Je suis américaine d’origine asiatique. Le racisme à connotation sexuelle dont je suis victime me terrorise
RACISME - Lorsque l’épidémie de COVID-19 est devenue une pandémie et que je me suis retrouvée confinée, j’ai décidé de tenir un journal pour expliquer mon expérience. Je l’ai abandonné au bout de quelques semaines, quand la fatigue pandémique...
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RACISME - Lorsque l’épidémie de COVID-19 est devenue une pandémie et que je me suis retrouvée confinée, j’ai décidé de tenir un journal pour expliquer mon expérience. Je l’ai abandonné au bout de quelques semaines, quand la fatigue pandémique s’est installée, après y avoir consigné le sentiment de peur qui m’avait envahi au début de cette crise.
“J’ai peur de sortir de chez moi, non seulement parce qu’il y a un virus incontrôlable, mais parce que mon visage me met en danger”, peut-on lire à la date du 22 mars 2020. “J’ai peur de sortir parce que mes amis et mes proches ont été pris pour cibles, accusés d’être responsables de cette pandémie, parce qu’on m’a dit de retourner en Chine avant même que le monde entier soit à l’asphyxie. Nous ne pouvons pas maîtriser ce virus, mais nous ne pouvons pas non plus maîtriser le racisme qui l’accompagne. »
Les agressions contre les Américains d’origine asiatique commençaient déjà à augmenter, mais ils ne retenaient pas vraiment l’attention du grand public. Parfois, je me demandais même si je ne réagissais pas de manière excessive. De toute façon, il y avait peu de risque que j’en sois victime.
Vous avez envie de expliquer votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffingtonpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!
Presque un an jour pour jour après avoir écrit ceci dans mon journal, un Blanc est entré dans trois salons de massage de l’État de Géorgie et a tué huit personnes, dont six femmes d’origine asiatiques: Xiaojie Tan, Daoyou Feng, Soon C. Park, Hyun J. Grant, Suncha Kim et Yong A. Yue. Les deux autres victimes, Paul Andre Michels et une anonyme, étaient blanches.
Quelle est la probabilité pour moi d’être la cible d’une agression du fait de mes origines?
Cela dépend d’abord de la définition qu’on en donne. Aussi incroyable que cela puisse paraître, beaucoup pensent que la récente série de meurtres n’en fait pas partie et avancent que son auteur souffrait d’une “dépendance sexuelle” ou bien qu’il avait passé “une très mauvaise journée”. Statistiquement, le risque d’être victime de violence physique ou sexuelle quand on est que femme d’origine asiatique américaine est assez élevé: 21% à 55% des femmes asiatiques aux États-Unis déclarent avoir été victimes.
Ces fusillades sont loin d’être les seuls actes de violence commis contre des femmes asiatiques au cours de l’année écoulée. Sur les 3795 crimes commis contre les Américains d’origine asiatique signalés à Stop AAPI Hate entre le 19 mars 2020 et le 28 février 2021, la plupart visaient des femmes. Les Américaines d’origine asiatique ont d’ailleurs signalé 2,3 fois plus d’incidents que leurs homologues masculins.
Il n’est pas surprenant que les femmes soient si souvent ciblées, surtout si l’on considère la manière dont les Asiatiques sont perçues en Amérique. On ne cesse de nous voir comme des étrangères. Quels que soient notre nationalité ou notre lieu de naissance, il y aura toujours des gens pour nous voir comme des spécimens venus d’Orient pour les satisfaire, des “Dragon Ladies” sexuellement voraces ou des poupées sexuelles avides de plaisir. Dans tous les cas, nous sommes sexualisées et réifiées, ce qui nous met en danger.
Des “Dragon Ladies sexuellement voraces
Je l’ai tellement vécu que je ne me souviens plus du nombre de fois où ça m’est arrivé. Ce qui est choquant, c’est la normalisation. Un jour, alors que j’étais dans la file d’attente pour renouveler mon permis de conduire, le type derrière moi m’a abordée en ces termes: “Excusez-moi, mais je peux vous demander ce que vous êtes? Vous ne seriez pas originaire des îles du Pacifique?”
J’ai répondu: “Je suis philippine.”
“Ah, ça explique tout. J’étais en poste aux Philippines quand j’étais plus jeune. Les plus belles femmes que j’ai jamais vues de ma vie.”
Et il n’a pas dit cela en me regardant droit dans les yeux mais en fixant mes seins, alors que sa femme était juste à côté de lui. La file d’attente était très longue et il se tenait très près de moi, alors j’ai décidé de partir et de revenir le lendemain.
Les femmes subissent quotidiennement la misogynie, mais le fait d’être asiatique ajoute un niveau supplémentaire de déshumanisation.
Les hommes m’ont souvent fait part de leur “connaissance” de mon corps. Ils jurent par exemple que mon sexe est plus étroit que celui d’une Blanche et qu’ils adoreraient “l’élargir”. Ils me disent que je n’ai pas vraiment connu le plaisir car les Asiatiques ne sont pas de vrais hommes. Ils disent vouloir me goûter parce que les tétons marron sont plus sucrés que les tétons roses.
On m’a proposé de l’argent pour coucher parce que “les Philippines ne sont bonnes qu’à ça”. Des hommes ont essayé de soulever ma jupe pour “voir si [m]a chatte est aussi bridée que [m]es yeux”. On m’a asséné des insultes raciales et sexuelles jusqu’à me faire pleurer, et jusqu’à ce que je constate que la personne qui me harcelait prenait plaisir à voir couler mes larmes.
Beaucoup d’hommes sont agressifs, mais certains ont essayé de me séduire, au moins dans un 1er temps, en me suppliant de leur murmurer des secrets chinois ancestraux à l’oreille, en jurant de me traiter comme une impératrice ou en me proposant de déposer des fleurs de cerisier à mes pieds. Mais quand je les repousse, le ton change: “De toute façon, les Asiatiques sont moches.”
L’hypersexualisation des femmes asiatiques joue un rôle majeur dans la violence à laquelle nous sommes confrontées
Je sais combien les hommes peuvent être violents lorsqu’ils se sentent rejetés. Et les propos du tireur m’ont rappelé leur comportement. Il a dit voir ses victimes comme une “tentation” qu’il devait écarter.
Les femmes subissent quotidiennement la misogynie, mais le fait d’être asiatique ajoute un niveau supplémentaire de déshumanisation. Un misogyne peut siffler une femme et lui lancer: “Jolis seins!” Mais un homme qui s’en prend à moi du fait de mon ethnie et de mon sexe est plus susceptible de dire quelque chose comme: “J’avais encore jamais vu une Asiatique avec des gros seins!”
Je ne veux pas vivre dans la peur, mais je suis prise d’anxiété chaque fois que je dois sortir. Je porte des robes avec des poches pour pouvoir y mettre ma bombe lacrymogène. Des amies m’ont dit qu’elles envisageaient d’acheter une arme à feu, “au cas où”.
Nous ne voulons pas penser à l’inconcevable, mais chaque fois que nous entendons causer d’agression sur une Asiatique, nous avons peur d’être la prochaine. Il existe un fort esprit de solidarité entre les Américaines d’origine asiatique en ce moment, mais ce n’est pas le genre de solidarité dont je rêvais. Qui a envie d’être lié à quelqu’un par un traumatisme commun?
Pourtant, c’est la réalité quand on est une Asiatique en Amérique. Nous sommes liées par le traumatisme et le chagrin, mais aussi par la colère. Nous en avons assez d’être réduites au silence, assez que le racisme et la misogynie que nous avons connus toute notre vie retiennent si rarement l’attention, qu’il ait fallu que six femmes soient assassinées pour que les gens commencent enfin à causer de la montée du racisme avec lequel nous vivons depuis un an.
On me demande: “Comment expliquez-vous cette libération de la parole des Asiatiques?”
Ça n’a rien de nouveau. Nous nous exprimons depuis toujours mais vous ne nous écoutiez pas.
Ce blog, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord.
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