Israël / Palestine: l'Égypte, une "boîte aux lettres" incontournable

MOYEN-ORIENT - “On soutient l’idée d’une médiation égyptienne, parce que les Égyptiens -comme les Jordaniens- causent à tout le monde dans la région.” Voici ce que déclarait ce lundi 17 mai Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement français,...

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Alors que les troubles entre Israël et les Palestiniens ont déjà fait des dizaines de morts, l'Égypte est chargée de la médiation entre les deux acteurs (photo prise le 16 mai, à l'occasion d'une frappe israélienne contre Gaza).

MOYEN-ORIENT - “On soutient l’idée d’une médiation égyptienne, parce que les Égyptiens -comme les Jordaniens- causent à tout le monde dans la région.” Voici ce que déclarait ce lundi 17 mai Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement français, au matin d’une visite du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi à Paris pour rencontrer Emmanuel Macron et évoquer notamment les affrontements entre Israël et les Palestiniens qui endeuillent tragiquement le Moyen-Orient ces derniers jours. 

L’Égypte donc, pour tenter de faire communiquer deux parties qui s’enfoncent dans une crise toujours plus violente, et faire mieux que le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, incapable d’aboutir à une déclaration commune dimanche.

Un choix logique de la part de la communauté internationale, mais aussi une sélection par défaut, comme l’expliquent au HuffPostDidier Billion, directeur adjoint de l’Institut de Relations internationales et Stratégiques (IRIS) et spécialiste du Moyen-Orient, et Béligh Nabli, chercheur associé au Ceri de Sciences Po et auteur de “Géopolitique de la Méditerranée”. 

Un facilitateur indispensable

“Historiquement, l’Égypte avait un rôle géopolitique tout à fait incontournable”, rappelle d’emblée Didier Billion, en référence à l’importance régionale du pays que ce soit sous Nasser, el-Sadate ou Moubarak, qui explique que l’Égypte ait régulièrement au cours de l’Histoire récente eu à tenir ce rôle de médiateur entre les différentes entités palestiniennes (le Hamas et l’Autorité palestinienne) et l’État d’Israël. Un poids renforcé par le fait que les Égyptiens ont été les 1ers dans le monde arabe à ouvrir des relations diplomatiques avec Israël, ce qui demeure aujourd’hui encore un “symbole fort”, insiste le chercheur.

Surtout, l’Égypte suit de très près ce qu’il se passe à Gaza, ajoute Didier Billion. Ses services de renseignement y sont actifs et disposent d’une réelle connaissance du terrain, notamment mise à profit dans le cadre d’une coopération sécuritaire avec l’État d’Israël. Ainsi, parce qu’ils gèrent conjointement la situation à Gaza (en fermant les frontières par exemple, ou en les ouvrant pour accueillir des blessés durant les troubles en cours), l’Égypte et Israël dialoguent très régulièrement. Ce qui fait dire au géopolitologue que l’Égypte tient “un rôle de facilitateur tout à fait indispensable” entre les deux parties.

Mais c’est aussi une “intermédiation opportune” qu’accomplit l’Égypte, complète Béligh Nabli, faute d’un autre intermédiaire, plus puissant peut-être, qui souhaiterait intervenir dans le conflit israélo-palestinien. En effet, si l’Égypte entretient “une relation diplomatique normalisée et fondée sur un accord de paix avec Israël”, poursuit le chercheur, et qu’elle discute avec les différentes entités palestiniennes, sa légitimité aux yeux des deux adversaires reste limitée.

Béligh Nabli explique ainsi que le pays gère, du fait de sa situation frontalière avec Gaza, le blocus des territoires palestiniens, et que le Hamas (le puissant parti islamiste armé palestinien) est vu par le gouvernement d’al-Sissi comme un cousin des Frères musulmans contre lesquels l’Égypte lutte sur son propre sol. Ajoutons à cela l’impossibilité pour les Égyptiens, s’ils veulent conserver une image positive dans le monde arabe, de trop s’aligner sur la politique israélienne, et l’on comprend aisément que leur position de médiateurs est aussi logique que leur champ d’action est restreint. 

Comme le rappelle Béligh Nabli, en d’autres temps, un acteur bien plus puissant aurait pu s’imposer comme “gendarme” de la région et arbitrer ce duel létal. “C’est un vide relatif qui met en lumière une puissance régionale comme l’Égypte”, décrypte l’universitaire. Il évoque à cet égard le retrait des États-Unis de la région depuis la fin du second mandat de Barack Obama, ainsi que le soutien inconditionnel apporté par l’administration de Joe Biden à l’État d’Israël qui empêche le Conseil de sécurité de l’ONU de jouer son rôle, les Américains coupant court à toute éventualité de compromis.   

Aucun autre acteur ne se positionne

Mais alors pourquoi aucun autre acteur régional n’a-t-il pu s’emparer de ce rôle d’intermédiaire entre Israël et les Palestiniens? Pour revenir aux États-Unis, Didier Billion insiste sur le refus des Américains de “mettre les mains dans le cambouis” au Moyen-Orient. “Joe Biden, qui connaît bien le dossier, sait qu’il n’a que des coups à prendre en intervenant, et il sait très bien qu’il n’arrivera pas à modifier la ligne politique de l’État d’Israël sans déployer beaucoup d’efforts et d’énergie.” 

Pour d’autres raisons, il en va de même pour les différents acteurs de la région. La Jordanie par exemple, comprend une importante population palestinienne sur son territoire et des liens très forts se sont noués entre les deux peuples, “ce qui rend très délicate une intervention du prince” dans le conflit, précise Béligh Nabli. Les monarchies du Golfe, au 1er rang desquelles les Émirats arabes unis, sont elles à peine en train de normaliser leurs relations avec Israël, et leur population -qui considère les Palestiniens comme un peuple frère- ne verrait pas d’un bon œil un nouveau pas dans la direction d’une puissance considérée comme “occupante et coloniale”, ajoute le chercheur. 

Quant à l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane, qui elle aussi tend petit à petit à un rapprochement avec Israël, toutes ses tentatives pour prendre des initiatives politiques régionales se sont soldées par des échecs, reprend Didier Billion. Il cite à ce propos les péripéties de Saad Hariri, la guerre au Yémen dans laquelle les Saoudiens sont embourbés, l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, le blocus contre le Qatar qui s’est terminé par un échec... Ainsi, alors que “MBS” voudrait se rapprocher encore un peu plus d’Israël, il est empêché dans son élan par une opinion publique qui reste attachée au monde arabe et par son père, le roi Salmane, “qui a peut-être freiné les intentions ”, dit Didier Billion, qui rappelle que la cause palestinienne est toujours “prétendument sacrée” en Arabie saoudite. 

Un allié naturel de l’Occident et des acteurs locaux

En clair, l’Égypte profite à la fois de son passé, de son présent et du vide autour d’elle pour être considérée comme la seule à même d’être l’intermédiaire dans le conflit israélo-palestinien. Et cela la sert. 

Car depuis la fin de la présidence d’Hosni Moubarak et du fait de la période révolutionnaire, l’Égypte cherche à retrouver sa place sur la scène régionale. “On a un régime de plus en plus autoritaire et personnalisé autour d’al-Sissi, ce qui se prolonge par des volontés de rayonnement au-delà des frontières pour s’affirmer comme une puissance régionale”, explique Béligh Nabli. Et on l’a vu, par rapport aux autres pays incapables de s’emparer de ce rôle, il est bien pratique d’avoir un acteur incontournable pour remplir cette mission d’intermédiation. Car Béligh Nabli l’assure: si l’Égypte joue ce rôle, c’est bien parce qu’elle se sait soutenue par les monarchies du Golfe, l’Arabie saoudite, mais surtout par les chancelleries occidentales et notamment les États-Unis. Ce qui fait de l’Égypte “un allié naturel de l’Occident” dans la région. 

D’autant que l’Égypte profite de ce rôle de médiateur pour conforter sa place au-delà du Moyen-Orient. “C’est un moyen aussi pour les Égyptiens de rappeler aux puissances occidentales qu’ils sont des partenaires fiables, qu’ils peuvent être des points d’appui”, continue Didier Billion, alors même que le président al-Sissi a été reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron et que la France a répété sa confiance à l’Égypte. Contrairement à des pays plus jeunes, comme les Émirats par exemple, “l’Égypte joue son rôle avec un certain savoir-faire, avec une maîtrise du travail diplomatique”, ajoute le chercheur. Un passé et une place sur la scène mondiale qui ne sont pas neufs et qui se voient aussi dans la vente d’avions de combat “Rafale” par la France, mais aussi le fait que les Français aient été au côté des Égyptiens et contre les Turcs dans le conflit en Libye. 

Ce lundi 17 mai, le président français Emmanuel Macron a reçu son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, pour évoquer le rôle de l'Égypte dans la médiation entre les entités palestiniennes et l'État d'Israël.

Reste que les deux experts interrogés restent unanimes: l’Égypte a beau être soutenue dans sa mission de médiation, elle n’arrivera pas seule à proposer et à trouver une solution politique. “Et d’ailleurs, personne n’en a les moyens”, affirme Didier Billion. “On l’a bien vu à la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU qui a fait un flop et au terme de laquelle il n’y a même pas eu de déclaration commune.” 

En réalité, précise Béligh Nabli, ce qu’offre l’Égypte à Israël et aux Palestiniens, c’est “une porte de sortie à cette confrontation”. Comme aucune des entités palestiniennes ni l’État hébreu ne souhaitent donner l’impression de céder à leur adversaire, “seule une partie tierce peut permettre de dégager des points d’accord autour d’un cessez-le-feu.” Il poursuit: “Sans tierce partie, aucun des deux belligérants ne pourrait imposer unilatéralement ce cessez-le-feu.” Ce qui fait dire au chercheur qu’au milieu de ce conflit, l’Égypte servirait quelque part de “boîte à lettres” pour que deux ennemis qui refusent de se reconnaître l’un l’autre puissent communiquer. 

Une interface indispensable selon Béligh Nabli dans un conflit qui -s’il donne l’impression de se répéter avec une tragique régularité- est en fait très particulier en ce mois de mai. Car si les affrontements inquiètent à ce point, c’est parce qu’ils se déroulent dans un contexte de “double vide”. Du côté arabe, l’Autorité palestinienne se montre “incapable de trouver une sortie de crise et incapable d’organiser des élections” (elles ont été reportées quelques jours avant le début des affrontements, et alors que le Fatah, le parti laïc censé incarner l’Autorité palestinienne, était en mauvaise posture). Et du côté israélien, les élections se succèdent sans qu’un gouvernement ne parvienne à être choisi.

Résultat, alors que les extrêmes droites tant nationaliste que religieuse progressent dans le pays, “Benjamin Netanyahu a trouvé un moyen de relégitimer sa fonction par un rôle de chef de guerre qu’il apprécie par-dessus tout”, décrit le chercheur. Une double crise politique sur laquelle vient donc se plaquer un conflit, et dans laquelle l’Égypte espère parvenir à susciter un début d’apaisement. 

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