Fat White Family trace toujours sa route rock rageuse et orageuse
“L’histoire de Fat White Family est autant une comédie de haute volée, qu’une profonde tragédie. Comme la vie, en fait.” Ces mots sont ceux de Mark Lanegan, flanqués au dos de Ten Thousand Apologies: Fat White Family and the Miracle of Failure (2022),...
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“L’histoire de Fat White Family est autant une comédie de haute volée, qu’une profonde tragédie. Comme la vie, en fait.” Ces mots sont ceux de Mark Lanegan, flanqués au dos de Ten Thousand Apologies: Fat White Family and the Miracle of Failure (2022), le bouquin de Lias Saoudi et de la journaliste Adelle Stripe sur l’itinéraire chaotique de ce groupe né dans les décombres d’un Royaume-Uni plus UKIP que Cool Britannia. Dire que l’Américain, décédé en février 2022, en connaissait un rayon sur les misérables conditions de l’existence humaine est une banalité. On peut donc le croire sur parole.
Lias, cofondateur de la formation britannique avec son frangin Nathan et l’édenté Saul Adamczewski, a justement l’allure d’un héros tragicomique de bande dessinée. Il y a quelques semaines, on l’a retrouvé enrhumé dans les locaux du label Domino pour causer de Forgiveness Is Yours, le quatrième album de son band. Contre toute attente, il nous prépare un thé au citron et gingembre, avec le geste appliqué d’un junkie à la Burroughs.
Une entreprise de déstabilisation de l’ordre petit-bourgeois
“Tu es venu seul ? Où sont les autres ?”, se hasarde-t-on. Il se redresse : “C’est marrant que tu poses cette question, parce que le bassiste me demandait la même chose : qui sont vraiment les membres du groupe ? Peut-être que je vais finir comme Mark E. Smith, seul capitaine à bord de The Fall, et que je rebaptiserai le projet The Lias Saoudi Fat White Expérience.” Bonne idée. De toute façon, Fat White Family est un navire qui a toujours pris l’eau.
La dope, les outrances, la provocation. Saul, d’ailleurs, ne fait plus partie de l’équipage. À l’époque de Serfs Up! (2019), l’album précédent, c’était déjà presque le cas. “Avec son départ, c’est une certaine vision des choses qui part avec lui. S’il fallait l’écouter, on aurait sorti Metal Machine Music Part 5. Il voulait aller vers des trucs plus industriels et j’adore ça. Mais j’aime aussi la musicalité. Quant à Nathan, il a toujours dit qu’il voulait faire des chansons que notre mère pourrait écouter”, nous précise-t-il.
“Le plan, c’était de partir en tournée en Asie, de se faire un peu de blé, puis de partir vivre dans les montagnes du Maghreb avec ma famille pour monter une sorte de Graceland jihadiste” Lias Saoudi
Fat White Family semblait pourtant avoir pris de bonnes résolutions : “On était tous sur la même longueur d’onde. Le plan, c’était de partir en tournée en Asie, de se faire un peu de blé, puis de partir vivre dans les montagnes du Maghreb avec ma famille pour monter une sorte de Graceland jihadiste. Tout le monde aurait été fonctionnel, puisque tu ne trouves ni héroïne ni cocaïne là-haut. Même Saul avait eu son visa algérien. Et puis la pandémie est arrivée et tout est tombé à l’eau”, relate Lias.
Sans Saul, mais pas sans morgue, le groupe poursuit aujourd’hui son entreprise de déstabilisation de l’ordre petit-bourgeois de l’industrie du disque britannique, en s’efforçant de redonner à la pop un semblant de pouvoir subversif, dans une époque grippée et incapable de savoir quoi faire d’une œuvre irrévérencieuse si celle-ci n’est pas livrée avec une notice explicative précautionneuse.
Contre la gentrification du rock
“Le rock a perdu toute forme de connexion avec cette sorte de dégoût et de dédain prolétariens, qui en étaient le moteur. Il a été gentrifié, comme n’importe quoi d’autre. Qui peut aujourd’hui s’acheter des amplis de basse et de guitare, si ce n’est la jeunesse issue des classes moyennes ? C’est devenu un lifestyle, qui a perdu de sa vitalité et qui n’ouvre plus sur d’autres mondes. Tu trouveras plus de visions futuristes et d’animosité dans la musique électronique ou dans le soundcloud rap, même si j’en écoute peu.”
La répulsion et le désespoir, une affaire de classe ? Forgiveness Is Yours se situe pile dans cet angle mort de la morale où croupissent encore toutes ces questions existentielles que les bonnes consciences et l’air du temps, de tout temps, n’auront jamais évacuées, et que Lias s’échine encore à faire flotter dans nos esprits par le biais de la provocation et du malaise. À l’image de ce Today You Become Man qui relate dans un spoken word frénétique et angoissé le souvenir de sa circoncision tardive.
“Peut-être que je serai le dernier véritable écorché du quartier” Lias Saoudi
“C’était une façon pour moi de surligner cette tendance que les gens ont à trouver dans leur histoire quelque chose qui ressemble à un traumatisme pour ensuite en tirer profit. On est dans une sorte de quête soi-disant vertueuse qui pousse tout le monde à se comporter comme un élu travailliste de seconde zone et à s’exprimer avec toujours beaucoup trop de précaution.”
Qui a dit que la musique se devait d’apporter du réconfort ? Fat White Family a toujours préféré la jouer frontal, décrivant des paysages urbains en lambeaux ou rongés par l’écocide en cours et peuplé de personnages répugnants, tous ramenés à leur prime humanité – de Lee Harvey Oswald à Goebbels, en passant par Kim Jong-un. Ce qui dérange, évidemment. Si Forgiveness Is Yours, avec ses orchestrations électroniques, est moins dans le name-dropping – à noter quand même cette scène surréaliste dans laquelle Sean Lennon est surpris est en train de masser sa mère, Yoko Ono, tandis que Lias s’adresse au fantôme de John –, il est néanmoins hanté par les hurlements des cramés du rock ayant flirté avec la mort et le diable.
“À chaque fois qu’un Mark E. Smith ou un Shane MacGowan meurt, et dans l’attente du trépas de Nick Cave et d’Iggy Pop, je m’approche toujours un peu plus de la tête du peloton. Je ne me fais pas d’illusion, je suis loin derrière pour l’instant, mais si suffisamment d’entre eux y passent, alors peut-être que je serai le dernier véritable écorché du quartier.” En d’autres termes, le nouvel album de Fat White Family est la bande-son idéale d’un sacrifice rituel fantasmé d’Ed Sheeran sur un bûcher glorieux.
Forgiveness Is Yours (Domino/Sony Music). Sortie le 26 avril. En concert le 27 mai à la Cigale, Paris.