Ghetts : «J’ai l’impression que je viens tout juste de commencer ma carrière»
Alors que la scène du rap anglais n’a jamais été aussi prolifique, le rappeur Ghetts revient avec un nouvel album fourni en substances nommé Conflict of Interest. L’occasion d’échanger quelques mots avec lui. Cela fait maintenant près de vingt...
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Alors que la scène du rap anglais n’a jamais été aussi prolifique, le rappeur Ghetts revient avec un nouvel album fourni en substances nommé Conflict of Interest. L’occasion d’échanger quelques mots avec lui.
Cela fait maintenant près de vingt ans que le rappeur Ghetts prospère dans le paysage du rap au Royaume-Uni. Originaire du quartier de Plaistow à l’est de Londres, il a arpenté les radios pirates et les Cyphers pour promouvoir sa musique à l’aube des années 2000. Également ancien membre du N.A.S.T.Y. Crew au côté de têtes d’affiches de la grime comme Kano, D Double E ou encore Footsie, Ghetts se fait finalement un nom en soliste dès 2005. Après de nombreuses mixtapes, il bénéficie d’un certain succès avec sa mixtape The Calm Before the Storm pour finalement poursuivre sereinement sa carrière avec des sorties régulières.
Habitué à exécuter une prose remplie de sens et de conscience face au monde, Guetts garde sa ligne directrice avec sur troisième album Conflict of interest. Entouré de Skepta, Giggs ou encore Moonchild Sanelly, le rappeur nous a éclairés sur ses intentions avec cet opus.
Cela faisait trois ans que tu n’avait pas sorti d’album à la suite de Ghetto Gospel en 2018. Tu semble toujours prendre ton temps pour fournir des projets aboutis. Comment remplis-tu tout ce lapse de temps que tu t’accordes ?
Entre chaque album, j’aime prendre le temps de vivre afin d’avoir de nouvelles idées. Il y a toujours des hauts et des bas. Puis, avec tout ce que j’ai pu traverser, j’ai pu en tirer des conclusions pour devenir une meilleure personne. À l’inverse, lorsque je sors une mixtape par exemple, c’est beaucoup plus impulsif, avec une compilation de titres spontanés. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si mes dernières mixtapes se nomment Momentum. C’est une musique qui résulte d’un moment précis. A l’inverse, j’aime avoir des albums conceptuels et donc réfléchis de A à Z.
Pour cet album, tu as publié une série de vidéos qui reviennent sur ton parcours dès 2004. Pourquoi avoir choisi de sortir ces archives pour ce projet précisément ?
Cela fait un bon moment que je suis dans le rap et je sentais que c’était le bon moment pour revenir sur l’évolution de ma carrière. Beaucoup de personnes ne connaissent pas mon parcours alors je voulais évoquer ma propre histoire et qui je suis. Cela permet aussi de mieux comprendre le projet.
On peut voir que tu étais très bon pour les freestyles, en variant entre des flows plus lents et, de manière inattendue, un flow bien plus rapide. Certains rappeurs sont très bons dans ce domaine mais lorsqu’il s’agit de faire un album, c’est moins le cas. Toi tu as réussi la transition. Comment as-tu fait ?
J’ai toujours accordé de l’importance dans la mise en forme de la musique sous un aspect artistique. J’ai observé la forme que prenait de multiple album, quel que soit le genre. Je m’affranchis des frontières musicales pour proposer un rendu final complet. Alors lorsque je pense à la musique, je pense à des vibrations et des sons. De par ce processus, la barrière des genres tombe d’une certaine façon.
En parlant de briser les frontières entre les genres, sur le titre “Mozambique”, tu as collaboré avec l’artiste sud-africaine Moonchild Sanelly. Qu’est ce qui t’as poussé à l’inviter sur ton album ?
Tu sais quoi ? Cette collaboration entre Moonchild Sanelly et moi est tellement authentique. J’étais parti trois semaines en Afrique du Sud et nous avons eu l’occasion de nous rencontrer, rien n’a été fait à distance. Puis quand elle est venue en Angleterre, elle m’a appelé et je lui ai dit de me rejoindre en studio. Je suis très fière d’elle car elle représente l’Afrique du Sud tout en réussissant à collaborer avec Beyoncé sur la bande originale du Roi Lion ou dans le film Black is King.
Lorsque tu étais en Afrique du Sud, as-tu pu te connecter avec des artistes locaux ?
Dans la ville de Durban à l’est du pays, il y a une scène de rap qui émerge et ça me rappelle les premières heures du grime à Londres. Je pense à Nasty C en particulier qui fait beaucoup parlé de lui.
Je voulais revenir sur les clips vidéos que tu as sorti pour promouvoir l’album. A chaque fois, tu as ajouté des effets de peinture en post-production qui sont venus s’incruster sur les corps ou les objets. Y a-t-il une signification dernière ?
Tout à fait. Lorsque j’en mets sur les corps, la peinture vient représenter la mélanine qui constitue les pigments biologiques que l’on retrouve dans la peau notamment et qui varie la couleur par rapport à sa quantité. Les yeux en or que l’on retrouve régulièrement représentent cette mélanie chez l’homme noir qui en contient plus. Aussi, la couronne qui est souvent présente est là pour donner une représentation de roi ou de renne sur celui ou celle qui la porte par exemple.
Je voulais revenir sur le titre Proud Family qui est quelque peu différent des autres extraits que tu as pu sortir avant l’album. Dedans tu prends le temps de revenir sur ta propre famille, sur ton fils et ta fille. Comment est-ce que cela a pu impacter la façon dont tu conçois ta musique et ce que tu désires véhiculer avec ?
Je prend tout le temps en compte ma famille lorsque j’écris. Je garde en tête le fait que ma fille est assez âgée pour aller sur internet et donc voir ce que je fais. Je veux que quand elle voit mon contenu, elle soit fière de moi. Je ne dois donc pas basculer dans quelconque idiotie précipitée, ou des propos que je regretterai plus tard.
J’aimerai évoquer le son IC3 que tu as fait en collaboration avec Skepta. Le titre du morceau évoque le code qui classifie par couleur en Angleterre, et dont le numéro 3 est celui pour la couleur noire. Une telle démarche peut diviser et également créer de la discrimination. Peux-tu m’en dire plus à propos de cela ?
Cette classification, elle pose un gros problème lorsque la police arrête des personnes et utilise ce code pour les qualifier. Il y a un processus de déshumanisation en transformant l’humain en un simple code. Au lieu de se référer à un nom et un prénom, on réduit les gens à ces fameux codes chaque jour.
Dans le morceau “Mercy”, tu as invité deux rappeurs faisant partie de la nouvelle vague qui sont Pa Salieu et Backroad Gee. Tu as réussi à évoluer avec ces nouveaux codes musicaux. Que penses-tu de cette nouvelle mouvance qui s’étend hors des frontières anglaises ?
En ce moment, l’Angleterre est remplie de rappeurs talentueux et surtout un panel de sonorités encore plus large qu’avant. Depuis quelques années maintenant, les yeux du monde entier sont braqués sur nous, notamment avec Skepta qui s’est exporté à l’étranger par exemple. Je suis fier de prendre part à cette ébullition.
D’ailleurs, la tendance actuelle est la UK drill. Sur ton album tu as choisi de ne pas en mettre, chose qui aurait pu être une facilité pour rentrer dans la mouvance du moment. Pourquoi as-tu fait ce choix ?
Je ne m’empêche pas de faire des sons de drill bien sûr. Mais comme je te disais, je me base par rapport au ressenti plus qu’à un genre. Pour Conflict of Interest je ne me sentais pas inspiré pour de telles sonorités. Sinon je n’aurai eu aucun souci à en mettre. Même si j’en aurai mis, j’aurai incorporé ma propre patte artistique.
Pour cet album, tu as beaucoup travaillé avec le producteur TenBillion Dreams qui produit une majorité des pistes. Peux-tu m’expliquer ta relation avec ?
Sur ce projet, TenBillion Dreams est producteur exécutif ! A chaque fois qu’on travaille ensemble, ça donne quelque chose de fou, comme si on était des Avengers !
A propos des Avengers, tu as fait le morceau “Skengman” avec Stormzy. Dans le clip, tu es habillé en super-héros. Qu’est-ce que cela représente ?
A chaque visuel, je veux apporter quelque chose de différent, d’unique. Que quand les gens qui regardent se disent : “Qu’est-ce que c’est que ça ?”. L’idée est donc de trouver un nouveau concept à chaque fois. D’ailleurs le titre du son c’est Skengman qui est un mot signifiant beaucoup de chose. Cela peut être quelque est bon au micro, ou à l’inverse quelqu’un de mauvais, ou encore quelqu’un d’armé. La forme du mot fait penser à celle d’un super-héros.
Dans “Autobiography”, tu as une ligne qui dit qu’il y a beaucoup de troubles mentaux dans l’industrie du rap. Pourquoi, d’après toi, il y a autant de personnes touchées par cela ?
Dans l’art en général, il y a déjà une instabilité. Il y a cette recherche d’extraire des traumatismes enfouis en soi à travers la musique par exemple. Puis concernant l’audience, tout est très instable. Un jour ils t’aiment, le lendemain ils t’oublient. Donc rien n’est stable. On dépend de la validation des autres pour continuer à exister dans l’industrie. Il est difficile de te dire “j’en ai rien à faire des autres” si tu veux vendre des disques et vivre de la musique. De plus, avec internet les réactions sont accessibles et on peut être facilement touché. Les gens oublient souvent que derrière l’artiste, il y a un être humain, avec des réactions humaines.
Et toi, comment gères-tu cela ?
Je sais prendre l’amour que l’on me donne mais je suis également conscient que cet amour peut m’échapper à tout moment et que seul mon talent compte. Je m’en remets souvent à la prière. Qu’importe l’argent que je fais, qu’importe mon succès, je sais qu’il y aura quelqu’un plus connu ou riche que moi et qu’importe. J’aime ma vie. A partir de ce moment on peut se sentir heureux, en arrêtant de se comparer avec les autres.
Dans le dernier morceau de l’album Little Bo Peep, j’ai l’impression d’écouter la conclusion d’une vie, ou d’une carrière en revenant sur tes réussites mais aussi tes erreurs. A quelle étape es-tu actuellement dans ta vie ?
J’ai l’impression que je viens tout juste de commencer ma carrière, comme un renouveau où je connais la direction qu’il faut prendre et les accomplissements que je dois mener.