Face au gel, quelles armes pour toujours avoir des fruits français sur nos étals à l'avenir?
AGRICULTURE - “Si l’on a des abricots français cet été, ce sera vraiment très peu...” Depuis le début du mois d’avril, l’agriculture française a été sinistrée par des gelées tardives. Des épisodes de froid pourtant habituels en cette saison,...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
AGRICULTURE - “Si l’on a des abricots français cet été, ce sera vraiment très peu...” Depuis le début du mois d’avril, l’agriculture française a été sinistrée par des gelées tardives. Des épisodes de froid pourtant habituels en cette saison, mais qui sont dramatiquement accentués en 2021 par le redoux observé en mars, qui a fait sortir les plantes de leur torpeur hivernale.
Une conséquence directe du réchauffement climatique, comme l’a expliqué Météo France, caractérisée par l’hiver le plus doux observé dans l’hexagone au cours des 120 dernières années.
À la suite de mois de février et mars durant lesquels de nombreux records de chaleur ont été battus, les vignes et arbres fruitiers, mais aussi les betteraves, le colza et certaines céréales ont quitté l’état de dormance qui leur permet d’affronter les températures glaciales de l’hiver avant d’être exposés à la vague de froid de ce mois d’avril.
“Le coup de gel n’est pas plus tardif que celui de 1991 (année des dernières gelées aussi dévastatrices connues par la France, ndlr), mais il a touché des plantes déjà très développées”, explique au HuffPost Iñaki Garcia de Cortazar-Atauri, chercheur à l’unité Agroclim de l’Inrae à Avignon, qui travaille comme son nom l’indique sur l’impact du climat sur l’agriculture.
80 à 100% des fruits à noyau frappés par la vague de froid
“Les bourgeons qui avaient démarré et qui ont été victimes des gelées étaient les bourgeons productifs, les seuls qui auraient dû donner des fruits”, continue le scientifique. Ce qui signifie que si les plantes repartent, les nouveaux bourgeons dits de secours ne serviront plus qu’à assurer la survie des arbres, mais aucunement à donner des fruits. De quoi augurer d’une saison blanche -ou presque- pour les fruits à noyau (abricots, pêches, prunes, cerises...), corrobore Jean-Jacques Kelner, professeur à SupAgro à Montpellier et spécialiste de l’évolution des plantes.
Ce que confirme encore Guillaume Charrier, qui travaille sur la physiologie des arbres fruitiers à l’Inrae, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. Grâce à plusieurs vergers installés dans différentes régions françaises (en Auvergne, dans le Lot-et-Garonne, dans la vallée du Rhône...), son institution a ainsi pu constater l’ampleur du phénomène pour les agriculteurs français.
D’Angers à Toulenne en passant par Montpellier et Clermont-Ferrand, ce sont à chaque fois entre 80 et 100% des arbres fruitiers qui ont été violemment frappés par les gelées. Et qui ne donneront rien ou presque comme fruits à noyau cette année. Car pour chaque bourgeon détruit, c’est un fruit qui n’arrivera pas à maturité, insiste Guillaume Charrier. “Après ça dépend des endroits, de facteurs microclimatiques locaux... Certains vont pouvoir repartir et ceux qui ont survécu auront un peu plus de place pour recevoir de la lumière et faire des fruits de qualité”, nuance le chercheur, “mais les dégâts sont immenses”. Et de donner l’exemple des abricots, pour lesquels il ne voit pas plus de 5 à 10% de la production habituelle être sauvée cette année.
Pour pallier les dommages colossaux ainsi causés aux cultures, le Premier ministre Jean Castex a annoncé samedi 17 avril au cours d’une visite dans l’Hérault qu’un milliard d’euros serait mobilisé, au total, pour aider les cultivateurs de fruits du pays. S’y ajouteront d’autres dispositifs tels que le recours au chômage partiel, l’exonération et le report de certaines charges... Des éléments détaillés ce lundi auprès des représentants de l’agriculture française à l’occasion d’une 1ère réunion de crise au ministère dirigé par Julien Denormandie.
Des outils durant les vagues de froid
Mais au-delà de cette seule année 2021, et alors que la tendance du réchauffement climatique semble être durablement installée (ce qui implique de plus en plus de printemps précoces et donc un gel dévastateur en avril), comment les agriculteurs peuvent-ils éviter de revivre une telle situation à chaque nouvel épisode de gelées?
En amont du gel, les agriculteurs peuvent tenter d’irriguer leurs parcelles lorsque les températures sont douces, voire chaudes. “Avec l’évaporation”, décrit Guillaume Charrier, de l’Inrae, “l’eau emporte avec elle un peu de chaleur”, ce qui permet de ralentir la croissance des bourgeons et donc de les rendre moins vulnérables aux gelées tardives.
Puis lorsque les périodes de gel interviennent, les cultivateurs ont plusieurs armes à disposition. “Pour les fruits à noyau, il y a le brassage d’air”, continue le chercheur. L’objectif est de mélanger l’air froid, qui se trouve le plus près du sol et donc au niveau des cultures, et l’air chaud, qui lui se trouve en hauteur. Pour ce faire, il est possible d’employer des éoliennes, ou plus coûteux, des hélicoptères, ce qui a notamment été le cas ces dernières semaines dans des vignobles. Une autre stratégie, moins intuitive si l’on connaît mal ses principes physiques, consiste à arroser les bourgeons au moment du gel. “On se sert de la propriété de formation de la glace”, explique Guillaume Charrier: “au moment où l’eau se solidifie, cela produit de la chaleur puisque l’eau passe à 0°C en gelant (même si elle était bien plus froide auparavant, ndlr), ce qui peut protéger le bourgeon dans une coque de glace.”
Sur de petites superficies, et spécifiquement pour la vigne, Iñaki Garcia de Cortazar-Atauri ajoute que les vignerons peuvent tailler les plantes de façon tardive. Cela envoie le signal au végétal qu’il n’est pas encore l’heure de sortir de sa dormance, et cela permet à l’agriculteur de gagner dix à quinze jours, dans le meilleur des cas. Une solution qui reste toutefois extrêmement chronophage et complexe à mettre en œuvre. “Ce n’est pas une solution miracle, mais c’est une alternative pour certaines parcelles particulièrement exposées au gel.”
Car tous ces moyens sont avant tout des palliatifs qui peuvent être employés occasionnellement et qui n’empêcheront pas des gelées aussi violentes que celles de cette année de dévaster les cultures. Dans l’idéal, “il faudrait mettre son verger sous une serre ou dans un frigo, et ça, ce n’est pas possible”, préfère sourire Jean-Jacques Kelner, le professeur à SupAgro.
Empêcher la glace de se former
De nouvelles recherches ont donc lieu pour intervenir encore plus efficacement au moment des gelées, comme nous l’explique à nouveau Guillaume Charrier, qui détaille en préambule la manière dont la gelée endommage la plante.
“Pour se former, la glace a besoin d’un 1er cristal, d’un 1er noyau sur lequel se fixer et se propager”, décrit-il. “Ensuite, elle va occasionner des dommages mécaniques dans les cellules de la plante, parce qu’elle occupe plus de place que l’eau liquide, et déshydrater les cellules en attirant toutes les molécules d’eau vers elle. De là, tout ce qu’il y a de fonctionnel dans la plante va dépérir.” Une réaction en chaîne particulièrement dommageable pour les fleurs et les bourgeons qui sont, au printemps, en pleine élongation, c’est-à-dire en train de se gorger d’eau pour entamer leur processus de reproduction (et donner les fruits chers aux agriculteurs).
En clair, il faut un déclencheur pour que la glace se forme, et il prend bien souvent la forme de bactéries glaçogènes, de minuscules éléments en forme de cristaux qui vont justement permettre à la glace de commencer à s’agréger. C’est la raison pour laquelle l’Inrae mène actuellement un projet avec des chercheurs grecs, poursuit Guillaume Charrier, “qui vise à prédire les dommages du gel à partir de mesures de la concentration en noyaux glaçogènes sur la parcelle”.
L’idée est d’évaluer le plus précisément possible les conditions environnementales, parmi lesquelles la présence ou non des bactéries. “On voudrait pouvoir dire aux agriculteurs qu’il faut qu’ils traitent contre ces bactéries pour prévenir la formation de glace et les dommages sur la parcelle”. Dans cette lignée, l’équipe travaille également sur des traitements respectueux de l’environnement qui pourraient être appliqués dans les vergers contre les bactéries glaçogènes. “Le contexte va peut-être nous aider à avancer sur ce projet”, espère le chercheur.
La sélection des variétés et leur implantation
Mais au vu du contexte de réchauffement climatique, et en attendant ces avancées techniques et scientifiques, la filière agricole et en particulier les arboriculteurs doivent opter pour des mesures efficaces immédiatement. Car la recherche “ne découvre pas la problématique” des gelées tardives faisant suite à des printemps précoces, insiste Guillaume Charrier.
Et l’arme la plus efficace, expliquent à l’unisson nos interlocuteurs, c’est la sélection des variétés, c’est-à-dire de planter les arbres les mieux préparés à vivre avec le climat dans lequel ils doivent produire. “On essaie de choisir des variétés adaptées à ces périodes de froid, des plantes qui fleurissent plus tardivement pour échapper aux gelées”, résume Iñaki Garcia de Cortazar-Atauri.
“Il y a un équilibre à trouver entre le fait de démarrer tôt, d’être compétitif en prenant la lumière avant les autres, mais d’être du coup vulnérable aux gelées tardives, et de démarrer plus tard au risque de faire face à des sécheresses estivales”, complète Guillaume Charrier. Celui qui a notamment produit une thèse sur le noyer donne l’exemple éloquent d’arbres californiens de cette espèce qui sortent très tôt de leur dormance, mais qui ne sont aucunement préparés à faire face à des gelées qui n’existent pas outre-Atlantique et qui ont pour cette raison complètement été abandonnés en France.
12h30!de gel à #Salins#Cantal pour finir à -6.2°C et voilà le résultat.
— Garcelon Laurent (@l_garcelon) April 7, 2021
Avant/après
Ces images sont ce matin monnaie courante dans tout le département et même au delà sur la région #Auvergne et le haut #Limousinpic.twitter.com/SHNAIhwaX6
Or à l’échelle du temps humain, “rien ne viendra véritablement des plantes elles-mêmes”, assure Jean-Jacques Kelner. Il ne faut donc pas attendre des arbres qu’ils développent, en quelques années, une résistance aux gelées tardives. Les chercheurs peuvent essayer de mettre au point, en croisant les espèces, des plantes parfaitement adaptées aux conditions climatiques locales. “Les généticiens travaillent sur de nouvelles variétés, en cherchant des caractères génétiques appropriés. Pour le problème des gelées tardives, on joue sur la date de floraison par exemple.”
Pour ce faire, les scientifiques créent des graines à partir d’un parent mâle et d’un parent femelle, en font pousser des plantes, attendent qu’elles arrivent à maturité et qu’elles puissent produire. Un processus qui peut prendre plus d’une dizaine d’années pour certaines espèces de citrus, précise le professeur à SupAgro. Un délai qu’il est indispensable de respecter, aussi long soit-il, dit Guillaume Charrier. “L’arboriculteur qui plante, c’est pour 20, 30 ans. Si l’on se rend compte que ça ne va pas du tout au bout de deux ou trois, c’est dramatique...” C’est pourquoi, en attendant que des variétés adaptées aux contraintes françaises voient le jour (la recherche est déjà lancée, nous explique-t-on), les agriculteurs peuvent se tourner vers les variétés qui existent déjà.
En attendant, “le seul autre moyen de s’adapter à la récurrence du phénomène des gelées tardives, c’est de migrer les cultures plus au nord pour que les arbres se réveillent un peu plus tard”, affirme Jean-Jacques Kelner. “On en cause déjà depuis un petit moment: il y a des vignes de plus plus au nord, des cultures fruitières aussi...” Grâce à une installation des cultures dans des climats un peu plus froids, il est possible de gagner quelques semaines avant le réveil des arbres et éviter qu’ils soient pris au dépourvu par les gelées tardives alors qu’ils sont en plein bourgeonnement. “Mais l’adaptation n’est pas absolument certaine, et il faudra encore voir sur la durée les effets du changement climatique sur les gelées tardives”, nuance finalement le chercheur.
Et de rassurer les agriculteurs pour finir: cette idée de déplacer les cultures ne porte pour l’heure que sur quelques dizaines de kilomètres, pas sur un changement radical de la production française. “On n’en est pas encore à produire des dattiers et l’Allemagne des pêches. On a une gamme variétale qui permet de faire à peu près tout.” Il n’en reste pas moins qu’à cause du changement climatique, l’agriculture française est constamment forcée de se réinventer. Et ce de plus en plus rapidement. Cette année, un nouvel épisode de gel pourrait encore intervenir d’ici la fin du mois, à l’occasion de la lune rousse.
À voir également sur le HuffPost: Les viticulteurs se démènent pour empêcher leurs vignes de geler et c’est stupéfiant