François Ozon : “J’ai pris conscience assez tôt que mes films ne feraient pas l’unanimité”

Dans la géographie du cinéma français, François Ozon a construit et consolidé une place tout à fait particulière. À la fois centrale, par la fréquence de ses succès commerciaux, la crédibilité de sa signature aux yeux des instances de financement,...

François Ozon : “J’ai pris conscience assez tôt que mes films ne feraient pas l’unanimité”

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Dans la géographie du cinéma français, François Ozon a construit et consolidé une place tout à fait particulière. À la fois centrale, par la fréquence de ses succès commerciaux, la crédibilité de sa signature aux yeux des instances de financement, la présence massive d’acteur·ices de 1er plan dans son œuvre (de Catherine Deneuve à Dany Boon, de Fabrice Luchini à Isabelle Adjani, de Gérard Depardieu à Sophie Marceau, Isabelle Huppert, Pierre Niney ou Romain Duris : son œuvre paraît comprendre la quasi-totalité du star-système français). Mais aussi légèrement décentrée en ce qu’elle déplace la perception majoritaire qu’on se fait en France d’un auteur.

Auteur, François Ozon l’est absolument. Il écrit lui-même ses scénarios, décline un certain nombre d’obsessions, a réussi à imposer une signature identifiable (y compris par un public assez vaste). Mais quelque chose de polymorphe dans son inspiration, d’un peu transformiste dans sa mise en scène, vient aussi brouiller les cartes, rend possible, comme il le explique dans cet entretien, qu’on aime beaucoup certains pans de son œuvre tout en en rejetant d’autres.

Presque comme si François Ozon n’était pas seulement un auteur, mais plusieurs à la fois. Celui qui ausculte les troubles de genre (Sitcom, Une nouvelle amie) et les pratiques sexuelles transgressives (Sitcom, Jeune et jolie). Celui des films à costumes romanesques (Angel, Frantz). Celui des thrillers anxiogènes (Swimming Pool, Dans la maison, L’Amant double). Celui des comédies boulevardières sur fond de reconstitution kitsch (Huit femmes, Potiche…).

Son nouveau film Mon crime appartient à cette dernière veine. Il explique de façon joyeuse la prise de pouvoir des femmes et des actrices dans un vieux monde sexiste et abusif. De quoi alimenter une longue conversation portant aussi bien sur la révolution #metoo, le patriarcat, le gay gaze dans le cinéma français ou les variations de son statut depuis vingt-cinq ans dans le cinéma français.

Mon crime est adapté d’une pièce de boulevard des années 1930. Peux-tu expliquer comment tu l’as découverte et transformée ?

François Ozon – Tout commence durant le confinement. Je me suis intéressé à la filmographie de la comédienne Carole Lombard, qu’on connaît surtout aujourd’hui pour son rôle dans To Be or Not to Be de Lubitsch. Mon ami Philippe Piazzo (collaborateur de François Ozon sur plusieurs de ses scénarios, ndr.) m’a conseillé une de ses comédies peu connues, La Folle Confession (1937). Le film n’est pas terrible mais il est adapté d’une pièce française de Georges Berr et Louis Verneuil intitulée Mon crime.

Je me suis souvenu soudainement que Barillet (auteur de la pièce Potiche, ndlr.) m’avait dit que Berr et Verneuil étaient les rois de la comédie de boulevard des années 1930. Ni le film ni la pièce ne m’ont enthousiasmé, mais j’y ai vu des éléments intéressants : un personnage principal qui ment tout le temps, un meurtre endossé et non commis… Dans le film, l’avocat n’est pas une fille mais son fiancé. C’est une comédie de remariage classique. Le personnage principal est une écrivaine. Ma vision a consisté à déplacer l’intrigue dans le milieu du cinéma et à placer au centre de l’intrigue un tandem féminin. 

En faisant le choix de ce déplacement dans le milieu du cinéma, en décrivant un producteur accusé d’abus sexuels, en féminisant plusieurs personnages principaux pour créer un gang de filles au centre du récit, le film devient un regard porté sur #MeToo. C’est un sujet que tu avais envie de traiter avant même de découvrir la pièce ?

#MeToo a été un choc pour tout le monde, à plus forte raison quand on participe à l’industrie du cinéma. Ça a créé un besoin de tout interroger, à commencer par soi-même. Je me suis beaucoup questionné sur le lien que j’entretenais au pouvoir, à son exercice, à la façon dont j’en usais… Tout le monde a pu faire son examen de conscience.

Cette réflexion a complètement nourri la façon dont j’ai remanié l’histoire de Mon crime. À l’écriture, je me suis rendu compte que je voulais causer avant tout de la complicité de deux filles. Je voulais qu’elles butent sur une période affreuse pour les femmes et qu’elles forgent des solutions pour s’en sortir. Je voulais qu’elles triomphent en exerçant toute leur malice et leur intelligence.   

Il y a quelque chose de duplice dans le film. Il est à la fois l’apologie d’un empowerment féminin et de la sororité, mais il s’apparente aussi à une satire de la façon dont les discours d’émancipation peuvent être détournés à des fins de réussite personnelle. 

Ce n’est pas une satire. Ce qui était essentiel pour moi, c’est que dans ce film où circulent pas mal de mensonges, le personnage principal ne mente pas sur l’agression sexuelle qu’elle a subie. Je ne voulais pas que cette parole puisse être mise en doute. De façon plus large, je pense que dans toute révolution, il y a une part de violence et une part d’agressivité nécessaires.

Ce que j’aime chez Virginie Despentes, c’est sa façon de mettre les pieds dans le plat. Il y a quelque chose de brutal dans ses prises de parole. Mais cette brutalité est salutaire. Je me souviens qu’à l’époque des 1ères actions d’Act Up, une partie de l’opinion traitait les militants de terroristes. Aujourd’hui, leur combat est sanctifié, mais à l’époque, leur façon d’enfreindre la loi paraissait choquante pour beaucoup.

La lutte féministe emprunte, dans certaines de ses formes, des voies similaires. Tous les mouvements pour vraiment influer sont obligés de passer à la fois par une forme de transgression et une grande maîtrise des rouages de la communication. Il y avait ça dans Act Up. Il y a aussi ça dans #MeToo. Tous les moyens sont bons pour arriver à une fin qui est juste. 

Connais-tu le travail du showrunner Ryan Murphy (Hollywood, Pose, The Politician…) et sa façon de reconstituer le passé tout en le réécrivant ?

Oui je connais, mais je n’aime pas beaucoup. 

Pourtant, dans sa façon d’inoculer du féminisme contemporain dans la société des années 1930, Mon crime m’y a fait penser…

Ah bon… Dans la pièce écrite dans les années 1930 que j’ai adaptée, la fille accusée de crime est vraiment acquittée après avoir manipulé l’opinion. Je ne l’ai pas inventé, c’est une péripétie crédible à l’époque. En revanche, la façon qu’a Ryan Murphy de corriger l’histoire me déplaît. Souvent, dans ses séries, j’aime beaucoup la mise en place et pas du tout la résolution. Parce que la résolution tient du révisionnisme historique.

Dans Hollywood, l’histoire de cette station-service où tous les pompistes se prostituent, je trouve ça génial. Mais pourquoi il ne explique pas cette histoire formidable de façon réaliste ? Pourquoi faut-il qu’il invente que le cinéma hollywoodien des années 1940 devienne super inclusif, pro noir, pro gay ? Manifestement, ça le fait jubiler de réécrire l’histoire, mais la part de désinformation que ça comporte me dérange. 

Pourquoi, selon toi, il n’y a pas eu d’équivalent à l’affaire Weinstein en France ? Parce qu’il n’y a pas d’Harvey Weinstein dans l’industrie du cinéma français ? Ou parce qu’il y a un blocage plus grand qu’à Hollywood sur la prise de parole ?

Je ne pense pas qu’il y ait en France une organisation aussi industrielle et aussi puissante que celle mise en place par Weinstein. Mais, à une autre échelle, je pense que le milieu du cinéma français comprend bien sûr des abus et des violences à plein d’endroits. Et certaines choses vont sortir, même si cela prend du temps. 

Tu disais que nous étions dans un moment où chacun a pu s’interroger sur ses propres pratiques. De quelle façon as-tu pu interroger ton propre exercice d’un pouvoir inhérent à la position du metteur en scène ?

Personnellement, ma pente naturelle est plutôt de travailler dans l’harmonie. Je n’aime pas travailler dans le conflit. Je n’ai aucun goût pour l’humiliation. J’ai toujours travaillé dans une forme d’échange avec les acteur·ices. Mais j’ai pu en rencontrer certains qui aimaient instaurer un rapport de force, qui mettaient en place des tensions sur le plateau qui appelaient à l’affirmation d’une autorité. Il est difficile d’esquiver complètement des moments où l’on s’engueule. Mais sur mes tournages, ça a toujours été extrêmement cadré et très ponctuel.

Par ailleurs, j’ai beaucoup d’admiration pour les films de Maurice Pialat. Quand j’étais étudiant, j’ai choisi son cinéma comme objet d’un mémoire. Sa méthode, dont on sait qu’elle a comporté de la violence, était au service d’une vérité. Peut-on arriver à la vérité propre au cinéma de Pialat avec d’autres méthodes ? C’est vraiment difficile à dire… Moi je pense que oui. Probablement que sa méthode était beaucoup plus complexe que l’image qu’on en véhicule parfois aujourd’hui. Quand on voit certaines scènes magnifiques de Loulou, on imagine qu’il faut aussi avoir tissé une très grande complicité avec ses comédien·nes pour en arriver là. 

Dans Mon crime, il y a un geste très beau consistant à mettre au centre du film deux cinéastes encore débutantes, et tout autour d’elle, dans des rôles moins importants, une partie du star-système français, de Dany Boon à Isabelle Huppert en passant par André Dussollier ou Fabrice Luchini. 

Je pense que Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder sont les deux grandes actrices de leur génération. Mais c’était moins évident lorsque je les ai choisies qu’aujourd’hui. Nadia, je l’avais beaucoup aimée dans Seules les bêtes de Dominik Moll. Les Amandiers n’était pas encore sorti, mais j’ai quand même appelé Valeria pour qu’elle me cause. Rebecca, je l’avais très peu vue. Mais toutes les deux m’ont impressionné aux lectures, puis quand j’ai commencé à travailler avec elles.

Et en effet je voulais placer autour d’elles des acteurs et actrices beaucoup plus connus, qui sont de très grands comédiens et comédiennes avec qui j’avais déjà tourné pour la plupart. Isabelle Huppert qui jouait dans Huit femmes il y a vingt ans, m’a dit : “Tu ne me proposes que des rôles comiques !” Mais c’est une actrice qui a tellement impressionné dans des rôles d’introversion que j’ai toujours envie de la pousser dans l’hystérisation. Et elle le fait avec beaucoup d’humour. En tout cas, pour revenir à ce que tu dis, c’est vrai que ce qui ressort de ce choix, c’est l’impression de prise de pouvoir d’une nouvelle génération.

Dans le film, il y a les deux jeunes comédiennes au centre, les stars aussi, mais aussi toute une galaxie de seconds rôles excentriques, qui va jusqu’à Régis Laspalès. On a parfois le sentiment que tes films sont comme des arches conçues pour accueillir la totalité des acteur·ices du cinéma français, tous types confondus. 

Je n’ai pas de famille d’acteur·ices. J’ai toujours aimé les mélanges. J’ai toujours été réjoui par exemple par la façon dont Luis Buñuel composait ses castings français, en faisant se croiser des acteurs et actrices issu·es d’univers très dissemblables : Delphine Seyrig et Claude Piéplu, Fernando Rey et Stéphane Audran, Francis Blanche et Catherine Deneuve… J’ai toujours eu le plus vif intérêt pour les acteur·ices des comédies populaires.

De toute façon, la carrière d’un·e acteur·ice est parfois la somme de choix, mais souvent aussi le fruit du hasard. Ils et elles sont tellement dépendant·es du désir des autres. Pour causer de Régis Laspalès, je l’adore depuis toujours. J’adore sa diction, sa présence. J’avais déjà pensé à lui au moment de Potiche pour le rôle du mari de Catherine Deneuve. En plus, c’est un homme très brillant, un peu cloisonné dans un certain type d’emploi, mais qui ne demande qu’à aller ailleurs. 

Dans Mon crime, un des seconds rôles est aussi tenu par Franck de Lapersonne. Dans un moment où il est de plus en plus contesté de séparer l’œuvre d’un artiste de ses choix dans la vie, as-tu hésité à caster un acteur qui s’est signalé par son soutien au Rassemblement national ?

J’avais vu Franck de Lapersonne dans les comédies de Valérie Lemercier, où je l’avais trouvé bon. J’ai rencontré plein d’acteurs pour son rôle et je pensais qu’il était le meilleur. On s’est rencontrés, il m’a parlé de ce qu’il avait vécu.

Il m’a raconté qu’il regrettait d’avoir été enrôlé par Florian Philippot, qu’il reconnaissait avoir fait une erreur, qu’il avait fait une dépression… Par ailleurs, c’était pour moi le meilleur choix pour ce rôle donc je l’ai engagé sans aucune volonté de provoquer. Chacun commet des erreurs, tout le monde a droit à une seconde chance. Je ne suis pas pour les bannissements. 

Il y a aussi une actrice qui traverse ton film sans y être vraiment, c’est Danielle Darrieux, qu’on voit en photos sur le mur de l’appartement des héroïnes puis au cinéma. Tu peux nous en causer ?

Elle est une actrice que l’ai toujours admirée. J’ai adoré travailler avec elle pour Huit femmes. Et quand je me suis replongé dans l’époque du film, les années 1930, j’ai pu vérifier qu’elle était la star absolue de cette période. Elle était celle qui faisait rêver toutes les jeunes filles, celle à qui toutes voulaient ressembler.

J’ai regardé tous ses films des années 1934/1935, dont Mauvaise graine, que Billy Wilder a tourné en France après avoir fui le nazisme et avant de gagner les États-Unis. Ce n’est pas un grand film mais elle y est merveilleuse. Son jeu est toujours d’une fraîcheur et d’une modernité sidérantes. 

Au printemps prochain, ça fera 25 ans que tu as sorti ton 1er long métrage, Sitcom

C’est pas vrai ?

Mais si !

Oh la la ! C’est passé trop vite ! (rires)

As-tu le sentiment de travailler dans le même écosystème qu’à tes débuts ou que le cinéma a considérablement changé dans ce laps de temps ?

Tout est différent. Ne serait-ce que parce que j’ai commencé vraiment à la marge. Sitcom a été tourné avec un budget de court métrage. Certes je sortais de la Fémis, donc d’un circuit international. Mais mes 1ers films, par la bizarrerie de ce qu’ils racontaient, étaient dans une économie marginale. Le succès de Huit femmes, mon cinquième film, m’a fait entrer dans le mainstream. Et ensuite c’est allé très vite.

J’ai eu la chance d’avoir régulièrement des succès qui m’ont permis de faire toujours un peu ce que je voulais. J’ai aimé que régulièrement, certains de mes films marchent. Je connais certains cinéastes que j’admire qui n’ont jamais rencontré le public, et je sens que c’est une vraie blessure. 

Si pour toi la question de l’insuccès n’a pas été une souffrance, as-tu quand même eu à faire face, à d’autres endroits, à de vraies blessures ?

Oui, quand même. J’ai traversé parfois des choses difficiles. Je sais que j’ai souvent l’image d’un cinéaste très gâté, un peu heureux tout le temps. Mais je te rassure, ce n’est pas le cas (rires). C’est vrai que faire des films a quand même été pour moi la source d’un très grand plaisir plutôt que de grand tourments.

Certains films ont été de graves échecs, comme mon film anglosaxon, Angel (2007). Mais ce n’est pas forcément le plus dur. Quand je me suis trouvé à terre, j’ai trouvé la ressource pour me relever. C’est parfois après un grand succès que j’ai pu traverser des moments de doutes… J’ai pris conscience assez tôt que mes films ne feraient pas l’unanimité. Je sais aussi que beaucoup de gens aiment certains de mes films et en détestent d’autres. Pourtant, dans les deux cas, ces films, c’est moi. 

Sais-tu combien tu as tourné de longs métrages ?

Pas exactement. Un peu plus de vingt, je crois… Ça paraît beaucoup, mais c’est moins que Fassbinder qui est pourtant mort à 37 ans. En une année, il a déjà tourné sept films et monté deux pièces ! 

Fassbinder, c’est ton modèle absolu ?

Quand j’ai découvert son cinéma, j’ai éprouvé un déclic. J’ai eu l’impression qu’il résolvait des tiraillements que j’avais en tant que cinéphile et étudiant de cinéma. Autour de moi, il y avait des admirateurs de Straub et Huillet ou Godard, ou des fans de Spielberg, de Cassavetes…

Avec Fassbinder, j’ai rencontré un cinéaste qui assumait une forme de cinéma très impure, avec des pôles très différents, où le gout de la théâtralité rencontrait un rapport très fort au réalisme, un regard politique très acéré sur l’histoire de son pays aussi. J’ai été extrêmement séduit aussi par sa façon d’enchaîner les films, d’aller si vite. 

Un autre de tes modèles, c’est Claude Chabrol, non ?

Oui, tout à fait. J’ai eu la chance de le rencontrer. C’était un cinéaste très généreux, complètement dans le plaisir. Je peux me retrouver dans ce rapport à son métier. Et puis j’adore son regard ironique sur le monde, nuancé par une vraie forme de tendresse. 

Tu as fait beaucoup de films contemporains. Mais régulièrement, tu as aussi tourné des films d’époque. On sent dans ton cinéma une forme d’amusement et de gourmandise à styliser de façon très soignée le passé, les années 1920 dans Frantz, 1930 dans Mon crime, 1950 dans Huit femmes, 1980 dans Été 85, et assez souvent les années 1970 (Potiche, Peter Von Kant…)

C’est vrai. Je n’ai d’ailleurs pas encore abordé les années 1960. J’ai un rapport ludique au cinéma, qui vient vraiment de l’enfance, du plaisir à se déguiser. J’aime créer des univers. J’ai adoré, enfant, les films historiques, notamment ceux de Sacha Guitry comme Si Versailles m’était conté ou les films américains avec leur côté carton-pâte. J’aime quand la reconstitution se voit, c’est vrai.

Certains de mes films d’époque sont très stylisés comme Huit femmes ou Mon crime. D’autres moins, comme Frantz, où même le noir et blanc est utilisé comme un outil au réalisme. Été 85 est entre les deux. J’ai un peu forcé la note sur les costumes en habillant ces jeunes Français des années 1980 comme des héros de teen movies américains. Nous portions moins de bandanas, je crois, à cette époque (rires). Dans tous les cas, ça a à voir avec le plaisir de la fiction, le désir de prendre du champ avec le réalisme pour interpréter les choses. 

Est-ce que tu te sens proche d’autres cinéastes ? Ou as-tu l’impression d’avoir dessiné un parcours assez solitaire ?

J’ai des connaissances nombreuses, mais mes amitiés les plus fortes sont extérieures au cinéma. Je crois que j’aurais été pour appartenir à un groupe mais que souvent, on n’a pas voulu de moi (rires). Parce que j’ai rencontré le succès trop tôt, ou que j’ai fait des films qui partaient dans trop de directions…

Mais quand des réalisateurs me demandent de les aider en lisant un scénario, en allant voir un montage de leur film, je le fais très volontiers. J’ai de l’empathie pour les autres metteurs en scène. Et je suis toujours curieux de voir les films des autres.

As-tu le sentiment d’appartenir à une génération de cinéastes français homosexuels complètement out, peut-être la 1ère, comme Alain Guiraudie, Gaël Morel, Sébastien Lifshitz, Christophe Honoré… ?

Oui, sans doute… On est tous un peu les enfants des Roseaux sauvages. En ce qui me concerne, les deux cinéastes importants de ce point de vue-là dans mes années de formation sont André Téchiné et Pedro Almodóvar. Almodóvar a été décisif sur le kitsch, le queer, l’amour des actrices, l’érotisation des corps masculins.

De façon plus française, plus intériorisée, plus douloureuse aussi, Téchiné a aussi été une figure de père spirituel. Nous avons tous un regard différent sur la sexualité, le genre, l’identité. Mais je pense quand même qu’entre les films de Christophe et les miens, par exemple, il y a aussi des correspondances, une façon de se causer et se répondre.

Tu as souvent été nommé aux César dans les catégories meilleur film ou meilleur réalisateur, mais tu ne l’as jamais eu. Ça t’importe ? As-tu regardé la dernière cérémonie ?

Ça ne m’importe pas vraiment. J’ai à chaque fois été content d’être nommé et pas spécialement déçu de ne pas gagner. C’est un peu une loterie, je n’y accorde pas plus d’importance que ça. J’ai regardé la dernière cérémonie à la télévision avec des amis, donc de façon un peu distraite parfois.

Ce qui m’a marqué, c’est la disproportion entre le temps de parole accordé aux humoristes et celui accordé aux lauréats. Nadia a eu à peine le temps de causer que déjà la musique lui intimait de partir, alors qu’Alex Lutz a tout le temps qu’il veut pour faire des blagues. J’ai eu l’impression qu’il ne se passait pas grand-chose. Il y a trois ans, j’ai vécu dans la salle le moment où Adèle Haenel a quitté la cérémonie. Là, il se passait quelque chose. 

As-tu eu le sentiment, ce soir-là, que le cinéma français était déchiré ?

Ah oui, complètement. J’ai vu clairement des gens très installés dans le cinéma qui se réjouissaient que Polanski l’emporte. C’était peut-être le dernier moment de résistance. Enfin non, puisque cette année, aucune réalisatrice n’était nommée. Je dirais quand même qu’en trois ans, quelque chose s’est vraiment craquelé dans le vieux monde patriarcal. Et pas seulement dans le cinéma. Dans la société. Ça prend du temps, mais le regard change.

Propos recueillis par Jean-Marc Lalanne.