Godard nous a construit

Même les choses les plus redoutées finissent par arriver. Devoir faire face un jour à la mort de Jean-Luc Godard, professionnellement, mais aussi affectivement, était un sujet de hantise fréquent dans notre vie de journaliste aux Inrockupibles....

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Même les choses les plus redoutées finissent par arriver. Devoir faire face un jour à la mort de Jean-Luc Godard, professionnellement, mais aussi affectivement, était un sujet de hantise fréquent dans notre vie de journaliste aux Inrockupibles. Comment penser une courbe artistique aussi vaste, aussi porteuse de ruptures et d’innovations, sous le coup anéantissant de la nouvelle de sa perte ? À la mort de François Truffaut, Jean-Luc Godard, en dépit des violentes fâcheries qui avaient opposé les deux hommes, avait dit : “François nous protégeait. Grâce à lui, on n’osait pas trop dire du mal de la Nouvelle Vague.” Près de quarante ans plus tard, c’est l’idée même du cinéma comme art dont Godard était l’absolu bouclier. C’est évidemment à la fois une vérité et un fantasme, mais le cinéma paraît aujourd’hui un peu plus fragile sans lui. 

Un des prodiges de cette œuvre est d’avoir changé la face du cinéma mondial en seulement quelques années, peut-être même en un film, À bout de souffle – sans qui toutes les nouvelles vagues qui ont essaimé le monde dans les années 1960 n’auraient jamais déferlé. Godard a changé la façon de penser la mise en scène, de penser le récit, de penser le rapport entre l’artiste et l’industrie (tout cela Jean-Baptiste Morain le développe ici). Mais cette question – comment changer le cinéma –, il la règle très vite (disons en sept ans, d’À bout de souffle à Week-End). Et lui substitue ensuite une question plus complexe : comment excéder le cinéma, comment en sortir, comme le faire dégorger autre chose de lui-même ? Ce questionnement, il n’a cessé d’y trouver des réponses parmi les plus diverses, où à chaque fois le cinéma a visé son propre dépassement, que ce soit pour se muer en action politique ou intégrer le champ des sciences humaines – faire œuvre d’historien (plutôt que d’artiste) est peut-être son ambition la plus avouée de ces trente dernières années. Mais on pourrait tout aussi bien dire qu’il était sémiologue, linguiste, penseur, et sans doute psychanalyste – avec la société de son temps comme patiente riche en symptômes.

Notre numéro hommage en kiosque la semaine prochaine

Notre numéro d’octobre sera très largement consacré à cet embrasement des formes, des sens et de la pensée qu’a suscité l’œuvre de Godard. Se replonger dans ses films ne nous reconnecte pas seulement avec la marche du monde (ses ruptures esthétiques, ses bouleversement sociaux) sur soixante années, dont Godard a été l’exceptionnel sismographe. Cela nous reconnecte aussi à nous-même, à l’histoire de notre vie scandée par la découverte de son œuvre. Ces moments de prime-cinéphilie, au sortir de l’adolescence, témoignent que de telles ruades étaient possibles et que son anticonformisme était si stylé. Alors oui, Godard nous a construit. Godard nous constitue. 

Peu de temps après l’annonce de sa mort, le quotidien Libération nous apprenait que le cinéaste avait eu recours au suicide assisté. On ne mesure pas encore complètement l’effet de cette nouvelle en nous. L’admiration que suscitent la clarté et le tranchant d’une telle décision. Mais aussi un sentiment plus indistinct, le regret plus puéril de se dire que cette séparation aurait pu être encore un peu différée. “Il n’était pas malade, il était simplement épuisé, rapporte un proche à LibérationIl avait donc pris la décision d’en finir. C’était sa décision et c’était important pour lui que ça se sache.” Important pour lui que ça se sache. À l’heure où se prépare en France une consultation citoyenne sur le droit de disposer de sa propre mort, on ne saurait qu’être troublé par la façon dont pendant plus de soixante ans et jusqu’à son ultime décision, Jean-Luc Godard a toujours été au rendez-vous des interrogations les plus vives de son époque. Depuis déjà très longtemps, un des plus grands artistes de l’histoire. Mais aussi un des plus grands questionneurs du présent.