineux. Ma palette est encore plus limitée, elle se contente de peu de choses, mais ces limites, ces accords si simples, comme les accords de doo-wop dont je suis fou, me donnent à chaque fois des frissons. Dès que je m’en éloigne, ça ne marche plus.”

Lorsqu’on regarde Jason, on a du mal à se dire que le temps a passé : son air est le même, son visage conserve quelque chose de juvénile, et même ses baskets disent encore le teenager qu’il a été. “Hier soir, j’ai marché dans le quartier, vers Montmartre, dans ce même coin où Spacemen 3 avait joué, tard dans la nuit, pour la 1ère fois à Paris. Les choses n’ont pas tellement changé.” C’est exactement cela : pour ne pas voir le temps passer, il faut faire comme Jason, et raffiner sans cesse ce qui vous tient le plus. Un artisanat, céleste.

Everything Was Beautiful (Bella Union/PIAS). Sorti depuis le 25 février. Concert le 10 mars à Paris (La Gaîté Lyrique).