Isabelle Adjani : “Le désir est par essence révolutionnaire”

Quel est pour vous le critère du sexy ? J’ai l’impression que le mot sexy a perdu sa charge érotique depuis un bail. On dit “sexy” comme on dit “joli”, un petit haut sexy, une robe sexy… Sexy, c’est devenu presque mignon dans le monde des femmes...

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Quel est pour vous le critère du sexy ?

J’ai l’impression que le mot sexy a perdu sa charge érotique depuis un bail. On dit “sexy” comme on dit “joli”, un petit haut sexy, une robe sexy… Sexy, c’est devenu presque mignon dans le monde des femmes parce qu’on a compris que dans la tête de certains hommes sexy était synonyme de “allez-y” ! Sexy pour moi, c’était l’impertinence d’une féminité conquérante, le droit d’assumer ses désirs tout en soulignant leur maîtrise, c’est celle qui dit oui, qui dit non… et je ne suis ni une poupée ni une pépée ! En revanche les hommes sont devenus sexy : les femmes ont pu alors causer sans complexe de leur petit joli cul, de leurs lèvres gourmandes… ou d’autres attributs d’un homme objet obscur de nos désirs…

Est-ce que cela vous paraît désirable d’être considéré·e comme sexy ?

Est-ce que ce mot cause encore aux femmes ? Que dit-il de leur sensibilité, de leur sensualité, de leurs charmes, de leur puissance érotique… ? Je préfère à tout bien considérer le mot désirable qui ouvre un imaginaire érotique, une carte du Tendre et de la sexualité où femmes et hommes ne peuvent avancer que s’ils se respectent.

Est-ce que cela vous a déjà paru lourd d’être considérée comme sexy ?

Oui, vraiment, je me souviens de L’Été meurtrier, j’étais gênée quand je sentais dans le regard de certains qu’on me confondait avec le personnage justement, un peu comme ceux qui ont confondu la libération des femmes avec prendre des libertés avec les femmes : si elle s’habille sexy, c’est forcément qu’elle est prête à donner ce que j’ai envie de lui prendre. Ça vous donne immédiatement envie de ne plus porter que des robes chasubles et des cols Claudine ou d’annuler tout regard de désir sur votre corps en sabotant sa ligne ! Ce qui m’est arrivé… Alors que si la minijupe revient, c’est pour dire encore aujourd’hui “pas touche, attention, je suis libre et farouche !!!”

Avez-vous déjà été heurtée par des expressions brutales de désir ? Avez-vous du apprendre à vous en protéger ?

Il y a la brutalité du désir qu’on ressent, qu’on exprime, qu’on libère, qu’on partage, le désir passionné. À ne pas confondre avec le désir brutal unilatéral qui vous agresse. J’ai appris au fil du temps à me protéger des deux. Du 1er pour ne plus m’abandonner et me perdre, du second pour défendre mon intégrité, ma dignité, ma liberté.

Avec quels modèles de masculinité et de féminité avez-vous grandi ?

Mon père incarnait sans aucun doute la domination masculine sous sa forme la plus patriarcale par rapport à sa fille, par rapport à moi. C’était différent avec ma mère qui, à sa façon, était une femme assez libre, qui avait quitté mari et enfants pour le suivre, mais qui a capitulé face à une société jugeante où ces femmes ont dû rentrer dans le rang et s’effacer pour protéger leur famille, leur réputation, avec des choix impossibles.

“Jouer Agnès dans L’École des femmes symbolise la fin de mon innocence, le passage dans la responsabilité, mon devenir féminin”

Avez-vous le sentiment d’avoir eu à déconstruire des stéréotypes de genre transmis par l’éducation ?

La déconstruction des stéréotypes de genre est une analyse assez récente et novatrice. L’injonction de Simone de Beauvoir nous a guidées pour sortir de l’anatomie et prendre place, notre place dans le social, dans la société à hauteur d’homme pour revendiquer et faire respecter nos droits à égalité. Nous sommes en un sens passées de la nature à la culture même si dans le monde de la culture, l’égalité est loin d’être acquise encore aujourd’hui ! La culture m’a sauvé de mon destin de fille. En y réfléchissant bien, je me dis que jouer Agnès dans L’École des femmes symbolise la fin de mon innocence, le passage dans la responsabilité, mon devenir féminin, alors qu’on ne devrait pas être sérieuse quand on a 17 ans…

Vous souvenez-vous de vos 1ères émotions érotiques ? Étaient-elles liées à des images ?

Des images suggérées par les sons, par les mots… Phèdre de Racine, rien de plus classique, rien de plus bouleversant que les mots d’une étreinte désirée, imaginée, plus forte que la chair elle-même :

“Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais causer
Je sentis tout mon corps, et transir et brûler”

Ça déchire, non ?

Dans La Reine Margot, votre personnage dit à un de ses partenaires sexuels : “Je veux que tu me fasses entrevoir l’image de ma mort” ? Comment entendez-vous ces mots ? Vous sentez-vous proche de cet imaginaire qui lie Éros et Thanatos ?

Cette formulation extrême du désir par Margot, que l’on entend aussi dans “Tu me tues, tu me fais du bien” [dialogue écrit par Marguerite Duras pour Hiroshima mon amour d’Alain Resnais], exprime la tension absolue que la sexualité introduit dans le réel par-delà bien et mal, elle fait exister la passion dans toute sa fureur, dans toute sa terreur : aimer à en mourir, aimer jusqu’à renoncer à la vie, à sa vie, à ce qui fait sa vie, son être, aimer à la folie, aimer jusqu’à la mort de l’amour, l’amour à mort ; chez moi, Ondine, Margot, Adèle, Camille et d’autres…

“L’éducation peut jouer un rôle libérateur important pour là encore dé-moraliser les pratiques sexuelles, faire exploser certains tabous”

Est-ce que le désir est lié pour vous au langage, aux mots, à la parole ?

Il peut naître dans le silence mais un silence éloquent, un silence qui en dit long, un silence qui finit toujours par prendre la parole et donne aux mots le pouvoir d’incarner la chair. Il y a une mystique du désir que le christianisme exprime avec fulgurance : le verbe s’est fait chair… et quid de la chair s’est faite verbe… ?

Est-ce que vous pensez que le rapport à son plaisir s’éduque ? Est intuitif ?

L’éducation devrait nous permettre de respecter nos désirs, de ne jamais les considérer comme des monstres. Le désir est par essence révolutionnaire, disruptif, c’est le désordre des sens, non ?! Le plaisir c’est le champ d’expérimentation et l’éducation peut jouer un rôle libérateur important pour là encore dé-moraliser les pratiques sexuelles, faire exploser certains tabous… sans empêcher de définir ses propres limites, au contraire… et puis de dire oui… et de dire NON… pas la peine de vous faire un dessin ?

La sexualité est-elle selon vous un lieu de combat politique et de quelle façon ?

La guerre des sexes n’aura pas lieu pourtant les femmes semblaient l’avoir perdue… mais elles se sont battues, ça change… car les femmes se battent depuis très longtemps pour investir le politique autrement que comme des connes qu’on sort avec les parures accordées par les hommes… J’ai découvert Lysistrata la pièce d’Aristophane : les femmes font la grève du sexe pour que les hommes arrêtent de faire la guerre ! La sexualité est un sport de combat… politique !!!