J'adorais enseigner en salle de classe. Le Covid-19 m'a volé ce plaisir - BLOG

ENSEIGNEMENT - Au moment où j’écris ces mots, le monde est plongé dans une pandémie depuis plus de 10 mois. Ce virus a métamorphosé tous les aspects de la vie telle que nous la connaissions, et par sa férocité, a volé beaucoup de choses à beaucoup...

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Même aujourd’hui, après plus de cinq mois chez moi 24 h/24 et 7 j/7, j’ai encore du mal à admettre que je suis retraitée.

ENSEIGNEMENT - Au moment où j’écris ces mots, le monde est plongé dans une pandémie depuis plus de 10 mois. Ce virus a métamorphosé tous les aspects de la vie telle que nous la connaissions, et par sa férocité, a volé beaucoup de choses à beaucoup de personnes. 

Étant donné que ma famille et moi sommes en bonne santé, avec un toit au-dessus de notre tête et de quoi manger, je sais qu’il est un peu déplacé de me plaindre de ce que j’ai perdu depuis le début de cette pandémie. Je sais que des millions d’individus dans le monde ont perdu bien plus: leurs proches, leur maison, leur travail, leur résilience. Je sais que ce que j’ai perdu est insignifiant par rapport à ce qu’ont perdu tant d’autres. Mais le Covid-19 m’a volé des choses, aussi. 

Je suis professeure, ou du moins je l’étais jusqu’au 24 juillet dernier, le jour où j’ai annoncé à mon principal que je ne regagnerais pas ma salle de classe pour cette année scolaire. Après avoir appris mi-juillet que mon école prévoyait de commencer l’année en présentiel cinq jours par semaine, j’ai passé plusieurs semaines à me demander quoi faire.

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À 64 ans et parce que je présente des problèmes de santé, ma famille a estimé que c’était trop risqué pour moi. Certains jours, j’étais d’accord avec eux, et d’autres, j’avais l’impression que la situation était gérable, à condition d’être prudente.

Cet ascenseur émotionnel a duré jusqu’à ce que j’aille finalement consulter mon médecin, qui m’a recommandé de ne pas retourner en classe si j’en avais la possibilité. 

J’étais en état de choc. Je pensais vraiment qu’il me préconiserait de faire attention, de me laver les mains fréquemment, de maintenir autant que possible la distance sociale et de porter un masque pour que tout aille bien. À ce moment-là, j’étais à court d’arguments face à ma famille, j’ai donc appelé mon principal pour lui dire que je ne reviendrais pas. J’étais, et je suis toujours, dévastée.

Encore une fois, je sais que j’ai de la chance, je ne suis pas en train de m’apitoyer sur mon sort. Je n’ai pas besoin que vous sortiez les violons. Nous arriverons à vivre avec le salaire de mon mari, nous allons nous en sortir, nous ne sommes toujours pas malades du Covid-19 je n’allais pas enseigner toute ma vie.

Mais les enfants me manquent. Mes collègues me manquent. Les œuvres de littérature que j'enseignais me manquent, et préparer les troisièmes à rédiger des dissertations pour le lycée me manque.

Mais cela me brise le cœur de ne pas être dans ma salle de classe cette année, en particulier après un dernier trimestre complètement à distance l’an passé. Je n’ai pu dire au revoir à personne. J’ai rangé ma salle seule alors que le bâtiment était vide, début août, juste avant que mes collègues ne reviennent pour préparer la leur pour une nouvelle année. J’ai un sentiment d’inachevé. 

Des mois après mon appel larmoyant à mon proviseur, j’étais incapable de prononcer le mot “retraitée”. Je ne l’ai pas publié sur mes réseaux sociaux, et je n’en ai parlé autour de moi que si c’était inévitable. Même aujourd’hui, après plus de cinq mois chez moi 24 h/24 et 7 j/7, j’ai encore du mal à admettre que je suis retraitée.

De mars à juin, comme des milliers d’autres professeurs, j’ai enseigné à distance pour finir l’année scolaire avec mes élèves de quatrième et de troisième. Si la situation était loin d’être idéale, j’ai pu faire en sorte que cela fonctionne. Heureusement, j’avais déjà commencé à utiliser Google Classroom en janvier 2020 pour mes deux cours d’anglais, et l’utiliser également pour mes quatre cours de littérature ne m’a pas demandé beaucoup plus d’efforts. Repenser le plan de mes cours et mes séquences qui fonctionnaient si bien en présentiel depuis 13 ans a été un peu plus compliqué.

J’ai dû ralentir le rythme considérablement, pour ne pas compromettre la santé mentale de mes ados et pré-ados, et revoir à la baisse certaines de mes règles et exigences. J’ai dû apprendre ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas sur Zoom, et utiliser de nouvelles applications comme Kahoot! afin de les impliquer d’avantage. 

Ce fut particulièrement difficile de motiver mes troisièmes, à qui les activités ludiques de fin d’année ont cruellement manqué avant leur départ pour le lycée.

Puis est arrivée la fin de l’automne, mon moment préféré de l’année. J’aime le temps plus frais, et j’aime porter des pulls. J’adore faire de la soupe et m’occuper des décorations d’Halloween et de Thanksgiving. J’adore tricoter des écharpes et des bonnets, en me blotissant sous une couverture pour regarder la télévision.

Mais, en tant que professeure, j’adorais aussi terminer le premier trimestre de l’année scolaire à remplir des bulletins, à préparer des réunions parents-profs. J’adorais assister au concert d’hiver du groupe de l’école, au spectacle de Noël et à la représentation de la chorale.

Bien sûr, il faut aussi voir le bon côté de cette pandémie, j’ai pu passer plus de temps en famille, à lire, à écrire, et à me consacrer à ma passion pour la cuisine et la pâtisserie. Je reconnais que le stress du dimanche, lorsque je n’avais pas encore terminé mon programme des cours de la semaine, ou que j’avais encore des copies à corriger, ne me manque pas.

Mais les enfants me manquent. Mes collègues me manquent. Les œuvres de littérature que j’enseignais me manquent, et préparer les troisièmes à rédiger des dissertations pour le lycée me manque. Le moment de la sonnerie me manque, quand toutes les 40 minutes, je recommençais à zéro avec de nouveaux visages. La déconnexion totale de chaque été, dont je profitais pour préparer l’année suivante et mes nouvelles séquences de littérature, me manque.

Le milieu modeste dans lequel j’ai grandi ne m’a pas offert beaucoup de nouveaux vêtements, ni de vacances au soleil, mais m’a transmis une solide éthique professionnelle. Mes parents m’ont inculqué l’importance du travail bien fait, des tâches achevées et de l’assiduité.

J’ai travaillé à temps complet une fois mon diplôme en poche et jusqu’au 24 juillet 2020, à l’exception de deux ans passés à l’étranger pour le travail de mon mari. Même à cette époque, alors que je pouvais faire exactement ce que voulais de mon temps, je m’ennuyais et j’étais frustrée de ne pas avoir de véritable emploi. J’ai fini par travailler à l’école de mes filles, en tant qu’auxiliaire, assistante bibliothécaire et professeure remplaçante. Ces deux années ont ouvert une fenêtre pour moi, et m’ont menée à un changement de carrière : du droit, je suis passée à l’éducation. 

À cause du Covid-19, j’ai l’impression d’avoir été trahie. Je regrette de ne pas avoir eu plus de temps dans ma seconde carrière. Et même si j’ai 64 ans, j’ai l’impression de ne pas encore mériter le droit de partir en retraite.

Cela me rend folle d'avoir dû arrêter d'enseigner, de prendre ma retraite alors que je n'étais pas encore prête. Cela me rend folle ne pas avoir pu dire au revoir à mes élèves. Oui, tout cela me rend folle.

Le printemps a laissé place à l’été puis à l’automne, et nous sommes désormais en hiver. J’aurais dû compter les jours jusqu’à l’époque préférée des professeurs : la trêve entre Noël et le Nouvel an. J’aurais dû faire le plein de livres à lire au cours de cette pause, et me dépêcher de corriger des copies pour pouvoir me détendre le reste des vacances.

Mais, ce qui me chagrine plus encore, c’est que j’aurais dû être en train de décorer ma maison et de prévoir les menus pour le retour de mes filles, car nous devions tous être en famille. Mais puisque d’un commun accord, nous avons décidé en décembre que notre plus jeune fille ne reviendrait pas de Californie pour passer les fêtes de fin d’année avec nous, ce fut notre premier Noël séparés, et cela me rend très triste. 

Encore une fois, je sais que j’ai beaucoup de chance, que nous sommes bénis de ne pas avoir le Covid-19, que notre situation financière pourrait être bien pire. Mais j’ai beau essayer d’être positive et reconnaissante, cela me rend folle.

Cela me rend folle que le Covid-19 ait pu s’abattre sur le monde. Cela me rend folle que notre gouvernement ne soit pas mieux préparé pour combattre la propagation du virus. Cela me rend folle que certains prennent tout cela à la légère en allant faire du shopping ou en sortant alors que ce n’est pas nécessaire, en refusant de porter un masque, en organisant de grands rassemblements familiaux. Cela me rend folle, à chaque fois que je me connecte sur Facebook, de voir d’autres se serrer dans les bras, passer du bon temps en famille ou entre amis. Cela me rend folle d’avoir dû arrêter d’enseigner, de prendre ma retraite alors que je n’étais pas encore prête. Cela me rend folle ne pas avoir pu dire au revoir à mes élèves. Oui, tout cela me rend folle.

Noël et le Nouvel an sont passés. La neige hivernale tombera puis fondra. Les travailleurs essentiels attendent leur tour pour se faire vacciner contre le Covid-19, ce sera ensuite le mien. Je veux que le monde sache que le Covid-19 a gagné une bataille mais pas la guerre.

Si notre monde et notre façon d’y interagir risquent de ne pas retourner à la normale avant longtemps, j’ai hâte de pouvoir revenir en salle de classe comme remplaçante ou professeure à temps partiel, de rendre visite à ma fille, et d’enfin fêter avec mon mari nos 30 ans d’anniversaire de mariage, quels que soient le moment et le lieu. J’ai hâte d’être ce jour où tout ceci ne me rendra plus folle.

Publié à l’origine sur Le Huffpost américain, cet article a été traduit de l’anglais.

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