Gaspard Augé  : “Je suis devenu allergique à la pop song”

  Tu décris ton album solo comme “une aventure extraconjugale”, qui résonne jusque dans son titre Escapades. Comment a-t-il mûri parallèlement à la carrière de Justice ? Ce disque est un mélange de vieux titres qui datent d’une dizaine d’années...

Gaspard Augé  : “Je suis devenu allergique à la pop song”

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

 

Tu décris ton album solo comme “une aventure extraconjugale”, qui résonne jusque dans son titre Escapades. Comment a-t-il mûri parallèlement à la carrière de Justice ?

Ce disque est un mélange de vieux titres qui datent d’une dizaine d’années et de morceaux composés dans mon coin, à la manière d’un bloc-notes que je remplissais dès que j’avais une mélodie en tête pour l’enregistrer. Au final, j’avais suffisamment de matière digne d’être publiée. C’est un album qui s’est fait assez instinctivement et qui n’est pas, non plus, en réaction à Justice. Escapades est donc une double escapade en dehors du duo et des formats pop traditionnels, en collaboration avec de nouvelles personnes, pour une musique différente.

 

Une expérience salutaire, donc…

Tout à fait. Je suis devenu allergique à la pop song et à la posture souvent irritante du chanteur. Depuis quelques années, je n’écoute plus du tout de musique avec des paroles, même s’il peut y avoir ici ou là des voix ou des chœurs. J’écoute principalement des bandes originales de films et des disques d’illustration sonore. Il y a quelque chose de malhonnête dans la dictature du cool de la pop mainstream, particulièrement dans la représentation des artistes dans les vidéos. Au point d’en devenir parasitaire par rapport au plaisir de l’écoute.

In Utero est la 1ère cassette que j’ai achetée à 14 ans”

Cette défiance-là englobe autant la pop mainstream globalisée que la pop chantée en français ?

C’est un peu mélangé, même si le complexe de chanter en français n’existe heureusement plus. Ce n’est plus un questionnement, enfin, et c’est très bien ainsi. Ayant grandi à l’époque du grunge, c’était un problème pour les gens de ma génération. D’ailleurs, les paroles en anglais de nos groupes préférés étaient souvent indigentes. Que ce soit avec Justice ou en solo, je n’ai jamais voulu faire de morceaux qui évoquent notre quotidien, ce qui ne nous empêche pas d’adorer certains albums de folk. Selon moi, la musique est avant tout un exutoire et doit posséder un souffle épique pour dépasser la vie réelle, stimuler l’imagination.

On célèbre cette année le trentième anniversaire de Nevermind : quels sont tes souvenirs de Nirvana ?

J’étais le cœur de cible pour Nirvana (sourire). In Utero est la 1ère cassette que j’ai achetée à 14 ans. C’était l’époque où tu économisais pendant un mois pour t’acheter un CD, donc on saignait les albums jusqu’au bout. J’écoutais à fond Nirvana, Soundgarden et des groupes du label Sub Pop. Le grunge est une musique qui correspondait bien aux désirs adolescents et que je trouve plus compliquée à écouter a posteriori. Il y a trop d’affect, même s’il y avait un geste punk dans le grunge. C’est pareil pour le metal. Dans un réflexe d’identification, on avait tous envie d’avoir les cheveux longs et des chemises à carreaux. D’ailleurs, Pedro [Winter] est encore bien traumatisé par cette période (sourire).

Gaspard Augé chez lui, mai 2021 © Ella Hermë pour Les Inrockuptibles

Parallèlement à la sortie et à la promotion de ton disque solo, tu travailles actuellement avec Xavier de Rosnay sur le quatrième album de Justice…

Depuis Woman, on n’a jamais vraiment arrêté de faire de la musique, même en parallèle de mon disque. On a bossé sur plein de projets, parfois avortés, mais c’était intéressant de répondre à des commandes qui nous ont sortis de notre zone de confort.

“J’avais envie d’être en adéquation avec les disques instrumentaux que j’écoute quotidiennement”

Pour revenir à Escapades, quel·les sont les compositeurs et compositrices de chevet qui t’ont inspiré pour ce disque ?

Je citerais d’abord Alessandro Alessandroni, dont j’ai tellement usé la discographie. C’était le siffleur d’Ennio Morricone, qui a souvent été éclipsé par l’ombre du grand maître. L’illustration sonore est une musique fonctionnelle que je considère comme la plus créative et la plus pionnière dans plein de domaines. C’était le cas aussi pour des compositeurs français comme François de Roubaix, Alain Goraguer ou Bernard Estardy, qui, tout en réalisant de grandes sessions de studio pour le cinéma ou la variété, trafiquaient les instruments et bidouillaient dans leur coin. Dans leurs disques, il y avait une fraîcheur et une naïveté assez dingues.

“La force de la musique instrumentale est de pouvoir t’emmener très loin”

T’aventurer sur ce terrain instrumental était-ce aussi une manière de retrouver un rôle d’outsider ?

Proposer une musique bizarre ou moins populaire n’était pas mon moteur 1er. J’avais simplement envie d’être en adéquation avec les disques instrumentaux que j’écoute quotidiennement. En termes de viabilité, c’est forcément compliqué de sortir aujourd’hui un album qui ne comporte pas de ligne de chant, notamment par rapport aux canaux traditionnels de diffusion. Je ne sais pas à quand remonte le dernier tube instrumental à la radio, mais ce doit être un titre de Robert Miles [Children en 1995]. Pour autant, je reste attiré par les mélodies et les thèmes que l’on peut chantonner. Même si ce n’est évidemment pas à moi d’en juger, mon disque n’est ni du free jazz ni de la musique concrète ou du prog rock. Escapades reste accessible et accueillant.

 

 

D’une plage à l’autre, on pressent l’envie de faire naître des images mentales chez l’auditeur·trice, à la manière d’un cinéma qui enchaînerait indifféremment un film de Fellini avec de la science-fiction…

Bien sûr, c’est pourquoi on s’est bien arraché les cheveux sur le déroulé du disque, ainsi que sur les transitions. D’autant plus que l’ébauche du tracklisting devient une étape nostalgique quand on connaît les modes de consommation de la musique. Pourtant, le tracklisting, c’est comme une pièce de théâtre, avec un prologue, plusieurs actes et un épilogue. Pour Justice ainsi que pour moi, on tient beaucoup à la construction narrative d’un album, telle une invitation au voyage. Pour le clip de Hey!, la 1ère chose qui me soit venue à l’esprit lors de l’enregistrement du morceau, c’était l’image d’un cavalier mongol jouant du violon dans la steppe, une chevauchée épique avec une ambiance orientale. La force de la musique instrumentale est de pouvoir t’emmener très loin.

Le disque est très ancré dans le territoire européen, avec ces références à des compositeurs du cru, et notamment le titre Europa.

C’était important de rester sur le Vieux Continent et d’avoir ces espèces de filiations avec la musique classique, comme Debussy. En France, tout le monde suce un peu la roue des Etats-Unis comme si c’était “le truc” à faire. On a une spécificité européenne, avec une façon d’écrire particulière et un tissu émotionnel qui est plus riche que ce qu’il se passe aux Etats-Unis, où le spectre émotionnel se réduit à cause de l’appauvrissement du spectre musical. Dans la musique mainstream, même s’il y a plein de trucs que j’adore, tu es quand même toujours sur les quatre mêmes accords un peu attendus. Ce qui m’excite quand j’écoute un disque, c’est d’être surpris par le deuxième ou le troisième accord.

Gaspard Augé chez lui, mai 2021 © Ella Hermë pour Les Inrockuptibles

Le paradoxe de cet album solo, c’est que tu ne l’as pas fait en solo…

J’ai bossé avec Michael Declerck, ingénieur du son, et Victor Le Masne [aussi batteur de Housse de Racket], qui est un très bon pote. C’est un truc de rencontres et de hasards de la vie. C’est comme avec Xavier, cela nous fait marrer de remonter le plus loin possible dans le jeu du hasard : “Ah ouais, si tu n’étais pas sorti avec telle fille, on ne se serait jamais rencontrés !” C’est précieux de rencontrer des gens avec qui tu as la même sensibilité et les mêmes références. On s’est marrés d’un bout à l’autre en faisant ce disque. Il n’y avait pas de pression ni de réel enjeu.

C’était aussi une manière d’occuper le temps pendant cette période de pandémie ?

Pas vraiment, même si cela s’est un peu chevauché avec les confinements successifs. Car si le disque est fini depuis presque un an et demi, il y a eu ensuite la période de mixage, puis le travail sur les visuels, les clips, etc.

En parlant de visuel, on t’a d’abord connu comme graphiste, mais tu n’as pas réalisé la pochette de ton album…

Non, j’ai bossé avec mon vieil ami Thomas Jumin, qui a déjà travaillé avec nous sur Justice. Au début, j’avais une idée de pochette plus abstraite, avec un mur de briques cassé et un paysage idyllique derrière. Et puis on a tourné les vidéos en Turquie avec notre chef opérateur Jasper Spanning. Quand on a vu les images, il y avait ce côté grandiloquent, avec ces paysages de montagne et cette impression d’être dans une peinture de William Henry Powell. On a ensuite eu l’idée de rajouter ce diapason, qui est un symbole de musique qui collait bien à l’idée du disque et à son approche maximaliste. C’est aussi un gros clin d’œil à Hipgnosis, le studio qui a réalisé les pochettes de Pink Floyd.

Avec une référence à Tubular Bells de Mike Oldfield ?

L’idée traînait dans un coin de nos têtes. On aimait bien le côté collage et la confrontation d’un élément moderne et chromé avec le paysage en arrière-plan.

Gaspard Augé chez lui, mai 2021 © Ella Hermë pour Les Inrockuptibles

Tu as dû changer ta façon de travailler, revoir certains mécanismes, en t’éloignant de Xavier pour ce disque ?

Avec Xavier, on travaille dans un home studio amélioré. On n’a aucune limite de temps et on va se coucher quand on n’en peut plus. En enregistrant à Motorbass Studio et aux Studios du Futur de l’Audiovisuel, on avait des petites sessions d’à peine une semaine. Et comme il fallait que les efforts soient concentrés, cela nous a obligés à prendre des décisions plus rapides. Quand tu sais que tu peux tout modifier parce que tu as toute latitude, tu peux aussi être prisonnier de cette méthode dans le sens où rien n’est jamais fini. Donc l’urgence a ses avantages aussi.

“Tout un pan de la pop culture n’existera plus dans dix ans”

Comment vis-tu cette période d’absence de vie nocturne ?

Il y a eu pour certains une course à la créativité. Moi, au contraire, ça m’a donné du temps pour mûrir la musique et avoir le recul nécessaire. C’est pas mal dans une époque où tu as une obligation de publication et où les gens publient du contenu amateur et jetable tous les jours. C’est aussi une bonne chose de laisser reposer et de penser comment tu vas présenter ton disque à l’extérieur. D’ailleurs, c’est important de faire des objets physiques.

Tu penses faire partie des dernières générations sensibles à ces objets…

De fait, quand tu as grandi en achetant ton 1er album en cassette, c’est certain. Mais ce n’est pas non plus nostalgique. C’est, au contraire, une réflexion sur la pérennité d’une génération. Dans cinq ans, tout ce que les gens se sont échinés à faire sur Instagram aura disparu, et leurs enfants ne pourront jamais le voir. C’est presque une génération annulée. Tout un pan de la pop culture n’existera plus dans dix ans.

Gaspard Augé chez lui, mai 2021 © Ella Hermë pour Les Inrockuptibles

Est-ce que, au fur et à mesure du disque, avoir l’avis de Xavier était important ?

Je le lui faisais écouter assez régulièrement. Il y a des choses qu’il a aimées, d’autres moins. Globalement, il était bienveillant. Je sais que Captain est son morceau préféré du disque. C’est amusant de voir que ce n’est pas le titre dont je pensais qu’il allait s’enticher, et c’est bien.

Le split de Daft Punk a-t-il résonné de manière particulière chez vous ?

S’ils ont eu le sentiment d’être arrivés au bout d’un truc, je trouve ça noble et courageux de partir au pinacle. C’est toujours pathétique de voir des groupes continuer juste pour croûter, qui se détestent sans faire de la musique passionnante. J’ai vu un mème qui m’a fait marrer, où l’on voyait un mec bossant au McDo qui a arrêté de travailler là-bas et qui revient huit ans plus tard en disant : “Je démissionne.”

Escapades (Ed Banger Records/Because). Sortie le 25 juin