Face au Covid-19, le télétravail vu par ceux qui n'y ont pas accès
VIE DE BUREAU - Pour eux, rien n’a changé. Ils se rendent sur leur lieu de travail comme avant, malgré l’instauration, quasi-systématique, du télétravail en France.Depuis le début de la crise sanitaire, il y a plus d’un an, le monde du travail...
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VIE DE BUREAU - Pour eux, rien n’a changé. Ils se rendent sur leur lieu de travail comme avant, malgré l’instauration, quasi-systématique, du télétravail en France.
Depuis le début de la crise sanitaire, il y a plus d’un an, le monde du travail s’est scindé en deux groupes. Il y a ceux pour qui les missions professionnelles sont compatibles avec le travail à domicile et ceux qui ne peuvent exercer leur profession depuis chez eux.
Certains vivent le fait de continuer à aller au travail comme une chance, une échappatoire leur permettant de garder une hygiène de vie et un semblant de vie sociale. D’autres le perçoivent comme une grande inégalité. Les travailleurs “en présentiel”, ces oubliés du télétravail, jalousent, parfois, ceux qui restent chez eux, se sentent davantage exposés aux risques du Covid-19 et perçoivent cette situation comme une injustice.
Pour Agnès Bonnet-Suard, psychologue clinicienne et co-fondatrice du cabinet Therasens, situé près d’Aix-en-Provence, ces divers ressentis ne sont pas surprenants. “Si le télétravail apparaît comme une richesse, c’est parce qu’il y a une forte angoisse due au fait d’être exposé au virus. Les gens qui travaillent de chez eux apparaissent comme préservés, privilégiés. Les autres, sont en 1ère ligne et se sentent en danger”, analyse-t-elle.
Émilie, Louise, Hugo et Sara, tous travailleurs sur le terrain, nous expliquent leur vision du télétravail.
Télétravail ou présentiel, que choisir?
Émilie* a connu le chômage partiel, le télétravail puis le travail en présentiel en raison de la situation sanitaire. Celle qui est responsable des expéditions d’une petite entreprise de Gironde est passée par plusieurs phases.
Dans un 1er temps, lors de son retour sur son lieu de travail, elle était “ravie de retrouver ses collègues malgré les distanciations sociales et les mesures sanitaires strictes”. C’était, pour elle, un privilège de pouvoir voir des personnes autres que sa famille et quitter le cadre de la maison.
Un jour, cette situation est devenue lassante. “J’ai commencé à envier mon compagnon qui est en télétravail depuis le début. Il était à la maison, tranquille, au chaud. Il pouvait dormir davantage le matin, prendre le temps de boire un café ou de fumer une cigarette”, révèle Émilie au HuffPost. Et puis, la colère s’est installée. “J’étais en colère parce qu’il était à la maison et moi dehors. Je ne comprenais pas qu’il ne puisse pas lancer une machine, vider le lave-vaisselle, ou ranger. En rentrant, j’avais tout à faire alors que, lui, était à cinq mètres de tout, ça ne lui aurait pris que très peu de temps. Je ne comprenais pas”, se souvient-elle.
La psychologue clinicienne, Agnès Bonnet-Suard, explique cette colère par la banalisation et la méconnaissance des difficultés du télétravail. Selon elle, le travail à domicile se présente comme une forme d’illusion. “On peut penser que c’est quelque chose d’incroyable, un objet miraculeux dont on voudrait tous se saisir. Il y a, certes, une certaine souplesse dans le télétravail, mais on ne connaît pas tous ses revers”, analyse la spécialiste de la prévention des risques psychosociaux et de la qualité de vie au travail.
C’est après une longue discussion avec son compagnon qu’Émilie a compris sa détresse. “Il ne voyait personne, ne sortait plus, les seuls contacts étaient ses collègues par téléphone, moi et notre fils. Il s’était enfermé dans son travail, et était entré dans cette spirale, celle où, plus tu en fais maintenant, moins tu auras à faire demain”, avait-elle réalisé. Parfois, il finissait le travail à 23h. Il répondait à des mails, chose qui prend peu de temps, puis en recevait un autre, ainsi de suite”. “Il s’était pris à son propre jeu”, analyse Émilie, qui estime que “c’était devenu malsain”.
Depuis, la direction de son compagnon lui autorise à prendre quelques jours en présentiel par mois. De son côté, Émilie s’est rendu compte “que le télétravail, lorsqu’il n’est pas bien encadré, peut être destructeur”. Cette période difficile lui a fait réaliser le “privilège” qu’elle a de pouvoir se rendre au bureau chaque jour.
Le télétravail, le vouloir sans le pouvoir
Se rendre au travail ne va pourtant pas forcément de pair avec l’épanouissement social pour Louise*, qui rêverait d’être en télétravail. L’étudiante en cinquième année de pharmacie effectue des stages dans le milieu hospitalier depuis bientôt huit mois. Certains auraient pu être réalisés en télétravail, mais on lui a toujours refusé. “J’aurais beaucoup aimé faire du télétravail. Les stages sont pour moi l’occasion d’avoir une expérience professionnelle, mais pour certains, j’aurais pu en apprendre tout autant en étant chez moi”, révèle la jeune femme de 24 ans.
Elle ne s’en cache pas, elle “jalouse les personnes en télétravail”. Selon Louise, cette forme de travail est davantage confortable, permet de perdre moins de temps dans les transports, de mieux s’organiser et de limiter les risques de contamination. Ce n’est pas dans la sphère professionnelle que Louise trouve son épanouissement social, bien au contraire. “J’ai une vie suffisamment riche pour ne pas me sentir isolée en dehors du travail. J’espère avoir quelques jours de télétravail dans les prochaines semaines, car j’envie beaucoup les personnes en télétravail!”, affirme l’étudiante.
Du côté de Hugo*, stagiaire lui aussi, il n’y a pas de négociation possible. Il a d’ailleurs failli se faire renvoyer pour s’être mis en télétravail début avril. “L’intégralité de mes missions pouvant s’effectuer à distance, je me suis éclipsé un soir avec mon ordinateur professionnel afin de quitter mon lieu de travail. J’estimais être, après trois mois de stage, suffisamment formé pour travailler à distance”, explique le jeune homme.
Lorsque le directeur de cette agence de relations presse parisienne s’est aperçu de l’absence d’Hugo, il lui a indiqué qu’il mettrait fin à sa convention s’il n’était pas en mesure de rentrer. “J’ai dû faire marche arrière, reprendre un billet d’avion. J’ai ri quand les autres collaborateurs m’ont félicité d’avoir pu obtenir deux jours de télétravail, délai nécessaire pour attendre les résultats d’un nouveau test PCR”, s’amuse le stagiaire.
“Psychologiquement, physiquement, j’étais à bout”
La situation sanitaire creuserait-elle un fossé entre les employés de terrain, les employés de bureau, les employeurs? Ce questionnement rappelle à Agnès Bonnet-Suard un semblant de “lutte des classes” qui se révèle par des “inégalités socio-professionnelles” accentuées par la crise. Ces oppositions scinderaient le monde du travail en deux groupes, “les cols blancs et les cols bleus”.
Sara travaillait pour une grande enseigne de prêt-à-porter. Après avoir été au chômage partiel lors du 1er confinement, le retour au travail “a été pire que tout”. Elle s’en rappelle encore. “On a essuyé les insultes et les agressions des clients récalcitrants au port du masque, de ceux qui ne croient pas au Covid, ceux qui pensent que Dieu va les protéger” se souvient-elle. Tous les employés du magasin ont dû effectuer “un travail de prévention et de médiation” pour lequel ils n’étaient pas formés.
“C’était un peu rageant d’être là, pendant que des familles se baladaient, masque sous le nez, sur nos lieux de travail. Comme si racheter un short au petit dernier devait relever de la promenade de santé... D’une manière générale, tout le monde était plus stressé, sur les nerfs, irrespectueux”, ajoute Sara.
“Les travailleurs de terrain sont l’objet des déversoirs de l’agressivité et de l’angoisse des autres”, admet la psychologue, Agnès Bonnet-Suard. Selon elle, l’agressivité est l’aboutissement de l’angoisse. Dans le climat anxiogène actuel, “on perd de vue le rôle particulier du personnel de terrain, beaucoup plus exposé”, contrairement au début de la crise sanitaire où il a été glorifié.
Il y a un mois, Sara a quitté son poste. Elle ne pouvait plus s’y rendre. “Psychologiquement, physiquement, j’étais à bout. Je pleurais tous les jours, j’avais mal au crâne du matin au soir, chaque son, chaque ‘bip’ émis par le lecteur de code-barres de ma caisse était insupportable. J’ai fait un abandon de poste. Je suis partie pour éviter d’exploser auprès de mon employeur, d’une collègue ou d’un client” révèle-t-elle au HuffPost.
“La majorité des personnes en télétravail depuis un an sont des cadres. Ça me fait doucement rire quand j’entends le gouvernement mettre en avant le télétravail comme si c’était applicable partout, comme si tous les employeurs pensaient très fort, de chez eux, à leurs employés restés sur le terrain”, ironise Sara. “Maintenant, c’est sans moi” poursuit-elle avant de conclure que “le positif dans tout ça, c’est que j’ai enfin le temps de dormir, de cuisiner, et de m’occuper du linge qui traîne depuis six mois. Un peu comme si j’étais en télétravail, mais sans salaire!”
*Les prénoms ont été modifiés.
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