Festival Sonic Protest : les programmateurs nous disent tout sur l’édition 2022

Lors de cette 18e édition de Sonic Protest, festival organisé dans Paris et ses environs depuis 2003, on ne ratera pas le vétéran Alva Noto en compagnie d’Anne-James Chaton, le Nathan Roche Band, l’hypnotique Puce Mary, les turbulents Tanz...

Festival Sonic Protest : les programmateurs nous disent tout sur l’édition 2022

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Lors de cette 18e édition de Sonic Protest, festival organisé dans Paris et ses environs depuis 2003, on ne ratera pas le vétéran Alva Noto en compagnie d’Anne-James Chaton, le Nathan Roche Band, l’hypnotique Puce Mary, les turbulents Tanz Mein Herz et encore Pascal Comelade, Mérryl Ampe ou Sang Noir… Nous avons envoyé quelques questions à deux de ses programmateurs, Arnaud Rivière et Franq de Quengo .

Comment va Sonic Protest en 2022 ? 

Arnaud Rivière – En 2022, Sonic Protest est bien heureux d’exister, limite moral d’acier. Un peu inquiet quant à l’état du monde, aussi, mais quand Sonic Protest restreint le champ à sa pomme et à celle des communautés qui lui sont proches, y’a vraiment pas de quoi se plaindre ! Déjà, le festival a survécu au crash 2020 et, en 2021, on a eu la bonne idée de décaler le festival à l’été. On a même eu la chance de vivre la fin des concerts assis en plein festival… C’est tombé le jour du superbe solo de Stephen O’Malley au Centquatre, là où tout le monde s’est assis par terre ! Mais comme on avait cherché le plein air, on a aussi pu faire des choses qu’on ne fait pas usuellement, comme inviter Mariachi à jouer son solo noise guitare dure sur l’herbe molle des pelouses de la Villette ou danser bancal sur les beats ciselés d’OD Bongo dans la cour de l’école Berthelot, à Montreuil… La plus belle kermesse de l’année, à coup sûr. Faut dire qu’il y en a eu pas mal d’annulées, des kermesses… en 2021 !  

Bref, ça nous a fort requinqué pour viser le printemps 2022 et préparer cette édition qui vient de s’ouvrir, tout sourire.  

Quelle a été la ligne de la programmation de SP cette année ? 

Franq de Quengo – En général, il n’y a pas de ligne de programmation chez SP. On s’interdit ce type de contraintes qui sont censées rendre la prog lisible. On préfère proposer un ensemble de choses où l’inattendu et l’incontournable sont au rendez-vous… et les portes d’entrées multiples. 

On a toujours programmé à deux, avec deux paires d’oreilles, mais on aime aussi fabriquer nos propositions avec d’autres activistes comme le collectif La Belle Brute, qui travaille à mettre en lumière les outsiders du son et avec lequel on échafaude depuis six ans les Rencontres autour des Pratiques Brutes de la Musique, des profs d’école d’art comme Matthieu Saladin (Paris 8), Yvan Etienne (La Hear) ou Jérôme Combier (ENSAPC), avec qui on fabrique des ateliers de pratique… Mais aussi le label spécialisé K7 TTT qui a fabriqué La Distomobile, ce système son bien généreux sur lequel on fera une nuit à neuf lives à l’Échangeur le 2 avril, ou encore JF Pichard des Instants Chavirés – les amis de toujours. 

Dans nos tendances et habitudes, on retrouve au programme de cette édition le goût intact pour les grands écarts et l’envie de présenter un panorama le plus large et subjectif possible. Une bonne part de la prog présente des projets joués par des personnes en situation de handicap : Wanino ou Chevalier Surpise viennent tous les deux de Belgique, Ron-Pon de Lille, par exemple. Ils sont tous bien décidés à retourner Mains d’Œuvres (Saint-Ouen). On a également cette envie de faire des ponts temporels et de faire aussi bien la part belle aux découvertes de jeunes artistes qu’aux artistes cultes des interstices de l’underground. En 2022, on a la joie, par exemple, d’accueillir des figures-points d’ancrage de ces musiques de côté comme la percu-culte Limpe Fuchs (81 ans !), Alexander Hacke (le bassiste Einstürzende Neubauten himself), Christine Groult (qui, depuis les années 70, écrit des musiques électroacoustiques turbulentes), Alva Noto, docteur ès art numérique, ou Meira Asher, grande voix de la contestation sonore en Israël. Du côté de la relève enthousiasmante, dans le désordre, on conseille de ne surtout pas rater la post-chorale bancale de ladr ache au Centre Wallonie-Bruxelles, le rock noise tranchant d’Officine à Petit Bain, le duo banjo-beat box-cassettes de Cantenac Dagar… au Cirque Électrique. Si aucun nom ne vous cause, pas de panique, y’a rien de mieux que le live pour découvrir.

Qu’est-ce qui s’est imposé à vous cette année ? 

Franq de Quengo – La très très joyeuse édition de 2021 a redit avec force l’importance sociale de ce rendez-vous et nous a imposé la fabrication d’une 18ème édition pour 2022, une manifestation qui arriverait à point nommé, de nouveau. Dans le contexte global, entre pandémie et guerre en Europe, on peut évidemment se dire que c’est un peu futile un festival… On a constaté et continuons à constater qu’on a tous besoin de points de mire et de retrouvailles. Du coup, on a fait tous les visuels en fluo. 

Comment voyez-vous l’évolution récente de Sonic Protest ? 

Arnaud Rivière – Dans une certaine continuité des processus engagés depuis 2003 : le hasard a toujours sa part, l’huile de coude et les bouts de ficelle sont encore les moteurs principaux de l’aventure. Évidemment, on sait ce que veulent dire “structuration” et “budget prévisionnel”, ce ne sont même pas des gros mots. C’est grâce à ces notions, à ces efforts, qu’on arrive à constituer une équipe d’une douzaine de personnes qui rejoignent les trois qui imaginent les choses au cours de l’année pour œuvrer avec une bonne cinquantaine de bénévoles lors du festival. C’est pas si récent, mais ça reste une très belle évolution de cette initiative : d’une presque blague de deux jours en 2003, s’est monté un rendez-vous de 16 soirées sur trois semaines dans 14 lieux, qui agite des petites communautés qui en croisent d’autres loin des écrans. C’est heureux. 

SP existe depuis plusieurs années : quels sont les artistes qui selon vous le représentent le mieux ? 

Franq de Quengo – Ce n’est pas loin d’être mission impossible que de faire peser sur les épaules de quelques un·es la représentativité de ces centaines de concerts… Allez, parlons de ceux qui nous ont fait déroger à la règle d’une invitation unique puisqu’on s’était dit au départ qu’on ne devait jouer qu’une fois à Sonic Protest… De France d’abord, trio supersonique vielle-à-roue/basse/batterie à Nafi (Noir Boy George, AH Kraken, Scorpion Violente) qui calibre nos intérêts pour une certaine scène hexagonale. Du côté des étoiles qui passent une fois dans notre galaxie, on ne peut pas ne pas citer Merzbow, Tony Conrad, Suzanne Ciani, Arto Lindsay, Ellen Fullman, Morton Subotnick, Keiji Haino, Brigitte Fontaine & Areski, Thurston Moore & Lee Ranaldo, Red Krayola ou même Guy Picciotto (Fugazi) !

Le Protest du nom est-il toujours d’actualité ? 

Arnaud Rivière – On ne s’est jamais leurrés sur l’envergure de la protestation à la sauce sonic et ce bout du nom du festival, mi-blague, mi-raisin, reste évidemment d’actualité. Ça se joue peut-être plutôt dans l’action que dans le slogan, ceci dit, la protestation… et Sonic Protest… ça actionne ! En tout cas, qu’on observe l’état du monde ou, du côté du spectacle vivant, qu’on constate certaines manières d’accueillir les artistes-pas-connus ou le fait que le public peut être vu comme une vache à lait, il n’y pas que de quoi se réjouir… Alors on agit, oui, on proteste en activistes, en le faisant tout en souriant… Définitivement plus Sonic Protest que Sonic Rouspète.

Comment fait-on vivre un festival après deux années de Covid ?

Arnaud Rivière – L’arrivée de la pandémie en 2020 nous a tout particulièrement frappé puisque le festival a été interrompu après cinq des douze dates prévues. Il a fallu exfiltrer des artistes venus de loin quand les vols s’annulaient les uns après les autres et que les frontières se fermaient… Welcome back au XIXe siècle et grosse déveine du côté des finances. Avant le quoi qu’il en coûte, il nous a fallu organiser une solidarité de proximité avec celles et ceux, artistes ou techs, qui devaient bosser avec nous et qui voyaient ces plans, et tous les autres, s’envoler. Nos finances étant constituées à moitié de ressources propres, l’asso a été fragilisée mais plein de gens ont choisi de ne pas se faire rembourser leurs préventes, d’autres ont participé à la cagnotte de secours mise en place en mai 2020 et les pouvoirs publics ont carrément bien pris le relais ensuite – on est resté en mesure de produire ce qu’on a en tête. Reste que par-delà ces difficultés, quand il s’est agi de penser à l’avenir, il a fallu apprendre à organiser sans certitude que ça puisse se faire, à imaginer un festival sous réserve et avec une méga-tonne de nouvelles contraintes. Coup de bol, en 2021, on a décalé Sonic Protest à l’été et la 17e édition s’est jouée au moment survenu entre la fin des restrictions assis-en-intérieur et la mise en place du pass sanitaire. Coup de bol, en 2022, le festival commence au lendemain de la mise au placard du pass vaccinal. 

Tanz Mein Herz

Quelles difficultés avez-vous dû régler en 2022 ? On dit que les tarifs des artistes se sont envolés…

Franq de Quengo – Pour nous, ça s’est plus joué du côté des circulations transfrontalières et de la fragilisation de personnes qu’on souhaitait accueillir. Pas mal de projets impliquaient une circulation plus aisée de continents à continents ou même de pays à pays, et ces difficultés associées à la mise en place du pass vaccinal, entre autres, ont fait que quasiment 10% de la prog annoncée a été revue avec de nouvelles propositions pas moins enivrantes. 

Malgré tout, après une édition 2021 où il y avait beaucoup de gens du coin, en 2022, on accueille des gens de Pologne (Qba Janicki), d’Ouganda (Mc Yallah), d’Italie (Maria Violenza), de Palestine (Muqata’a), de Hongrie (Fausto Mercier), d’Allemagne (Hackedepicciotto), de Suisse (Reverend Beat-Man), d’Israël (Meira Asher & Eran Sachs)  du Kenya (Duma), de Belgique (Yann Leguay, Acte Bonté et Carrageenan), des USA (Shit & Shine), du Royaume-Uni (Container), d’Espagne (Trío Truna TX3), du Massif Central (Alexis Degrenier, Tanz Mein Herz)… C’est plutôt réjouissant de vivre la réouverture des frontières !

Du côté des tarifs, on doit être loin des mouvements constatés à d’autres échelles. On continue à faire de notre mieux pour offrir des conditions confortables à celles et ceux qu’on accueille… En d’autres termes, il ne me viendrait pas à l’idée d’inviter à dîner à la maison quelqu’un qui ne mange que du homard. Du côté de la prog de Sonic Protest, on reste dans des échelles très artisanales tout de même, assez loin des énormités financières qui doivent être de mise dans d’autres circuits. 

Comment percevez-vous le public de SP ? 


Franq de Quengo – Assez hétérogène du côté de la pyramide des âges et plutôt réjoui en général. Un beau mélange de spécialistes des scènes/niches expé, de personnes qui trouvent dans ce rendez-vous le bon contexte pour s’y coller une fois de temps en temps, et d’auditeurs qui tentent le coup pour la 1ère fois. Il semblerait que le public de SP soit : ouvert, curieux, exigeant, excité, hors-normes, complice, insatiable, normal, malin, solidaire, assoiffé, fouineur, novice, câblé, sympa, généreux, timide et sans complexe. 

La perte de l’église Saint-Merry, qui était un lieu important pour le festival, est-elle compliquée à compenser ? 

Arnaud Rivière – On est évidemment super déçus d’avoir été privés de ce terrain de jeu où on jouissait d’une incroyable liberté et où on a pu partager des moments totalement dingues (Ellen Fullman, Merzbow, Arto Lindsay, Morton Subotnick, la nuit la Novia, Brigitte Fontaine, AMM, Red Krayola, Nurse With Wound, etc., etc.). On a toujours été les 1ers étonnés de la possibilité de faire nos soirées dans ce contexte d’église ouverte et savions que ça ne tenait qu’aux choix de certaines personnes : merci Fred, Égl’ et Jacques. 

Sonic Protest a la chance de pouvoir se faire dans des endroits différents avec d’autres qualités et d’autres joyeuses équipes, et peut donc se jouer sans ce lieu où on a aura pu guincher durant dix ans… Mais c’est certain que la fermeture de ce lieu aux musiques ouvertes souligne les difficultés toujours croissantes à faire exister des espaces non-normés dans le centre de Paris. En tout cas, il aura fallu une pandémie pour empêcher notre fête de départ en ces murs prévue avec Lee Perry… à Saint-Merry ! Et le plus ennuyeux avec ce coup de volant à droite, c’est surtout la fin des Rendez-Vous Contemporains et du festival Crak, des initiatives exclusivement basées là-bas du temps où tout était possible. 

Vers où avez-vous envie de mener SP ? Le festival peut-il exister sur le long terme au milieu d’autres propositions culturelles plus ou moins similaires ?

Arnaud Rivière – Depuis le départ, il s’agit de faire les choses à notre manière, d’ouvrir un temps et un parcours qui permettent de partager des singularités sonores d’ici et d’ailleurs qui nous réjouissent. C’est autant le point de départ que le point de mire et on ne se sent pas tant que ça au milieu d’autres propositions culturelles, à vrai dire… On continue à se sentir un peu plus sur le bord qu’au milieu. Ça n’empêche évidemment pas d’être au fait de ce qui se passe à droite à gauche, mais plutôt d’un point de vue de public averti, pour y passer des bons moments sans forcément les organiser. Il y a mille manières réjouissantes de faire les choses, chacun la sienne. 

De notre côté, tant qu’on a la motive et qu’on arrive à mobiliser des moyens et des énergies, on trace notre sillon à nous. Pas d’autre plan à long terme que celui-ci. On fait notre version d’un festival qu’on aime faire, vivre et faire vivre avec des concerts immanquables dans des lieux très variés (beaucoup), des rencontres autour des pratiques brutes de la musique (pour la sixième fois en 2022), une exposition (autour d’Eric Cordier, Diffractions Radicales), une radio (7/7 – 24/24 pendant tout le festival, en ligne et en DAB+ à Paris et Mulhouse via P-Node), des ateliers avec des étudiants en art (de Paris 8, de la Hear, de Cergy, de Clermont-Ferrand), la documentation/archivage de tout ça en vidéo pour les générations futures, l’enregistrement en direct sur 24 exemplaires en K7 d’une nuit à neuf concerts sur système son mi-dub mi-free party (LA Distomobile), une série de 17 concerts associés avec la série Sonic Protest Ailleurs (de Nantes à Marseille en passant par Dijon, Lyon, Bourges, Poitiers, Rennes, Woippy, Rosans ou Bourogne)… Un truc un peu XXL qui fait converger les belles volontés et rassemble autour d’envies d’entendre comment ça sonne ici et là. 

Quel est votre meilleur souvenir musical de SP ? 

Franq de Quengo et Arnaud Rivière – Le soundcheck de Brainbombs, en 2008.

Que ne faut-il surtout pas rater cette année ? 

Franq de Quengo et Arnaud Rivière – Hypnoise, la très rare performance plein-les-yeux-plein-les-oreilles de Marc Caro (oui, oui, celui de Delicatessen, Métal Hurlant et Parazite), le même soir qu’Alva Noto & Anne-James Chaton et Christine Groult et Marc Namblard à la Gaîté Lyrique, à Paris, le 24 mars.

Les Rencontres Internationales autour des Pratiques Brutes, à Mains d’Œuvres à Saint-Ouen. Ça n’existe nulle part ailleurs.

La nuit dancefloor en pente de quasi conclusion du festival, sonorisée sur Distomobile, comme d’autres font des films en Technicolor®, le 2 avril à l’Échangeur, à Bagnolet.

Le bien nommé Pianoise, projet à six pianos, oui six, tous accordés différemment pour couvrir TOUT le spectre sonore, au Cirque Électrique, à Paris, le 23 mars. 

Qu’est-ce que vous écoutez en ce moment et que vous avez très envie de voir sur scène ? 

Arnaud Rivière – En plein festival, avec le nez dans le guidon, ça serait quasi de l’infidélité que de désirer d’autres concerts que ceux qu’on a réussi à mettre en place… Mais si Jim O’Rourke ou Incapacitants sortent du Japon, promis, on sera là !

Propos recueillis par Joseph Ghosn

Festival Sonic Protest, du 15 mars au 3 avril 2022 à Paris, autour et ailleurs, toutes les infos ici.