Je suis autiste et travailleuse du sexe, et ça me convient très bien - BLOG

AUTISME - J’ai commencé à me dire autiste pendant la pandémie. Être isolée pendant si longtemps m’a fait comprendre que j’avais dissimulé mon handicap toute ma vie en me comportant en société d’une façon considérée comme neurotypique. Moins...

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Toutes mes années de dissimulation ont fait de moi l’escort idéale. Alors que les relations amoureuses dans ma vie privée me causent une anxiété extrême, quand je travaille et que je deviens Hayley, je sais exactement quoi faire et à quel moment. J’accueille les clients sur le seuil en lingerie et peignoir, je les débarrasse de leur manteau et je prends leur argent, je le compte et le range, puis je les rejoins sur le sofa pour prendre les rafraîchissements que j’ai préparés. 

AUTISME - J’ai commencé à me dire autiste pendant la pandémie. Être isolée pendant si longtemps m’a fait comprendre que j’avais dissimulé mon handicap toute ma vie en me comportant en société d’une façon considérée comme neurotypique. Moins je me cachais, mieux je me sentais. 

J’ai une théorie selon laquelle les autistes savent qu’ils le sont, tout comme les personnes homosexuelles savent qu’elles le sont. En tant que bisexuelle, je n’ai pas eu à me rendre chez un psychologue pour passer un test et entendre un Blanc d’âge mûr me dire si oui ou non j’étais attirée par les femmes. Mais pour je ne sais quelle raison, c’est ce que la société exige des personnes autistes. Sans diagnostic écrit noir sur blanc, nous ne sommes pas reconnus (bien que ce diagnostic nous aide rarement à nous intégrer socialement). Pendant presque toute de ma vie, j’ai su que j’étais différente, même si j’ignorais pourquoi. 

Après des heures passées à expliquer ma vie à mon psy, faire des QCM de personnalité et lui envoyer par email les caractéristiques de l’autisme auxquelles je m’identifiais, j’ai été dévastée quand il m’a dit qu’il ne pensait pas que je l’étais. J’ai essayé de continuer à le regarder dans les yeux et de rester calme, alors que j’entrais en état de dissociation. 

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Certitude du diagnostic

Je lui ai demandé pourquoi il ne me croyait pas, moi qui étais si certaine de l’être. J’étais restée debout jusqu’à 3 heures du matin à regarder des vidéos TikTok de gens du monde entier qui m’avaient aidée à me sentir moins seule; soudain, ma vie avait un sens. Tout à coup, j’avais compris pourquoi mon diagnostic tardif de trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ne m’avait pas paru suffisant. Je soupçonnais depuis des années que j’étais autiste, et à présent j’en étais sûre. 

“Je pense simplement qu’une personne autiste ne serait pas capable de faire votre métier”, a répondu mon psy, comme si c’était parfaitement évident. 

Je lui avais dit que je travaillais comme escort depuis quelques années. Incapable d’avoir un emploi stable à la vingtaine, j’avais obtenu une pension d’invalidité et m’étais mise à exercer cette activité pour arrondir mes fins de mois. Je trouvais ça extraordinaire que des hommes soient prêts à payer des centaines de dollars de l’heure pour passer du temps en ma compagnie, et plus je restais moi-même, plus ils avaient envie de me fréquenter. 

Les clients handicapés, malades chroniques ou souffrant de troubles mentaux sentaient que je les comprenais, et j’adorais être maîtresse de mon emploi du temps tout en donnant à d’autres personnes la tendresse dont elles avaient besoin. Je sais ce que ça fait de se sentir seul·e et mal dans sa peau. 

Mon médecin m’a en fait diagnostiqué un trouble de la personnalité évitante, parce qu’à 31 ans, je ne souhaite pas “fonder une famille”. 

Je suis rentrée chez moi et j’ai refréné mon envie de renverser des meubles pour me passer les nerfs. J’ai fait le tour de la maison en sanglotant et en hurlant: “Je n’ai pas de trouble de la personnalité!” Je ne savais pas comment gérer la souffrance psychologique causée par le fait d’entendre un professionnel me dire que son expertise ne correspondait pas à mon expérience. Qui étais-je pour contredire quelqu’un qui avait fait des études dans ce domaine? 

Sans le soutien d’autres travailleurs du sexe, je ne sais vraiment pas ce que j’aurais fait.

“Mon psy ne croit pas que je sois autiste parce que je suis une travailleuse du sexe”, ai-je écrit sur Twitter, désespérée. “Si vous êtes autiste et travailleur·se du sexe, pourriez-vous prendre contact avec moi, s’il vous plaît?”

Je n’étais pas sûre que l’on me réponde. Peut-être que mon psy avait raison. Peut-être qu’escort était un boulot trop centré sur les interactions sociales pour être exercé par une personne autiste. 

“Ma psy m’a dit la même chose”, a commenté une femme. ”À notre rendez-vous suivant, je lui ai montré les écrits de Reese Piper.”

“C’est totalement absurde de penser que les autistes ne peuvent pas exercer de métiers nécessitant des interactions sociales”, m’a écrit en message privé une autre travailleuse du sexe autiste. “J’ai un master en psychologie clinique et le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ne mentionne nulle part qu’il existe des critères d’exclusion liés à la profession.

De nombreux travailleurs du sexe se sont manifestés, soit dans les commentaires, soit par message privé. Soudain, je me sentais plus sûre de moi. J’ai fait une vidéo sur TikTok pour causer de mon expérience et des milliers de personnes ont répondu qu’elles avaient vécu la même chose. On leur avait dit qu’elles étaient trop intelligentes, trop sociables, trop capables de soutenir le regard des gens, et même trop jolies. 

J’ai pris conscience que les psychologues pouvaient étudier l’autisme, mais ne sauraient jamais vraiment ce que c’est que de l’être. Ils ne se rendaient pas compte des efforts dont nous sommes capables pour camoufler nos particularités et paraître “normaux”. 

À mes yeux, c’est le métier parfait pour une personne souffrant de TDAH et d’autisme parce qu’il y a une routine à suivre mais aussi de la variété dans les profils de mes clients et la façon dont nous occupons notre temps ensemble.

En tant que femmes ou personnes assignées au genre féminin à la naissance, nous apprenons davantage que les hommes à dissimuler ce que nous sommes, parce que c’est ce que la société nous impose. Nous apprenons à sourire, regarder les gens dans les yeux (même si ça nous est pénible), opiner pour montrer que nous sommes attentives, intérioriser nos crises parce qu’elles sont déplacées en public. C’est pourquoi les autres ne nous perçoivent pas comme autistes: nous ne correspondons pas toujours au stéréotype du génie dépourvu d’émotions popularisé par Rain Man

Et même si cela nous aide à avoir l’air normal, c’est aussi un désavantage, parce que nous avons l’air suffisamment normales pour ne pas être autistes, et cela nous empêche de bénéficier des aménagements nécessaires quand nous ne parvenons pas à suivre le rythme en classe, garder un emploi ou simplement nous nourrir d’autre chose que d’un paquet de chips. Et pour les gens comme moi, cela signifie s’épuiser à essayer de s’astreindre à des horaires de bureau et finir par changer de métier pour faire quelque chose de moins conventionnel, comme devenir travailleuse du sexe. 

Le métier parfait pour une personne souffrant de TDAH et d’autisme

Toutes mes années de dissimulation ont fait de moi l’escort idéale. Alors que les relations amoureuses dans ma vie privée me causent une anxiété extrême, quand je travaille et que je deviens Hayley, je sais exactement quoi faire et à quel moment. J’accueille les clients sur le seuil en lingerie et peignoir, je les débarrasse de leur manteau et je prends leur argent, je le compte et le range, puis je les rejoins sur le sofa pour prendre les rafraîchissements que j’ai préparés. 

Nous bavardons, je me rapproche, je pose ma main sur leur cuisse et je les embrasse. A partir de là, les choses deviennent plus intimes, et quand le rendez-vous est terminé, je leur demande ce qu’ils ont prévu de faire d’autre de leur journée pour leur signifier qu’il est temps pour eux de se rhabiller. 

À mes yeux, c’est le métier parfait pour une personne souffrant de TDAH et d’autisme parce qu’il y a une routine à suivre mais aussi de la variété dans les profils de mes clients et la façon dont nous occupons notre temps ensemble. 

Parfois, il s’agit simplement de passer une heure dans une chambre d’hôtel. D’autres fois, nous sortons manger des sushis ou nous allons dans un club libertin. Puisque mon rôle est de faire en sorte que le client se sente bien lors de ces rendez-vous, je n’ai pas à m’inquiéter de ce que je suis censée dire, comme je le ferais lors d’un rendez-vous amoureux. Mes clients ont envie d’être là. Ils ont vu mon annonce et ils savent qui je suis. Ils lisent mes publications sur Twitter. 

Alors je leur pose des questions et je les écoute avec intérêt causer de leurs vies. S’ils sont taciturnes, je brise la glace en devenant plus tactile; d’ailleurs, en tant qu’autiste semi-verbale, je suis beaucoup plus à l’aise quand je n’ai pas besoin de causer. 

Je souffre toujours de phobie sociale à chaque rendez-vous, mais cela m’aide énormément de savoir que ce moment tourne autour du client, et non de ma capacité à interpréter les signaux sociaux, comme par exemple deviner s’ils ont envie de m’embrasser. Je sais qu’ils en ont envie: ils me paient pour ça. 

Depuis que j’ai reçu ce mauvais diagnostic, j’ai envoyé par mail à mon psychologue des preuves que les autistes pouvaient être travailleurs du sexe. Il m’a dit qu’il allait consulter d’autres psychologues spécialisés dans l’autisme et qu’il me recontacterait. Cela fait plus d’un mois et je n’ai aucune nouvelle de lui. 

Même si j’aimerais vraiment recevoir un diagnostic officiel, j’ai admis que je n’en avais pas besoin pour m’épanouir. Actuellement, j’attends de me faire vacciner contre la COVID-19 pour recommencer à voir des clients. Pendant ce temps, j’écris un livre sur mon vécu en tant qu’autiste. J’espère réussir à le faire publier.

Après un an passé seule chez moi, sans obligation de dissimuler qui je suis, je ne sais pas trop ce que j’éprouve à l’idée de me remettre à le faire en tant qu’escort. Une part de moi voudrait laisser tomber le masque et m’afficher comme travailleuse du sexe autiste, dans toute ma glorieuse maladresse. Une autre me dit que je ne sais pas comment faire ce métier sans me camoufler. 

Je suppose qu’à mesure que je deviendrai plus à l’aise avec mon autisme, cette confiance se reflètera dans mon travail. Après tout, ce que je préfère dans ce métier, c’est être payée pour rester moi-même. 

Ce blog, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord

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