Fishbach : “J’aspire avant tout à une vie ordinaire”

Dans A ta merci, l’ultime chanson de ton 1er album éponyme, tu chantais “J’avancerai comme je bois/Comme un trou vers le monde”. Ce trou a finalement duré cinq ans, avec la parution aujourd’hui d’Avec les yeux.Fishbach – Effectivement, ça a...

Fishbach : “J’aspire avant tout à une vie ordinaire”

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Dans A ta merci, l’ultime chanson de ton 1er album éponyme, tu chantais “J’avancerai comme je bois/Comme un trou vers le monde”. Ce trou a finalement duré cinq ans, avec la parution aujourd’hui d’Avec les yeux.

Fishbach – Effectivement, ça a été très long, sa sortie est une délivrance. Mais c’est normal car, tu sais, il a fallu atterrir et retrouver la solitude. Il s’est passé tellement de choses depuis la sortie de mon 1er album. Chanter est devenu un métier, et je me suis donc posé plein de questions légitimes. Ai-je encore envie de continuer ? Me plaît-il autant que je l’imaginais ? Encore aujourd’hui, je fais de la musique en amateurisme, et avant tout pour moi-même. Au contraire des comédiens, qui ne peuvent pas jouer devant leur miroir si personne ne les appelle. Moi, je chante et compose pour me faire du bien. J’essaie donc de me protéger de ce métier pour ne pas troubler le plaisir solitaire de la musique qu’elle me procure. D’autant que je fonctionne de manière intuitive. On attend parfois trop de moi. 

Cette attente s’est-elle aussi mesurée pendant les tournées ?

Pour une personne solitaire et sensible comme moi, recevoir autant d’amour n’a pas toujours été simple. Il faut pouvoir y répondre. Je me sentais parfois interdite. Je ne pouvais pas donner de réciprocité aux gens qui me sollicitaient. Il a fallu l’embrasser, en se disant à quel point c’était beau, simple et précieux.

Est-ce aussi pour cette raison que tu as choisi de retourner vivre dans les Ardennes, où tu as grandi, en 2019 ?

Oui, j’avais besoin de me rapprocher de ma famille, si bienveillante et réconfortante. Il faut savoir profiter des siens tant qu’ils sont en vie. Retrouver les Ardennes m’a fait énormément de bien. Cela m’a permis aussi de savoir qui j’étais et ce que je désirais. C’était indispensable de me poser après tout ce tumulte et de me questionner. Dans ce métier, on rencontre tellement de personnes que l’on devient rapidement amnésique. Cette amnésie me bouleverse, j’ai oublié trop de trucs qui me sont arrivés depuis 2015, l’année de mon 1er ep. C’est fou de passer d’une grande solitude à autant de sollicitations pour un simple cœur. J’aspire avant tout à une vie ordinaire.

Tu crains parfois la lumière médiatique et publique. D’ailleurs, certains proches te surnomment Twilight…

Je suis à la fois contente et étonnée que les gens apprécient ma musique, surtout avec les sons kitsch, les synthés eighties et les solos de guitare que j’utilise – pour ce nouvel album, j’ai eu une crise de Supertramp, de Vangelis et de glam qui s’entend facilement. Je ne cherche pas à être aimée – l’amour est un sentiment très bizarre chez moi –, mais être respectée pour ma singularité me fait évidemment plaisir.

Quelle a été la genèse de ton second album, Avec les yeux ?


Il n’y a pas eu de genèse à proprement causer. Peut-être qu’un jour, je me poserais à une table et que je composerais un disque avec mes deux synthés et une guitare, en tirant des plans sur la comète. J’ai fait exactement comme pour le précédent album, le jour où j’avais envie de chanter, j’ouvrais mon ordinateur. Le 1er morceau composé fut Masque d’or, et l’ultime, Dans un fou rire, en décembre 2020. Pendant le deuxième confinement, je saturais de l’époque moralisatrice qui me dépassait totalement. Je ressentais un besoin vital d’écrire cette chanson. J’ai ainsi pu cracher ma soupe. C’est un des morceaux qui me tient le plus à cœur, placé en ouverture du disque.

A l’origine, tu n’étais d’ailleurs pas forcément partie dans l’idée de publier un album, mais plutôt plusieurs maxis thématiques.

Il y a d’autres chansons déjà enregistrées et produites, qui ne figurent en effet pas sur l’album. Mon 1er album date de 2017 et les modes d’écoute de la musique ont encore changé depuis. Je suis moi-même un produit de mon époque : j’écoute autant des albums que des singles. J’aime recevoir des nouvelles régulièrement des artistes que j’affectionne. Avec les réseaux sociaux, et particulièrement Instagram, on a l’impression d’avoir des artistes tout le temps dans sa poche.

Ce que tu n’as pas guère fait ces dernières années, en dehors du single inédit Laka avec Bachar Mar-Khalifé, en 2019.

Car je suis en plein conflit intérieur (sourire) ! J’aurais adoré sortir des morceaux plus tôt, mais j’accepte le jeu des maisons de disques qui fonctionnent encore un peu à l’ancienne. Alors, pour l’heure, je savoure ces retrouvailles avec mon public. Mais il faudra à l’avenir que j’offre plus souvent de la musique. C’est une promesse que je me dois tenir.

Tu es encore sensible à l’objet et au support physique 

J’aime bien acheter des vinyles et les exposer chez moi, mais je les écoute finalement assez peu. Dans des brocantes, il m’arrive souvent de choisir des vinyles uniquement pour leurs pochettes.

Au générique de l’album, figurent plusieurs paroliers : Olivier Valoy, déjà présent sur À ta merci, et quelques nouveaux venus, Martin Rahim, Dionys Decrevel ou encore Joseph Cousin. Est-ce à dire que tu prends un plaisir particulier à interpréter les mots des autres ?

Je ne leur ai pourtant rien demandé, mais ils arrivent souvent avec des mots magnifiques et expliquent mieux que moi mes propres histoires à force de discuter entre nous. Les mecs savent relever des détails merveilleux… Chanter les mots d’un autre à travers le personnage de Fishbach me permet d’exercer un double filtre et de préserver une forme de pudeur. C’est bien de savoir s’entourer de personnes talentueuses. Cela dit, j’écris de plus en plus par moi-même, et peut-être serai-je une bonne autrice pour quelqu’un d’autre. Cela me tenterait d’essayer. Ce que j’adore avant tout, c’est trouver les mélodies de voix. Comme diraient les Américains, je suis une bonne topliner. Les mots ont une mélodie. J’aime associer une syllabe à une note. C’est mon sentiment préféré dans la musique.

Avant de te projeter dans son successeur, as-tu réécouté ton 1er album ?

Oui, au moment du mixage car j’avais l’impression d’avoir fait un disque très brut et sec. Or, il est excessivement mouillé. Comme quoi, les souvenirs sont parfois trompeurs. Alors on a décidé de faire un album encore plus mouillé et réverbéré qu’À ta merci. Il y a carrément des morceaux que j’avais presque oubliés, comme Le Meilleur de la fête. À sa réécoute, j’ai eu une tendresse pour moi-même il y a dix ans, tel un câlin dans le passé. Sur certains titres, j’aurais pu mieux faire vocalement, mais il faut embrasser l’évolution. Ce n’était pas si mal…

De la même manière, il t’est arrivé d’oublier certains concerts…

Un concert, c’est comme une nuit d’amour, tu te réveilles le lendemain un peu stone, à la fois contente et mal à l’aise. Tu ne sais plus vraiment si tu as aimé ce moment ou si tu voulais le faire. Chaque matin, on reprenait la route avec un sentiment absolu de vie.

Tu apprécies la vie de tournée dans un camion ?

Pas du tout. Je ne vais pas me plaindre alors que j’ai bossé à l’usine et au McDo. C’est une heure et demie de plaisir pour dix ou quinze heures d’attente. Et encore, c’est bien pire pour les comédiens. En revanche, j’ai beaucoup lu pendant les tournées. Les transports se prêtent facilement à la lecture.

A l’automne, tu es revenue avec un tout nouveau morceau, Téléportation, où tu chantes “Je n’ai pas besoin d’interprète/J’ai des chaussures”.

Revenir avec un titre qui n’est pas un single était une bonne idée. C’est un morceau avec des grosses guitares et où vocalement j’ai mis le plus de nuances, comme dans ma vie. Auparavant, j’étais plus adolescente dans mon chant, j’avais tendance à gueuler facilement. J’étais tout le temps dans la colère, la force, la puissance, ce qui était une manière de cacher ma timidité et de protéger une grande fragilité. 

C’est peut-être le cap de la trentaine ?

C’est tellement cliché, mais c’est vrai. Je n’arrivais pas à m’aimer, alors je jouais à la dure. Aujourd’hui, je commence à embrasser qui je suis, en balance entre le libre-arbitre et le destin, les Ardennes et Paris.

Est-ce aussi pour cette raison que tu reprendras d’abord la scène en solo, comme à tes débuts ?

Quand tu vas voir un concert, tu attends toujours le moment où l’artiste fera un piano/voix. J’avais envie de retrouver et partager cette intimité, tant pis si ça sonne parfois moins bien qu’en groupe ou avec des musiciens. Seule en scène, on peut jouer de soi, et j’y suis particulièrement sensible chez les autres. 

Dans une entrevue, tu disais que L’Histoire sans fin de Wolfgang Petersen est l’un de tes films préférés. Or, c’est exactement ce que l’on vit depuis le début de la pandémie en mars 2020.


Ou plutôt les jours de la marmotte (sourire) ! J’en ai profité pour m’occuper de ma vie de femme. J’ai aussi passé mon permis de conduire, ce qui n’était pas une mince affaire. J’adore conduire, dans une autre vie, j’aurais pu être pilote de rallye et la voiture change complètement le rapport à la musique. La musique de bagnole n’est pas celle de la maison ni celle qu’on écoute en marchant. D’ailleurs, Avec les yeux est un album à la fois de voiture et de chambre. Il n’y a pas un morceau au-dessus de 114 BPM. Je ne voulais surtout pas faire un disque de musicienne. Je déteste ça chez les autres, à part Balavoine dans Le Chanteur : “Je me présente, je m’appelle Henri/J’voudrais bien réussir ma vie, être aimé”.

As-tu ressenti la fameuse pression du second album ?

Davantage mon entourage que moi-même. On vit une époque où les gens zappent en permanence. La musique m’est tombée dessus un peu par hasard. Donc si ça doit s’arrêter, je ferais une autre activité. J’ai tellement de chance d’en vivre depuis quelques années. Il ne faut surtout pas prendre la musique trop sérieusement. Je me sens à l’aise dans mes baskets avec mon public et les attentes de mon label et mon tourneur. Je dispose d’une certaine liberté, sinon ça ne fonctionnerait de toute façon pas. On a beaucoup échangé à ce sujet avec ma copine Juliette Armanet, qui, elle, a ressenti une pression colossale à l’aune du succès de son 1er album. On ne vit pas tous l’étape du deuxième album de la même manière.

Il y a un effet miroir entre les pochettes d’À ta merci et d’Avec les yeux, entre le regard vitreux du 1er album et celui lumineux du second.

Je ressemblais presque à un cadavre sur la pochette du 1er album. Ces deux photos sont à l’image des disques et de la personne que je suis devenue. À l’époque d’À ta merci, j’étais encore dans le refus de ma féminité et de mes faiblesses. Sur ce nouvel album, il y a davantage de lumière, à l’image de ce à quoi j’aspire désormais. Le titre m’est venu assez tardivement à l’occasion d’un mot reçu de la part d’une fan : “Flora, tu chantes avec les yeux !”, cela m’a beaucoup touchée. J’adore explorer les cordes vocales, les grains de voix, comme une choriste. On peut tout faire avec sa voix, c’est un organe fantastique et un précieux instrument interne. Mais on peut tricher avec sa voix grâce aux pédales d’effet et à la réverbération, au contraire des yeux, avec lesquels on ne peut jamais mentir. C’est pour cela que je préfère voir mes amis plutôt que de leur envoyer des textos. Le contact physique m’a tellement manqué ces deux dernières années.

C’est aussi un disque marqué par des solos de guitare très héroïques.

Ce n’est pas ma culture musicale, mais j’ai un copain ardennais, Frédéric Leclercq, qui est un guitar-hero de metal. Il me bluffe et sa manière de jouer de la guitare à toute vitesse me fascine. Avec des groupes comme DragonForce, il a fait des tournées mondiales et rempli des stades. J’ai une tendresse pour les solos de guitare et particulièrement pour la guitare. Une guitare, c’est le son le plus féminin qui soit. C’est le son du sexy et du cul par excellence. Un solo de guitare, c’est comme une femme fatale.

Quelles sont tes attentes pour ce second album ?

Je m’attends à un four plutôt qu’à un succès (sourire). Cela me rassurerait presque, car j’aime bien rebondir. 

Tu disais précédemment que tu pourrais exercer un autre métier, comédienne par exemple pour prolonger ton expérience dans la série Vernon Subutex ?

Si je reçois un projet aussi chouette, bien évidemment. Comment aurais-je pu refuser une proposition de jouer dans l’adaptation d’un livre de Virginie Despentes ? L’avantage avec la musique, c’est qu’on choisit son propre rôle. Si demain je décide de jouer à la bimbo-lolita qui chante du R’n’B, je peux le faire. Au cinéma, tu ne choisis pas ton rôle, mais j’adore apprendre, surtout à un âge où l’on n’apprend plus assez. Je m’enrichis de chaque nouvelle expérience.

La musique demeure un artisanat, au contraire du cinéma qui est une industrie, nécessitant beaucoup plus d’argent et d’effectifs.

Pas plus tard qu’hier, je tournais moi-même le clip de la chanson Dans un fou rire. J’ai pris tellement de plaisir à bricoler ça dans mon coin. Surtout que c’est un morceau écrit en une heure toute seule dans ma chambre, un soir d’hiver confiné. Un bel exemple d’artisanat, comme tu dis. La prochaine fois, je n’attendrais pas aussi longtemps entre deux albums. Il faut accepter de sortir des morceaux un peu bancals, quitte à leur donner une seconde vie en concert ou en studio. En attendant, je continue de composer à fond.

Comme sur ton précédent album, l’empreinte des années 1980 est clairement affirmée et s’entend particulièrement sur le single Masque d’or.

C’est pourtant involontaire et totalement inconscient. Ce sont les sons que j’aime, j’adore les nappes synthétiques. Une nappe de Solina peut même me mettre en transe. Parfois, quand je mixe en soirées, je passe du zouk ou du R’n’B des années 2000 entre deux morceaux eighties.

Tu as un goût évident pour les reprises – de Night Bird ou Frères humains synthétisés de Bernard Lavilliers à Tombe la neige d’Adamo, en passant par A Forest de The Cure avec Rebeka Warrior.

Je n’ose pas toujours les sortir car il faut réussir à transcender l’original. Pour me faire plaisir et explorer de nouvelles lignes de chant, je me fais parfois des séances de karaoké sur YouTube. Avec les reprises, je suis assez timide et sécrète. C’est un plaisir coupable solitaire. Récemment, par exemple, j’ai repris Heureuse par hasard de Marie-Paule Belle, un morceau assez méconnu, déconstruit, avec une mélodie de chant complètement dingue. Sur la pochette du vinyle, on dirait Michel Sardou en femme, mais faut pas le répéter (sourire).

À une personne qui n’aurait jamais écouté Fishbach, quelle serait la meilleure porte d’entrée ?

C’est difficile comme question… Si j’en crois les scores d’écoute des plateformes de streaming, ce serait Un autre que moi, mais ce n’est pas forcément un bon point d’entrée. Alors je dirais certainement Mortel, qui est un peu mon acte de naissance. Cela dit, c’est un morceau tellement gueulard que je m’en sens à mille lieux aujourd’hui, même si je prends un immense plaisir à l’interpréter, malgré sa difficulté à le chanter. C’est une chanson qui contient la puissance, la sensibilité, ainsi qu’une forme de pompiérisme assumée. Mais ce pourrait être aussi Dans un fou rire, certainement le titre qui offre le plus de clés de lecture par rapport aux paroles souvent elliptiques et volontiers brumeuses. C’est peut-être ma chanson la plus frontale.

Propos recueillis par Franck Vergeade

Avec les yeux (Entreprise/Sony Music). Sortie le 25 février. En tournée française à partir du 31 mars et en concert le 30 novembre à Paris (Olympia).