Idles : ““Crawler”, c’est le récit d’un homme en lutte avec ses démons et le monde extérieur”

Ultra Mono est sorti en septembre 2020. Pourquoi avez-vous choisi de revenir aussi vite ? Mark : À vrai dire, on n’avait pas vraiment prévu de sortir un nouvel album. Au moment d’enregistrer Ultra Mono, le plan était plutôt de sortir ce disque...

Idles : ““Crawler”, c’est le récit d’un homme en lutte avec ses démons et le monde extérieur”

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Ultra Mono est sorti en septembre 2020. Pourquoi avez-vous choisi de revenir aussi vite ?

Mark : À vrai dire, on n’avait pas vraiment prévu de sortir un nouvel album. Au moment d’enregistrer Ultra Mono, le plan était plutôt de sortir ce disque et de tourner pendant près de deux ans avec. Forcément, la pandémie est venue perturber tous ces projets… Étant dans l’incapacité de donner des concerts, ce qui est un comble quand on pense à la façon dont on a envisagé Ultra Mono, on s’est dit que c’était l’occasion pour nous de travailler de nouveaux morceaux. Au final, Crawler est né assez rapidement.

Joe : On a même attendu avant de le publier, histoire de laisser vivre un peu Ultra Mono, même si j’ai encore du mal à imaginer comment les gens ont pu comprendre l’essence de ce disque en l’écoutant simplement à domicile. À l’inverse de Crawler, très sophistiqué et complexe, Ultra Mono était vraiment taillé pour le live.

Mark : C’était une version exagérée d’Idles, une caricature poussée à l’extrême de ce que nous sommes. On a proposé la version la plus bruyante et effrontée du groupe, dans l’idée de tout brûler, de ne plus jamais revenir en arrière et de renaître avec Crawler.

Joe : Idles est mort, vive Idles !

>> À lire aussi : “Ultra Mono”, album surpuissant d’IDLES

À l’écoute de l’album, on n’a pourtant pas l’impression que vous, Joe, vous soyez totalement débarrassé des épreuves que vous avez pu traverser ces dernières années…

Joe : Ce disque cause à la fois des pires années de ma vie et des meilleures. Ce sont les mêmes, mais elles sont à la fois déplorables et brillantes. Alors, oui, j’avais besoin de les digérer, d’en causer. Enfin. C’est sans doute pour ça que Crawler s’entend comme le récit d’un homme en lutte avec soi-même, avec ses démons et avec le monde extérieur. Ce n’est peut-être pas très joyeux à entendre, mais c’est une réalité. Je suis sûr que ça peut faire écho chez des gens. Et ça me rend heureux d’extérioriser tout ça, je me sens en vie.

Ce sont ces épreuves qui vous incitent à expliquer les déviances de la nature humaine ?

Joe : D’après moi, l’art est une excellente façon d’exorciser toutes les frustrations, les craintes ou les failles que les gens ont en eux. C’est une béquille, un tour de magie qui permet à quiconque de pouvoir éventuellement comprendre ce que l’autre ressent. C’est l’occasion d’évacuer dans un environnement très sain, très sûr, toutes ces merdes auxquelles on fait face au quotidien. Je ne dis pas que tous les groupes doivent agir ainsi, mais on a toujours été transparent par rapport à nos vies. Crawler, c’est donc une réflexion sur moi-même, sur mes erreurs et sur la façon dont j’évolue, dont je fais face à mes responsabilités.

“La musique et les autres gars d’Idles m’ont sauvé la vie.”

À quelles responsabilités faites-vous allusion ?

Joe : Au fait d’être sobre. Je l’ai été pendant deux ans, je ne le suis plus. On a beau m’avoir dit que je ne suis plus la même personne après avoir bu une bière, que je ne suis pas aussi bon quand je bois, en tant qu’homme ou musicien. J’ai beau savoir que l’accident qui a donné naissance au titre Car Crash est dû à mon addiction, c’est toujours aussi dur de gérer des phases de dépression.

Ne pensez-vous pas que le fait d’être sur scène toutes les semaines n’aident pas à rester sobre ?

Joe : Ce serait une excuse de penser ainsi. Les concerts n’ont pas fait de moi un addict, c’est mon incapacité à gérer des émotions qui me poussent à agir de cette façon. J’ai réussi à rester sobre pendant deux ans alors qu’il y avait de l’alcool à tous les coins de rue, en backstage, etc. J’ai même compris que ça desservirait notre public si j’arrivais sur scène complètement défoncé, tout simplement parce que la meilleure version de moi-même n’est possible que lorsque je suis sobre. C’est à ce moment-là que je suis au top physiquement et mentalement. Pourtant, je replonge… C’est à moi de ne pas tout gâcher.

Est-ce que la musique vous aide à aller mieux ?

Joe : La musique et les autres gars d’Idles m’ont sauvé la vie, c’est une évidence. Sans eux, je serai probablement mort ou dans un état lamentable, à végéter à droite et à gauche.

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Sur le plan musical, The Beachland Ballroom sonne comme la chanson d’un vieux crooner…

Mark : On voulait explorer la musique que l’on aime, celle que l’on aimerait créer, expérimenter des sonorités que l’on imaginait jusqu’alors inaccessibles. D’où l’influence des productions de Phil Spector et des mélodies de la Motown sur cette chanson. L’identité d’Idles est toujours là, mais on sent l’arrivée de nouveaux éléments.

Joe : Le confinement a rendu le temps précieux. Quand tu as compris que tu as la chance d’avoir ce temps, tu prends conscience qu’il faut le bonifier et proposer de l’inédit, ne pas se contenter de faire semblant avec des mélodies déjà entendues. Aussi, on voulait assumer notre amour pour la soul, un genre tellement plus violent et profond que ce que l’on peut trouver dans le rock ou le punk.

Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir fait d’Idles un groupe de soul ?

Joe : En un sens, c’est ce qu’on est déjà. On chante à propos de l’amour et de la perte, on cause d’une force intérieure, de la nécessité de se battre : c’est assez similaire à ce que l’on retrouve dans le répertoire d’un bon artiste de soul. Il n’y a que la forme qui change, le fond est profondément lié à notre âme.

Sur The Wheel, vous chantez : “Can I get a Hallelujah”. Vous avez eu une éducation religieuse ?

Joe : Ma famille est catholique. Moi-même, je suis allé à l’église et à l’école catholique. Je ne suis plus pratiquant depuis longtemps, mais la religion continue de jouer un rôle important au sein de notre musique.

Mark : C’est une évidence. Étant né à Belfast, la religion fait partie de mon identité : en Irlande, ça influence ton orientation politique, ta classe sociale, etc. On ne peut pas y échapper, ça fait partie de nos vies et ça se reflète dans la façon dont on cause du monde.

Joe : On vit dans un pays chrétien, c’est évident que ça a influencé notre rapport à la vie, notre vision du bien et du mal, notre façon de rechercher l’amour, notre rapport à Dieu, notre peur ou non de la mort, etc.

“Personnellement, je suis reconnaissant de tous ces échecs, de tous ces moments de doute qui ont permis au groupe de grandir et de se construire.”

La fin de l’album est plus nerveuse, peut-être même plus brutale. D’où vient ce désir ?

Joe : C’est juste la vie, une réaction à mes humeurs. Au quotidien, j’aime autant Otis Redding que Death Grips, James Blake que des girls bands. Musicalement, ça se traduit ainsi.

Mark : On s’est toujours vu comme un cheval de Troie au sein de l’industrie musicale. On se sait très chanceux d’avoir un public aussi loyal, nombreux et intéressé par notre musique. À nous de l’amener dans différentes directions. La fin de l’album correspond à cette volonté : maîtriser des formes et des émotions plus violentes

À ce propos, Idles existe depuis une dizaine d’années, dont quatre ou cinq ans particulièrement riches en succès. Vous ne pensez pas que les groupes manquent trop souvent de temps pour se construire une identité, définir leur son et développer leur carrière ?

Mark : Avoir le temps est définitivement un privilège. Personnellement, je suis reconnaissant de tous ces échecs, de tous ces moments de doute qui ont permis au groupe de grandir et de se construire. On a joué dans des clubs miteux pendant près de dix ans avant que quelqu’un s’intéresse un tant soit peu à nous, avant de comprendre que l’on était capable de produire un certain type de morceau et ne pas être simplement la réplique d’un autre groupe.

Joe : Une œuvre a besoin de temps pour prendre forme et grandir. On a connu tous ces questionnements. À présent, on ne veut plus s’ennuyer.