Je suis Noire, mère et enseignante, et je laisse mes enfants lire des livres racistes - BLOG
RACISME - C’est immédiatement après l’annonce concernant Dr. Seuss que j’ai demandé à mes enfants de me rejoindre sur le canapé du salon pour un moment de lecture à voix haute de l’un de ses livres: And to Think That I Saw It on Mulberry Street....
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RACISME - C’est immédiatement après l’annonce concernant Dr. Seuss que j’ai demandé à mes enfants de me rejoindre sur le canapé du salon pour un moment de lecture à voix haute de l’un de ses livres: And to Think That I Saw It on Mulberry Street. J’avais l’impression de manipuler un objet de contrebande hautement explosif.
J’ai fait asseoir mes enfants à mes côtés. Mon fils de neuf ans, le plus jeune et le plus sensible, s’est blotti contre ma poitrine. Ma fille de quinze ans a haussé les sourcils en regardant le livre choisi. Elle était au courant de la décision de la Fondation Dr. Seuss d’”éliminer” six des livres de l’auteur en raison de leur imagerie raciste.
Vous avez envie de expliquer votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffingtonpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!
Donner aux enfants les outils pour repérer le racisme et le combattre
Habituée à nos soirées en famille où nous jouons à un jeu de société, regardons un film ou lisons un livre, elle était néanmoins réticente à l’idée de lire celui-ci.
“Assieds-toi”, lui ai-je dit en tapotant le coussin près de moi. “Je vais t’expliquer”
Finalement, elle a capitulé et posé sa tête contre mon épaule. Un geste qui signifiait: “Maman, je te fais confiance.”
J’ai commencé la lecture que j’interrompais par endroit pour que nous puissions discuter de ce que nous avions sous les yeux.
“Qu’est-ce que vous voyez ici?” leur ai-je demandé, en leur montrant la caricature très stéréotypée d’un personnage asiatique.
“Du racisme”, a lancé ma fille.
Mon fils m’a regardé, les yeux ronds et la mine confuse.
“Je ne comprends pas”, a-t-il dit.
Le racisme ne disparaît pas parce qu’on ferme les yeux en prétendant qu’il n’existe pas. Nous devons donner à nos enfants les outils adéquats pour le repérer puis le combattre.
Nous avons donc parlé des stéréotypes asiatiques blessants, des représentations faussées, d’ethnocentrisme et de sous-représentation. Après avoir lu And to Think That I Saw It on Mulberry Street, nous avons lu Hannah Is My Name, le magnifique roman de Belle Yang sur une jeune Taïwanaise immigrée. Nous avons comparé les deux histoires ― le traitement farfelu des personnages asiatiques dans le livre de Dr. Seuss par rapport à l’empathie que Belle Yang accorde à son personnage.
Je leur ai expliqué que l’autrice étant elle-même taïwanaise, elle avait apporté à son texte l’authenticité qui manque cruellement dans les livres de Dr. Seuss. Sans cette comparaison, mes enfants n’auraient jamais su comment la voix d’un auteur marginalisé peut changer le récit et aider à renverser les stéréotypes nuisibles.
Je pense qu’en tant que parents, il est irresponsable de faire l’impasse sur les livres pour enfants contenant une idéologie raciste. Le racisme ne disparaît pas parce qu’on ferme les yeux en prétendant qu’il n’existe pas. Nous devons donner à nos enfants les outils adéquats pour le repérer puis le combattre.
Les Noirs se sont jamais des héros littéraires
C’est la triste vérité à laquelle j’ai dû faire face en regardant silencieusement chacun de mes trésors d’enfance (Le Livre de la jungle, Peter Pan et La Petite Maison dans la prairie) être marqué du sceau de l’infamie. Alors que j’accusais le coup, j’ai aussi eu une révélation. Je me souviens parfaitement de ce moment. Je me revois courir à mon bureau et m’assoir pour dresser la liste de mes livres d’enfance préférés. Au fur et à mesure que ma liste s’allongeait, une chose m’a sauté aux yeux: aucun personnage ne me ressemblait, aucun ne s’exprimait comme moi.
Pour être honnête, une vague de blancheur impénétrable submerge ces romans en même temps qu’elle étouffe la voix des autres. C’est pour cette raison que je ne trouvais rien d’étrange, quand j’étais au lycée, à ce qu’Atticus Finch, le héros de Ne tirez pas sur l’oiseaumoqueur de Harper Lee, se précipite au secours de Tom Robinson, un pauvre Noir. Cela me semblait tout à fait normal. Tous mes héros littéraires étaient blancs, et les gens de couleur, des personnages sans consistance tristement stéréotypés et facilement oubliables.
Plus tard, je n’ai pas sourcillé en voyant Huckleberry Finn descendre le Mississippi avec Jim, son compagnon noir déshumanisé. Pour moi, la lecture de ces livres confirmait une vérité essentielle qu’on m’avait apprise sur moi-même et à laquelle je me résignais: j’étais Noire et je ne serais jamais l’héroïne.
Aujourd’hui, en tant que mère et enseignante, je regarde ces livres d’un œil averti. Lorsque je les lis avec mes enfants, nous remettons immédiatement l’histoire dans son contexte, son époque, analysons l’intention de l’auteur et les représentations néfastes des personnes marginalisées. Pour mes élèves, qui sont en majorité blancs, je procède de la même manière.
Je me revois courir à mon bureau et m’assoir pour dresser la liste de mes livres d’enfance préférés. Au fur et à mesure que ma liste s’allongeait, une chose m’a sauté aux yeux: aucun personnage ne me ressemblait, aucun ne s’exprimait comme moi.
Les aventures de Huckleberry Finn, un classique incontournable du programme de Première, figure sur la liste des livres interdits depuis de nombreuses années, mais je soutiens qu’il s’agit d’un texte important et qu’il faut l’enseigner. Bien que Mark Twain y utilise le mot “nègre” 219 fois, cette folie s’explique. Supprimer le mot reviendrait à désensibiliser le lecteur face à l’horreur de cette période et à délégitimer la lutte de Jim. La suppression pure et simple du livre du programme est synonyme d’effacement de l’histoire. Ce faisant, on n’efface pas seulement les mots de l’auteur mais ceux de Jim lui-même, qui incarne pourtant l’expérience de tant d’esclaves américains.
Je pense qu’il vaut mieux donner aux étudiants les outils nécessaires pour disséquer et analyser de manière critique ce genre de livres afin d’assurer des discussions franches. En outre, il est important de réaliser que ces textes ne sont pas les vecteurs d’un mal absolu et que nous ne pouvons pas nous contenter de jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est plus nuancé que cela. Après tout, il y a une raison pour laquelle Jim, un esclave sans instruction, incarne le summum de la moralité dans le texte.
Lire ces livres racistes et en tirer les leçons
C’est précisément pour tout cela que je ne soutiendrai jamais la mise à l’index des livres. C’est contraire à l’apprentissage et au développement intellectuel. Le monde n’est pas noir ou blanc. Nous avançons et nous surpassons dans les zones grises. On ne peut pas effacer le passé. Il faut lire ces livres racistes et en tirer les leçons, en causer avec nos enfants même si c’est difficile, pour qu’ils sachent quand et pourquoi ils ont été écrits. C’est une manière de les préparer à affronter le monde. On ne peut pas tourner le dos à ces discussions, de la même manière qu’on ne peut pas fermer les yeux face au racisme. Mais il faut aller plus loin et causer du pourquoi et du comment pour permettre une véritable compréhension et provoquer un réel changement. Il faut faire preuve de courage et affronter ces défis.
Ainsi, même si je ne jetterai pas mes exemplaires de Babar et de La Petite Princesse, je remplirai joyeusement mes étagères des livres de littérature jeunesse inclusive qui ont récemment inondé le marché. Grâce à des initiatives telles que #ownvoices et We Need Diverse Books, mes enfants et mes élèves peuvent croiser la route de personnages culturellement différents qui bravent les stéréotypes que véhiculent certains classiques de la littérature.
Heureusement, contrairement à moi, ils grandissent à une époque où ils peuvent découvrir et interagir avec des personnages qui leur ressemblent et partagent leurs sentiments et, plus étonnant encore, être les héros de leurs propres histoires.
Ce blog, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord.
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