Je suis métisse. Les réseaux sociaux et l'actualité me forcent à me positionner racialement - BLOG
cheveux afro que j’utilise, aux types d’extensions que je me pose. Ainsi, femme de couleur, je suis une nouvelle cible marketing." data-caption="Que je visionne mes feed actualités ou Facebook je constate que les algorithmes l’ont aussi compris,...
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RACISME — J’ai souvent entendu dire que j’étais belle, ou quelques fois encore que j’étais une métisse aux traits fins. Si par certaines réflexions maladroites je manque de m’étouffer, effectivement, mesurant près d’un mètre quatre-vingts, je suis claire de peau, et mes cheveux souvent lissés. Je ne contrarie pas beaucoup le paysage. Ce physique renvoie malgré tout à la question de mes origines, qui revient souvent, et elle me met mal à l’aise. Non parce que j’en ai honte, bien au contraire, mais parce qu’elles me sont inconnues. Née en France, dans un environnement protégé, étant allée à l’école de la République avant d’intégrer un grand établissement, je me sens profondément française.
N’ayant que peu connu mon père biologique, son legs culturel est pauvre. Cependant, je me souviens de la fierté de l’“exilé”, tenant à nous transmettre à mon frère et moi les morceaux choisis de sa culture d’origine. Je me rappelle qu’ensemble nous ne dessinions pas des maisons, mais des cases, sur un fond sonore de Fela Kuti, célèbre artiste nigérian d’ethnie yoruba, comme sa mère. D’ailleurs, si je ne l’ai pas connu, le pendentif en or brut que ma grand-mère paternelle me fit remettre à ma naissance est un signe de sa présence et de son indéfectible affection.
Lorsque je suis en pleine crise identitaire, je le ressors, je pense alors à un continent fantasmé fait de savanes, d’animaux sauvages et de douceur de vivre. Si j’aime à me ressourcer dans ces pensées féériques, il est clair que je souffre d’un manque identitaire, accru par les débats actuels sur la cancel culture.
Vous avez envie de expliquer votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffingtonpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!
Française, ni noire, ni blanche, quelle est donc la source de mon mal-être identitaire?
Enfant ignorant sa couleur à l’enfance ordinaire dans le cadre préservé d’une petite ville
J’ai grandi dans les années 1990 dans une petite ville de la côte basque. Plus précisément, les histoires et récits familiaux s’ancrent autour d’un ancien petit village de pêcheurs offrant aujourd’hui l’harmonie paisible d’un havre de gentrification. Aussi, mes terrains de distractions s’étendaient de la boutique familiale au jardin de mes grands-parents. Si pour chacun les histoires divergent, mon appartenance à cette “communauté locale” n’a jamais été — ouvertement — remise en question, j’étais là, parmi les autres enfants et adolescents. À mes yeux, j’étais un élément parmi tant d’autres du cadre social. Je me remémore la multitude de rencontres et jamais une fois l’on ne m’a demandé d’où je venais. Si un ami m’avoua plus tard que tout le monde se posait la question, celle-ci n’a jamais été formulée. Monsieur Tout le Monde a donc su rester délicat. Cependant, avec le temps je remarque une parole décomplexée, et une extension du communautarisme, peut-être en réaction à celle-ci.
Cible marketing ordinaire, je n’ai pris que plus conscience de ma couleur avec les feed de mes applications
Aussi, aujourd’hui je dois l’admettre, métisse, je suis une femme “racisée”. Le concept de race hier tabou, que l’on essayait même de déconstruire est aujourd’hui assumé, revendiqué parfois. Que je visionne mes feed actualités ou Facebook je constate que les algorithmes l’ont aussi compris, à la marque de shampooing spécial cheveux afro que j’utilise, aux types d’extensions que je me pose. Ainsi, femme de couleur, je suis une nouvelle cible marketing. Par mon mode de consommation, je suis une cliente invétérée de ce capitalisme consumériste, et si je suis contente de trouver des produits adaptés à mes caractéristiques physiques, je dois avouer avoir l’impression d’avoir perdu au change. En effet, les sociétés de la tech que constituent les GAFA ont réussi le tour de force d’identifier les origines ethniques — ou autre — des consommateurs, alors même que les statistiques raciales sont interdites sur le territoire national. La communication en termes de publicités comme d’idées est ainsi segmentée, me renvoyant tous les jours à ma couleur, celle que je ne voyais pas jusqu’à il y a peu.
Quand le questionnement sur ses origines renvoie aux positionnements ethniques
Le mal-être identitaire, c’est comme la religion, on la garde ”à la maison”, ou pis, pour soi, on n’en cause pas, c’est tabou. Quand bien même j’en entends causer, je suis dans le déni, je ne veux rien savoir. L’idée même d’une cancel culture, dénonçant les exactions de personnes ou de groupes en période trouble, et proposant de les rayer de l’histoire me semble trop simpliste. Par exemple je sais le fruit de cette histoire coloniale. Mon père biologique, Franco-béninois, a effectué ses études en France, ancien pays colonisateur lors de son entrée aux Beaux-arts. Aussi, paradoxalement, ma culture d’origine, française, trouve ses repères dans les lumières. Je ne comprends pas non plus les réticences de certains à mettre en lumières ces mêmes faits, en apprenant à nos petits que l’histoire n’est pas binaire, que l’on n’est pas seulement bon ou méchant, mais un peu des deux.
Je suis “noire” par le regard des autres, on m’attribue un passif social qui n’est pas le mien
Cependant, je me rends compte au fil des années que la problématique devient plus complexe et que je dois néanmoins nuancer ma position de fond. En effet, si je pense que jusque-là j’ai été préservée du racisme ou de toute forme notable de discriminations, les propos insidieux se font de plus en plus présents. Ainsi par exemple, un jour exprimais-je avec humour mon désaccord avec les administrateurs d’un groupe Facebook quand l’un d’entre eux se permet une remarque qu’il s’imagine sentie, établissant ainsi qu’il remarque souvent chez les personnes issues de l’immigration une espèce de “rage”, qui, canalisée peut “donner quelque chose de bien”. Bien sûr, j’ai droit à un exemple de connaissance à lui, originaire de la périphérie parisienne. Je me rends alors compte que l’époque et ses débats cristallisent les incompréhensions, voire les stéréotypes et les aversions qu’elles supposent. Je sentis qu’à l’autre bout de la ligne la bataille était perdue, et qu’il n’y avait pas besoin d’expliquer que la couleur était dans sa tête, que celle-ci n’était pas forcément un révélateur des origines sociales et géographique.
Je n’aime pas causer de ma couleur, à la fois blanche et noire, pour moi, elle n’existe pas. Je comprends néanmoins que je suis une personne de couleur privilégiée, de moins en moins protégée et de plus en plus confrontée à la porosité des esprits à des concepts venant d’un autre continent et important sa lutte raciale. Je ne rêve pas de faire taire les miens, (qui sont-ils d’ailleurs?) je rêve d’un débat apaisé et constructif, loin du show des chaines d’informations en continu. Puisque le dénominateur est aujourd’hui celui-là, cherchant le meilleur pour ma personne je consomme des “petites marques” parisiennes, comme des produits afro. Comme je le disais, j’ai compris mon identité par les publicités générée par algorithme, je consomme donc je suis. Et je le dis ouvertement, la cristallisation des luttes divise, forme des segments de consommateurs-citoyens toujours plus seuls, mais racialement identifiés. Moi, comme surement beaucoup de personnes de couleurs, je revendique le droit de n’être personne, merci.
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