Fisbach : “Je ne cherche pas à être aimée”

“Je déclare le carnage/Sur ma rétine/Je vois des images qui se dessinent au loin/Et tout dedans moi”, chantait Fishbach dans Un beau langage, le plus… beau morceau de son 1er album. Cinq ans après À ta merci, la musicienne trentenaire revient...

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“Je déclare le carnage/Sur ma rétine/Je vois des images qui se dessinent au loin/Et tout dedans moi”, chantait Fishbach dans Un beau langage, le plus… beau morceau de son 1er album. Cinq ans après À ta merci, la musicienne trentenaire revient Avec les yeux, une manière d’envisager la vie frontalement, sans œillères. Du regard vitreux de la 1ère pochette à celui perçant de la seconde, la transition visuelle se dessine en forme de miroir inversé. “Mes yeux vivent dans tes yeux”, affirme-t-elle d’ailleurs sur De l’instinct, deuxième plage de son nouveau disque.

Depuis son éclosion avec le single tragiquement visionnaire Mortel – paru une semaine exactement avant les attentats du 13 novembre 2015, où elle narrait n’avoir “jamais rien vu d’aussi mortel que ces tirs au hasard” –, Flora Fishbach s’est rapidement affirmée comme la louve solitaire de la chanson française. Certes, on lui connaît des amitiés (comme Juliette Armanet, avec qui elle avait coécrit les paroles d’Un autre que moi), des accointances, des attaches, mais la native de Dieppe, repartie vivre il y a trois ans dans les Ardennes où elle a grandi (Quitter la ville, comme elle le chante dans une ballade acoustique et diaprée), n’en fait fort heureusement qu’à sa tête.

Le secret le mieux gardé des chanteuses de sa génération

Ainsi, sur son single de retour, Téléportation, partagé à l’automne dernier, Fishbach avait des mots autobiographiques (quoique écrits par Olivier Valoy, un ami parolier figurant déjà au générique d’À ta merci) : “Je suis absolument secrète/Je vous assure/Je n’ai pas besoin d’interprète/J’ai des chaussures.” Des paroles cryptiques qui demandent quelques éclaircissements, que Flora balaie pourtant d’un revers de main.

“Les paroles d’une chanson, c’est comme un parfum : leur appréciation change selon les personnes qui le portent. L’imagination est bien plus intéressante que mes explications. Chanter les mots d’un autre à travers le personnage de Fishbach me permet d’exercer un double filtre et de préserver une forme de pudeur.”

“J’ai une image de fille froide, je ne sais pas pourquoi”

Au contraire de Juliette Armanet et Clara Luciani, qui ont émergé une ou deux années après elle et qui, sur disque comme en entrevue, se sont largement épanchées sur leurs vies personnelles et sentimentales, Fishbach demeure le secret le mieux gardé des chanteuses de cette génération.

“J’ai une image de fille froide, je ne sais pas pourquoi, s’étonnait-elle dans les colonnes du Monde à l’été 2020, entre deux confinements. Peut-être parce que je suis timide et que je regarde les gens profondément dans les yeux ?” En ouverture de son nouvel album, elle poursuit, d’une certaine manière, son propos : “Je suis un animal/À ne pas plaire au zoo.”

Le goût des grands écarts

Affrontant le froid de gueux d’un matin de janvier, on la retrouve rue de la Fidélité, attablée à l’Hôtel Grand Amour. De passage à Paris à un mois de la sortie de son second disque, Flora nous regarde forcément dans les yeux, avant d’inverser aussitôt les rôles.

“Je sais que c’est à toi de poser les questions, mais comment ça se passe dans la presse actuellement ? J’ai sorti un album il y a cinq ans et j’ai l’impression que tout a déjà changé. Tout est tellement dans le voir, le filmer, l’instantanéité… c’est dingue.”

© Denis Boulze pour Les Inrockuptibles

Autre signe des temps : faute de support promo physique, il faut attendre la sortie d’Avec les yeux dans les bacs pour l’écouter en CD ou vinyle, ce qui pour l’intéressée rend “moins palpable” l’imminence d’un album initié depuis trois ans.

“Sa sortie est une délivrance”, confesse-t-elle dans un large sourire. Sensible à la saisonnalité de la musique, Fishbach se réjouit de faire paraître encore un album en plein hiver (“Je suis tellement une artiste de février avec mes chansons tristes”), mais est moins enchantée par le fait que son rythme discographique corresponde aussi à celui, quinquennal, de l’élection présidentielle : “J’espère qu’il va me rester un peu de place entre Macron et Zemmour ! Peut-être ce disque servira-t-il de pansement ou d’échappatoire à la période électorale qu’on va traverser.”

Un versant plus flamboyant et solaire

Impossible de rester insensible : dès les 1ères minutes renversantes de son nouvel album, Fishbach s’impose avec Dans un fou rire, un classique instantané – et déjà l’une des grandes chansons de 2022 – né un soir d’hiver confiné et écrit en une heure. “J’ai failli appeler ce morceau J’voudrais mourir et puis c’était quand même trop grave, alors il fallait ajouter que c’était surtout dans un fou rire que ça devrait se faire. On n’avait que les réseaux pour se causer, c’était triste, tout n’était que morale et j’en avais marre.”

À l’énergie noire d’À ta merci, Avec les yeux offre d’entrée un versant plus flamboyant et solaire, toujours porté par la voix reconnaissable entre mille de Flora Fischbach. Ses nouvelles chansons confirment sa singularité d’électron libre, qui refuse de choisir entre ses appétences synthétiques (De l’instinct ; Téléportation ; Démodé ; Presque beau) et ses pulsions parfois grandiloquentes (le single clivant Masque d’or ; La Foudre).

“Être respectée pour ma singularité me fait évidemment plaisir”

“Je suis à la fois contente et étonnée que les gens apprécient ma musique, surtout avec les sons kitsch, les synthés eighties et les solos de guitare que j’utilise – pour ce nouvel album, j’ai eu une crise de Supertramp, de Vangelis et de glam qui s’entend ouvertement. Je ne cherche pas à être aimée – l’amour est un sentiment très bizarre chez moi –, mais être respectée pour ma singularité me fait évidemment plaisir.”

Michel Nassif, directeur artistique et cofondateur du label Entreprise (qui accompagne Fishbach depuis 2015), souligne “son geste artistique qui tombe à pic dans une époque un peu tiède et renfermée”, voyant en Fishbach une artiste à la liberté échevelée, “une capitaine d’un bateau fantôme”. “Elle a la capacité, la personnalité et la voix pour avoir un succès mainstream et toucher un plus grand public, mais elle a ce goût des grands écarts et de tordre un peu le truc. Son titre Presque beau résume bien son univers.

Des lendemains qui chantent

Sur un morceau du désamour comme Tu es en vie, elle mélange un texte en français avec un refrain en anglais, des guitares héroïques avec des chœurs réverbérés, comme si elle chantait véritablement dans un stade.

“Ce qui change, c’est mon rapport à la voix. Je suis allée chercher d’autres caractères, je suis allée m’explorer à fond, précise-t-elle. C’est vrai que j’adore, avant tout, trouver les mélodies de voix. Comme diraient les Américains, je suis une bonne topliner. Les mots ont une mélodie. J’aime associer une syllabe à une note. C’est mon sentiment préféré dans la musique.”

© Denis Boulze pour Les Inrockuptibles

Chez Fishbach, il n’y a pas de demi-mesure, elle creuse profondément son sillon, tout en cultivant une variété stylistique à rebours de la tendance disco de la pop française. “J’adore aussi les nappes synthétiques. Une nappe de Solina peut même me mettre en transe. Ce sont les sons qui m’attire. J’ai aussi une tendresse pour la guitare. Une guitare, c’est le son le plus féminin qui soit. C’est le son du sexy et du cul par excellence. Un solo de guitare, c’est comme une femme fatale.”

Mystérieuse et aventurière, insaisissable et polymorphe, Fishbach joue autant avec ses yeux ardents qu’avec sa voix tabagique, ses claviers antédiluviens que sa guitare en bandoulière. Au point de multiplier les couleurs, “pour qu’on cause arc-en-ciel”.

Des allers-retours entre Paris et les Ardennes

“À l’époque d’À ta merci, j’étais encore dans le refus de ma féminité et de mes faiblesses, reconnaît-elle sans ambages. Sur ce nouvel album, il y a davantage de lumière, à l’image de ce à quoi j’aspire désormais. Le titre m’est venu assez tardivement à l’occasion d’un mot reçu de la part d’une fan : “Flora, tu chantes avec les yeux !” Cela m’a beaucoup touchée. On peut tricher avec sa voix grâce aux pédales d’effet et à la réverbération, au contraire des yeux, avec lesquels on ne peut jamais mentir. C’est pour cela que je préfère voir mes amis plutôt que de leur envoyer des textos. Le contact physique m’a tellement manqué ces deux dernières années.”

Avant de remonter sur scène, d’abord en solo comme à ses débuts, mémorables, puis en groupe à la rentrée, Flora Fishbach poursuit ses allers-retours entre Paris et les Ardennes, où elle habite avec son chien Ardent, un berger hongrois dont elle s’amuse parfois à partager l’image sur Instagram et avec lequel elle arpente la vallée de la Meuse, qui lui rappelle parfois l’atmosphère de Twin Peaks. “Retrouver les Ardennes m’a permis de savoir qui j’étais et ce que je désirais. C’était indispensable de me poser après tout ce tumulte et de me questionner. C’est fou de passer d’une grande solitude à autant de sollicitations pour un simple cœur. J’aspire avant tout à une vie ordinaire.”

Avec les yeux (Entreprise/Sony Music). Sorti depuis le 25 février. En tournée française à partir du 31 mars et en concert le 30 novembre à Paris (L’Olympia).