Inspiré par le récit de David Grann, “Killers of the Flower Moon” de Martin Scorsese déçoit

Si on s’en tenait uniquement à son sujet, Killers of the Flower Moon serait immanquablement un grand film tant cette affaire de spoliation de la tribu native Osage, inspirée par des faits réels et adaptée d’un livre de David Grann (traduit...

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Si on s’en tenait uniquement à son sujet, Killers of the Flower Moon serait immanquablement un grand film tant cette affaire de spoliation de la tribu native Osage, inspirée par des faits réels et adaptée d’un livre de David Grann (traduit en 2018, aux éditions Globe), est passionnante en soi. Véritable allégorie du capitalisme prédateur et raciste, le dernier long métrage de Martin Scorsese prend la forme d’un récit criminel et familial qui plonge dans les soubassements de l’histoire américaine – nous sommes au début des années 1920.

Conçu telle une fresque qui fait l’aller-retour entre l’intime et le politique, le film explique d’abord une série de crimes. Comme dans ses films de mafia, Scorsese passe ainsi un temps non négligeable à nous montrer la sauvagerie à l’œuvre, à nous placer, nous spectateur·rices, du côté du Mal. Un Mal qui prend les traits d’une relation perverse entre William Hale, patriarche matois et monstrueux (Robert De Niro, très inquiétant), et Ernest Burkhardt, son neveu quelque peu crédule (Leonardo DiCaprio, affublé d’une prothèse à la mâchoire un peu gênante).

Comment la perversion peut se muer en rapport amoureux

Mais le point fort du film réside en une autre relation, celle d’Ernest Burkhardt et Mollie, qui appartient à la tribu Osage, qu’Ernest a épousée pour son argent et dont la mère et deux sœurs seront assassinées – interprétée par Lily Gladstone, c’est le plus beau personnage de Killers of the Flower Moon. Entre ces deux-là existe toute une gamme de sentiments ambigus, et le récit dévoilera comment la perversion, d’une manière à la fois tordue et cruelle, peut se muer en rapport amoureux. La prise de conscience tardive de Burkhardt devient ainsi la question centrale de la dernière partie du film, la plus réussie.

Scorsese semble avoir renoncé à une grande part de sa virtuosité de filmeur

Loin de se concentrer uniquement sur cette relation, pendant les 3 h 26 que dure son film, Scorsese cherche surtout à brosser un tableau global des dynamiques entre prédateurs blancs et victimes autochtones. Il se noie dans un luxe de détails et de plans qui s’enchaînent sans discontinuer et qui nous donnent la sensation d’une mise à plat parfois un peu vaine, et souvent étouffante. Dans Killers of the Flower Moon, toutes les scènes ont le même statut, ce qui produit une narration qui manque singulièrement de relief. On aurait préféré que cette exploration de “la banalité du mal” s’accompagne d’un vrai point de vue, ce qui n’est pas vraiment le cas dans ce film qui se disperse et ne veut pas choisir.

Comme dans son avant-dernier long métrage, The Irishman (2021), Scorsese semble avoir renoncé à une grande part de sa virtuosité de filmeur. Ce qui, au départ, est perçu comme une salutaire métamorphose devient finalement un handicap. Car cette sobriété nouvelle, qui ressemble parfois à un prosaïsme un peu fastidieux, participe au nivellement d’un récit qui manque notablement de lyrisme. Traversé par quelques beaux éclats – notamment les séquences entre Ernest et Mollie –, Killers of the Flower Moon peine, au final, à se situer au très haut niveau auquel il semble aspirer en permanence, celui d’une ample tragédie politique et intime.

Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese, avec Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Lily Gladstone, Jesse Plemons (É.‑U., 2023, 3 h 26). En salle le 18 octobre.