Homeshake et Cindy Lee : l’indie pop canadien se porte bien, merci pour lui

Peut-on échapper aux albums de Taylor Swift et de Billie Eilish ? La réponse est bien évidemment : oui. Même cerné·es, matraqué·es et invectivé·es que nous sommes par l’implacable machine marketing et l’engouement quasi sectaire des fans, il...

Homeshake et Cindy Lee : l’indie pop canadien se porte bien, merci pour lui

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Peut-on échapper aux albums de Taylor Swift et de Billie Eilish ? La réponse est bien évidemment : oui. Même cerné·es, matraqué·es et invectivé·es que nous sommes par l’implacable machine marketing et l’engouement quasi sectaire des fans, il est encore possible d’emprunter des chemins de traverse à l’abri des coups de semonce des deux blockbusters du printemps.

Le miroir déformant de l’indie pop a ainsi laissé entrevoir deux autres disques charriés par l’écume de ces tsunamis successifs, dont le spleen hypermoderne, déjà exalté à l’échelle interstellaire par Taylor et Billie, a essaimé dans les embruns.

Il y a d’abord eu CD Wallet, du Canadien Peter Sagar, plus connu sous le sobriquet Homeshake. Puis Diamond Jubilee, de son compatriote Patrick Flegel, agissant sous son nom drag de Cindy Lee. Le 1er est très court, 34 minutes pour 9 titres (un de moins que celui de Billie Eilish), et le deuxième très long, 2 heures et 20 minutes pour 32 morceaux (un de plus que Taylor Swift). Petit passage en revue. 

Homeshake CD Wallet (Dine Alone Records)

Sorti au mois de mars sans crier gare, le dernier album de Homeshake est très vite devenu notre refuge au creux de ce monde qui tourne trop vite, toujours plus vite. CD Wallet, avec ses rythmes plombés, son atmosphère de dimanche d’automne interminable et ses guitares lourdes et lancinantes, convoquait les souvenirs banales et coriaces d’un Peter Sagar de retour dans sa bonne vieille ville d’Edmonton, dans l’État de l’Alberta, où il a grandi.

La pochette de l’album égraine les motifs d’une adolescence passée dans les grandes suburbs du nord de l’Amérique à l’orée des années 2000 (une piaule jonchée de fringues à carreaux, de la moquette, des piles de CD, quelques bouquins mal rangés…), et rien d’autre que l’ennui ne se dégage de ce bourbier qui, pourtant, nous semble aujourd’hui si étrangement désirable : “Il n’y a dans ce disque que quelques trucs qui constituent la mémoire d’un événement spécifique. La plupart, c’est juste la réminiscence d’une époque où j’étais gosse et où je me soûlais derrière une benne à ordures. Rien de très profond là-dedans”, confiait-il à la revue Range

Les 9 morceaux de CD Wallet sont dominés par les guitares, rappelant autant les riffs exténués de Low que les envolées sourdes de Slint. Isolé du reste de la discographique du Canadien, dominée elle par une approche plus R’n’B low-key et synthétique, cet album sonne comme un geste d’une sincérité émotionnelle comme on n’en a plus été témoin depuis belle lurette.

En filigrane, Homeshake explique quelque chose d’aujourd’hui, du rapport à l’éther et à l’usage du souvenir, de la nostalgie du banal, de l’essoufflement des rêves de grandes aventures. Ici, il se souvient des après-midis au mall, à attendre le bus qui ne passait peut-être pas, de l’apathie. Pourquoi revenir à tout cela ? Et pourquoi avoir instinctivement recours à cette forme embrumée flirtant avec le shoegaze comme si c’était une évidence ? D’une certain manière, Peter Sagar a peut-être sorti en 2024 le meilleur album des années 1990. 

Cindy Lee Diamond Jubilee (Realistik Studios)

Avant de tomber sur le dernier album de Cindy Lee, il a fallu aller le chercher. Une chasse qui n’a pas demandé beaucoup d’efforts non plus, mais qui, dans une époque où tout est à portée de main, a le mérite d’engager l’auditeur·rice dans une démarche de participation active. Parce que Diamond Jubilee n’est pas disponible partout : on ne le trouve ni chez les disquaires ni sur les plateformes. Il faut se rendre sur cette page dédiée pour obtenir un lien de téléchargement ou alors l’écouter en un bloc de 2h20 sur YouTube. Si le cœur vous en dit, vous pouvez même faire un don. 

Derrière le sobriquet de Cindy Lee se cache Patrick Flegel, un Canadien originaire de Calgary (situé à quelque 300 bornes au sud d’Edmonton, toujours en Alberta) qui, à la fin des années 2000, a fait partie d’un groupe au destin funeste appelé Women – dont nous avons déjà eu l’occasion de causer aux Inrocks. Celui-ci était bruitiste, dissonant, mais mélodique, comme si les mélopées pop, dissimulées à dessein par les machines, les striures des guitares et le boucan des batteries nous parvenaient tel le signal faible d’une mémoire lointaine et psychédélique. Après le split tragique du band, une partie de ses membres va créer Viet Cong (qui deviendra par la suite Preoccupations), et Flegel la jouera solo, sous son nom drag : Cindy Lee. 

En tant que telle, Flegel a délivré trois albums avant Diamond Lee, lesquels témoignent d’une trajectoire allant de la performance expérimentale sonore vers le songwriting, sous haute influence pop. Pop ? Mais quelle pop ? La sunshine pop, celle des Ronettes, avec un goût pour les groupes de filles qui donnent aussi dans la soul. Sauf que, à l’instar de Women, Cindy Lee propose une revisite bruitiste, tout en échos, larsens et saturation. 

Son dernier disque n’échappe pas à la règle, mais s’étend sur 32 morceaux de façon totalement libre et protéiforme, ce qui donne l’occasion à Flegel de flirter avec plusieurs genres, comme la synth-pop (Gayblevision), le disco, la funk lo-fi, la guitare surf, le shoegaze et les ambiances lounge à la Les Baxter. Si cette somme contient énormément de chansons, et pas seulement des errances bruitistes ou autres sketchs sonores, celles-ci nous parviennent encore et toujours en sourdine, comme un signal spatial relayé par un routeur cosmique, lui-même relié à un satellite. 

Vintage, rétro, Cindy Lee ? Non, ultra-contemporaine là encore. La forme, d’abord, qui ressemble à un flux ininterrompu faisant écho aux flux qui nous entraînent dans le courant informationnel toujours un peu plus chaque jour, mais aussi parce que, dans le fond, à l’instar du bel album de Homeshake, Diamond Lee convoque la mémoire, le souvenir, la réminiscence spleeneuse d’un temps enfoui.

Si chez Homeshake, cette convocation se fait de façon frontale et très personnelle, chez Cindy Lee, elle est plus oblique, personnelle aussi, mais beaucoup plus virale et lynchéenne. Diamond Lee n’est pas l’expression du spleen du chanteur dans la radio, mais celle de la radio elle-même, pleine de la mémoire de la musique enregistrée et des émotions que celle-ci a généré à travers les âges. 

CD Wallet et Diamond Lee, deux vertiges.