Face au risque d'épuration, la France doit protéger ses loyalistes afghans
Si la France a annoncé, le 12 août 2021, avoir suspendu les expulsions de migrants vers l’Afghanistan depuis le mois de juillet “au regard de la dégradation de la situation sécuritaire”, une telle annonce ne résout pas la situation inquiétante...
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Si la France a annoncé, le 12 août 2021, avoir suspendu les expulsions de migrants vers l’Afghanistan depuis le mois de juillet “au regard de la dégradation de la situation sécuritaire”, une telle annonce ne résout pas la situation inquiétante des auxiliaires afghans de l’armée et de l’administration (ambassade…) françaises qui réclament leur expatriation afin d’échapper aux probables mesures de représailles. Le retrait occidental, et en particulier américain, accélère en effet la progression tant redoutée des Talibans et, avec elle, le risque d’ ”épuration” à l’encontre des Afghans ayant travaillé sur place pour la France (personnels utilisés pour la logistique générale de nos sites, militaires et fonctionnaires afghans…). En juin 2021, Le Figaro faisait état d’un nouvel assassinat d’un ancien auxiliaire de l’armée par les Talibans, Abdul Basir, marié et père de 5 enfants, qui avait demandé un rapatriement… par trois fois.
Il est singulier de constater l’absence d’appréciation de ce risque envers ceux mêmes qui ont aidé localement “l’ensemble de la communauté française” dans ses missions.
La situation du sort de nos anciens auxiliaires s’est aggravée au rythme du désengagement militaire en Afghanistan. Le 8 juillet 2021, Joe Biden a annoncé que le retrait des troupes d’Afghanistan serait “achevé le 31 août”. Bagram, plus grande base d’Afghanistan, a été évacuée par ses derniers éléments américains dans la nuit du 4 au 5 juillet 2021. Ils ont laissé derrière eux une base aérienne à forte capacité, des centaines de véhicules, des tonnes de matériel logistique, un hôpital et surtout, une prison avec ses 5000 prisonniers, pour la plupart talibans, encore enfermés sous la garde précaire des soldats afghans. Le 31 décembre 2014, le dernier contingent de l’armée française en Afghanistan avait officiellement mis fin à sa mission, après treize ans de présence sur le territoire. Ces retraits successifs exacerbent les craintes quant au sort des auxiliaires qui, eux, demeurent sur place face à l’arrivée des djihadistes, contre lesquels ils ont soutenu le combat des armées occidentales intervenant dans le cadre de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS-ISAF), sous le contrôle des Nations unies.
Ainsi, la récente prise par les Talibans de la base de Kunduz (base afghane utilisée par les Allemands pendant près de 20 ans) a provoqué une vive émotion chez les vétérans allemands, qui implorent leur gouvernement de tenter d‘aider les Afghans locaux qui les ont assistés durant leur présence.
En France, l’Association des anciens auxiliaires afghans de l’armée française a alerté à plusieurs reprises sur le sort de nos alliés locaux, assimilable à un simple abandon sans aucune pitié. Cette situation n’est pas sans rappeler celle, particulièrement cruelle, qui fut subie par les loyalistes autochtones, civils ou militaires, abandonnés sur place face aux insurgés par la France à la fin des guerres d’Indochine et d’Algérie.
En ce qui concerne les “Harkis”, le Conseil d’Etat avait jugé que “le préjudice lié à l’absence de rapatriement n’était pas détachable des relations entre la France et l’Algérie et que, de la sorte, la juridiction administrative n’était pas compétente pour en connaître”. Une telle décision était-elle digne d’un pays comme le nôtre?
Plus positivement, en 2018, un ancien auxiliaire de l’armée française, engagé comme personnel civil de recrutement local (PCRL), fut dans l’obligation de fuir son village en Afghanistan après y avoir été blessé par balles, puis lors d’un attentat. Saisi de ce dossier, le Conseil d’Etat avait jugé que, “sa demande de protection fonctionnelle (protection accordée par l’administration à la victime d’une infraction dans l’exercice de ses fonctions) étant restée sans réponse, la carence des autorités publiques françaises était de nature à l’exposer à un risque pour sa vie et à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.” Il avait donc notamment été enjoint à la ministre des armées de mettre en œuvre toute mesure de nature à assurer la mise en sécurité immédiate du requérant et de sa famille.
En 2019, le Conseil d’Etat avait par la suite jugé que la protection fonctionnelle pouvait conduire à la délivrance d’un titre de séjour.
Ces progrès apparents du droit de nos loyalistes ne sont cependant que de façade et dissimulent difficilement la disparité entre des situations individuelles, parfois plus faciles à gérer bien que de manière très inégale, et collectives comme ce qui se profile actuellement face à l’invasion massive des djihadistes. De nombreuses demandes de visa ont en effet été rejetées, bien souvent pour des motifs tenant à la supposée absence de preuves suffisantes pour caractériser les menaces… Faut-il donc attendre massacres et exactions pour que nos institutions réagissent, ou l’histoire ne serait-elle qu’un éternel recommencement après les épurations de nos loyalistes en Indochine et en Algérie?
Le 13 juillet 2021 pourtant, la France avait appelé tous ses ressortissants à quitter l’Afghanistan, “en raison de l’évolution de la situation sécuritaire dans le pays et compte tenu des perspectives à court terme” et affrété un vol pour “permettre le retour de l’ensemble de la communauté française”.
Il est tout à fait singulier de constater l’absence totale d’appréciation de ce risque envers ceux mêmes qui ont aidé localement “l’ensemble de la communauté française” à accomplir ses missions.
Abandonner ses loyalistes, civils et militaires, ne fera, outre le désastre humanitaire, que renforcer la victoire des djihadistes par la crainte qu’ils nous inspirent.
Ainsi, la France, après avoir fait montre d’une forme de proactivité en matière de lutte contre le terrorisme djihadiste, se préparerait à abandonner ses supplétifs face à ceux que la communauté occidentale ne parvient pas à éradiquer?
Cette problématique est plus généralement symptomatique des contradictions de la France et d’une grande partie de sa classe politique. Cette dernière, habituellement si prompte à rivaliser de propositions démagogiques en matière d’antiterrorisme, se montre relativement silencieuse pour aider nos loyalistes, qui payent aujourd’hui un lourd tribut, et le pire est très probablement à venir dans les prochaines semaines.
Fait curieusement à peine évoqué, les insurgés, qualifiés de “Talibans”, regroupent en fait plusieurs mouvances, dont celles issus de l’Etat Islamique, ennemi principal de la France et dont bon nombre de combattants ont fui la Syrie et l’Irak pour aller combattre en Afghanistan. L’exécutif et le législateur français, qui ne sont finalement presque plus qu’un seul et même pouvoir fusionné et si enclin à cultiver l’inflation des lois, notamment en matière de lutte antiterroriste, doit prendre conscience de la menace qui se profile. Abandonner ses loyalistes, civils et militaires, ne fera, outre le désastre humanitaire, que renforcer la victoire des djihadistes par la crainte qu’ils nous inspirent.
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