“Je voulais que rien ne bouge” : la Maison Gainsbourg par Charlotte Gainsbourg

Mercredi 13 septembre, J-7 avant l’ouverture au public du 5 bis rue de Verneuil, trente-deux ans après la mort de Serge Gainsbourg. Charlotte Gainsbourg, fille de Serge et propriétaire des lieux, convie une poignée de journalistes à une table...

“Je voulais que rien ne bouge” : la Maison Gainsbourg par Charlotte Gainsbourg

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Mercredi 13 septembre, J-7 avant l’ouverture au public du 5 bis rue de Verneuil, trente-deux ans après la mort de Serge Gainsbourg. Charlotte Gainsbourg, fille de Serge et propriétaire des lieux, convie une poignée de journalistes à une table ronde pour évoquer cette inauguration. La scène se déroule dans la salle du Gainsbarre, au 14 rue de Verneuil, juste en face de la Maison. Le bar comme le musée, situé au numéro 16 de la même artère, ouvriront leurs portes eux aussi le 20 septembre. Petit florilège des interventions de la comédienne et chanteuse, où il sera question d’héritage, de mémoire et de choix cornéliens.

Émotion

Je n’avais aucune certitude, à part bien sûr celle de faire ce musée. Cette maison, je la tiens depuis mes 19 ans, le plus précieusement possible, sans y toucher. Mais je n’ai jamais eu de certitude. Est-ce qu’il n’y a qu’à moi que ça fait cet effet ? Il y a des personnes que j’ai invitées rue de Verneuil depuis tout ce temps, et qui étaient très émus par le lieu. Alors oui, je pense que c’est un lieu qui est très chargé et c’est pour ça que j’ai osé le faire. Aujourd’hui, ça me rassure vachement d’avoir des réactions.”

Pudeur

“Il y a un côté voyeur. Ma mère, qui n’a pas pu faire la pré-visite, me l’avait dit. Je lui avais expliqué que c’était bizarre, parce qu’on regarde le salon, mais on ne peut pas le traverser. On ne le voit qu’à travers les vitres extérieures. Il y a donc un côté un peu voyeur. Et elle m’avait dit : ‘Mais c’est bien, voyeur. C’est très bien.‘ Ça ne m’étonne pas d’elle.”

“Le côté impudique, moi je vis avec depuis toujours. J’ai un côté impudique et dans ma famille on a ça : Un côté pudique et un autres très, très impudique. Je ne peux pas faire autrement. De toute façon, j’ai l’impression que tout le monde sait tellement tout de nous, que je n’ai pas le sentiment de révéler des secrets. Par contre, j’ai le sentiment que ça donne une autre vision de son travail, de là où il a créé certaines choses, de son quotidien. Je trouve ça incroyable de me dire que quelqu’un de cette envergure ait eu une si petite cuisine, des plafonds si bas. À l’époque, ça me paraissait normal. Mais aujourd’hui, avec certains artistes qui ont la folie des grandeurs parfois, bah non il était en fait hyper modeste.”

Un lieu qui bouge

“Le lieu a évolué. J’imagine qu’on est tous pareil, en accumulant des objets chargés d’histoires nouvelles. Le canapé qui était là au tout début, dans les années 1970, il le change quand Bambou (dernière femme de Serge Gainsbourg, ndlr) arrive, je crois. Et donc tout le décor change. À partir des années 1980, ça devient vraiment très chargé d’objets.”

Jardin

“Ça a toujours été une petite allée et nous, quand on était petites, Kate (Kate Barry, fille de Jane Birkin et demi-sœur de Charlotte, ndlr) et moi, on dormait dans la chambre qu’on ne voit pas, qui est derrière la cuisine, et cette petite chambre donnait sur un jardin, qui est celui de la pochette de L’Homme à tête de chou. Dans le temps, c’était une écurie, qui faisait partie d’un immeuble voisin qui donnait sur les Saints-Pères. On n’avait pas le droit d’y aller. On y mettait des faux-serpents, on faisait pipi. On a fait toutes les conneries possibles.”

Usure

Je voulais que rien ne bouge et on m’a fait comprendre avec ce projet, que ces trente-deux années, c’étaient les conditions de conservation idéales. Parce que j’y allais, mais pas souvent. Tout était conservé du fait que personne n’y entrait et qu’il n’y avait pas beaucoup de lumière. J’ouvrais les rideaux et on aérait de temps en temps, mais pour moi, c’était très important de garder son odeur. Il y a moins cette odeur aujourd’hui, ça va disparaître. Il portait l’eau de toilette Van Cleef & Arpels pour homme, et évidemment il y avait l’odeur des Gitanes, l’odeur d’alcool aussi. Et puis après, je ne sais pas, l’odeur qu’il y a quand on va chez les gens. Tout ça pour dire qu’avec la lumière, la transpiration des visiteurs, ce qui est normal pour un lieu public, la maison va se prendre dix ans dans la figure en très peu de temps.”

Héritage

J’ai eu peur pour mes enfants. J’ai eu peur qu’ils ne sachent pas quoi faire avec. Ça a été un poids pour moi pendant trente-deux ans. Trente-deux ans à me dire que je veux faire un musée, sans y arriver et à taper à la porte de tout le monde. Les gens me disaient que c’était un super projet, mais en en même temps, c’est trop petit. Il y avait tellement de contraintes que je n’y arrivais pas. J’allais presque l’ouvrir sur rendez-vous, quelque chose de plus modeste qu’aujourd’hui. Et puis je me suis dit : ‘Mais imagine que je meurs, qu’est-ce qu’ils font mes enfants ? Ils la vendent ? Ils ont le poids de sentir que leur mère l’a gardée à bout de bras comme ça ?‘ Il fallait que je bouge. Que je la vende ou que ça devienne un truc, mais il fallait que ça avance.”

“À un moment, j’ai eu des soucis d’argent, enfin, comme tout le monde. Et donc j’ai pensé vendre notre maison à Yvan (Yvan Attal, compagnon de Charlotte, ndlr) et moi, et qu’on aille au 5bis. Et je crois qu’Yvan m’a dit : ‘Tu te fous de ma gueule ?‘ Ça n’a été envisagé que quelques minutes.”

”Au tout début, en 1991-92, j’ai voulu faire une villa Médicis. Je me suis dit que, peut-être, pour que ça ait du sens, il fallait que j’accueille des artistes. Et puis j’ai réalisé que s’il y avait des gens qui y dorment, il fallait tout vider. Ça ne pouvait pas rester tel quel. Et dès qu’il s’agissait de bouger un petit truc, je n’y arrivais pas.”

Le bon moment

“Il a fallu quatre ans pour ce projet-là. Il y avait eu un projet bien plus ancien, en 2008, qui était sublime. Avec François-Henri Pinault, qui m’aidait à l’époque et qui m’aide encore aujourd’hui, qui m’a fait rencontrer Jean Nouvel. Il avait pensé la désosser et l’enfermer dans un écrin de verre. On l’aurait visitée sur les côtés, au-dessus, comme ça. Un truc, je pense, pas tout à fait viable, qui aurait coûté une fortune. Mais j’ai fait marche arrière, à une époque où c’était trop compliqué dans ma tête à gérer et j’ai craqué. Vraiment, j’ai refermé la porte, je me suis excusé auprès de toutes les personnes qui m’avaient aidée, et j’ai refermé la porte pendant pas mal d’années. Je me suis dit que ce n’était pas le moment. Je voulais prendre un temps de calme et garder un truc secret, à moi, que je pouvais ne pas partager.”

Parcours sonore

“Je n’ai pas l’impression de partager des secrets, j’en ai encore. J’ai failli la vendre quand même, au début de ma vie à New York, peut-être. Je me suis dit ‘j’arrête’. Et puis j’ai rencontré un ami, Stephan Crasneanscki, qui signe avec Soundwalk Collective le parcours sonore du 5bis. Stephan, avec qui j’ai commencé à faire des projets pour des musées, des voix qui accompagnent des visiteurs, m’a fait rencontrer des gens : c’était génial de travailler avec Patti Smith, ou avec Willem Dafoe, sur le Louvre à Abu Dhabi, qui était déjà un parcours sonore. Il m’a dit, avant qu’il ne se passe quoi que ce soit : ‘Laisse-moi t’enregistrer.’ C’est sa passion d’enregistrer les gens dans les murs, d’enregistrer des ambiances, de travailler avec ce genre de matériaux. Il m’a dit : ‘Je vais enregistrer tout ce que tu as à dire sur la rue de Verneuil.’ Lui a bossé avec Patti Smith, à Pompidou, pour un parcours sonore sous casque. On s’est dit que ça serait un truc génial de faire un parcours.”

“Parce que je me suis dit au tout début : ‘Ok, on visite la rue de Verneuil, mais comment on la visite ? En silence ?‘ Pour moi, depuis qu’il est mort, ça a toujours été dans le silence. Donc je ne voulais pas qu’il y ait sa voix, que ça fasse fantôme. Je n’étais pas du tout sûre de ce que j’imaginais. Stephan a fait un travail très délicat. J’avais envie de expliquer mes souvenirs, de donner ma vision d’enfant et de partager ça. Mais je trouve ça hyper beau qu’il ait fait exister mon père, que ma mère soit là aussi, qu’il y ait ces voix d’enfants.”

“C’est comme si je m’étais donnée l’exclusivité. Je voulais être plus modeste que ça au départ. J’avais pensé que ma mère pouvait faire sa visite et que Bambou aussi, peut-être, va savoir ! Trouver les moyens de faire sa visite à lui, comme ils ont réussi à le faire exister dans le parcours vidéo du musée. Peut-être qu’il peut, lui, nous guider. Ma mère m’a dit que tout ça, c’était vieux pour elle. Elle y a habité jusqu’en 1980. Après, elle lui rend visite, mais ce n’est plus chez elle.”

Célébrer Serge, sans Jane

“C’est très lourd à porter, parce que je ne sais plus où j’en suis. Je vis un truc en dents de scie. Mes proches sont venus il y a quelques jours, tout le monde était hyper ému. Je me lève un matin, je crois que ça va aller et ça va plus. Je viens de perdre ma mère, donc c’est horriblement douloureux. C’est difficile à admettre et à partager aussi, mais je ne vais pas m’empêcher de causer d’elle non plus. Et en même temps, elle n’a pas voulu venir. Je pense qu’elle m’a juste laissé faire. C’était délicat pour elle, cette rue de Verneuil. C’était beaucoup de souvenirs et, en même temps, un truc hyper lointain. Elle l’a chanté pendant trente-deux ans, donc elle avait sa manière à elle de vivre son manque de lui. Moi, mon manque de lui, ce n’était que le 5bis. Elle a aussi compris que c’était très compliqué pour moi ces trente-deux ans. Aujourd’hui, j’ai envie que ça ouvre et que ce soit réussi. Et en même temps, je n’ai pas envie aussi .” [rires]

La chambre de Serge, où il est mort

“J’ai déjà parlé de sa mort et de cette chambre à travers une chanson. Et comme j’ai l’impression d’avoir déjà dit quelque chose de cru, là, ça me paraissait complétement naturel de dire vraiment ce que j’ai vécu et ce que cette chambre m’évoque aujourd’hui.”

Se souvenir

“Tout ce qui arrive avant 1980, ce n’est pas très net, parce que notre chambre d’enfant, elle est n’est plus là aujourd’hui. J’ai des souvenirs avec Kate, qui n’est plus là non plus. Je suis un peu la seule des quatre. Alors qu’à partir de 1980, il y a Bambou et on a vraiment une vie à trois les week-ends, hyper privilégiée, parce qu’elle est hyper mignonne avec moi. Là, les souvenirs sont encore très vivants. Après 1991, c’est plus difficile.”

L’agenda de Serge

“Sébastien Merlet [commissaire du musée] me disait : ‘Peut-être qu’on pourrait montrer cette page-là de l’agenda’, j’étais toujours d’accord avec ce qu’il proposait. Mais à la fin du parcours, il proposait une autre page de l’agenda de 1991. Et en fait, j’ai dû un peu rectifier le tir et dire que non : ‘J’ai mon intimité avec mon père et c’est ça que je veux partager. Et c’est plus important que tout l’historique, tout le côté professionnel de mon père.’ Sur la dernière page du carnet, il y a écrit : ‘Donner les clefs à Charlotte, Charlotte dodo.’ Et c’est parce que le 28 février, donc deux jours avant sa mort, il me donnait les clefs pour que j’aille habiter avec lui. Je sortais d’une peine de cœur atroce, j’avais beaucoup de mal à me réparer. Et ma mère, je pense, l’a poussé un peu, mais il a été vachement volontaire. Il m’a dit : ‘Si tu veux, tu viens vivre avec moi.’ Et j’ai passé une nuit dans la chambre des poupées, où il m’avait mis à côté du lit – et ça va choquer beaucoup de parents responsables – un cendrier, un paquet de Marlboro Light et une boîte de Lexomil.”

Archives et mémoires

“Parfois, je faisais semblant de relire les trucs, et je ne relisais pas. Parfois je faisais même semblant de savoir. Quand ils me disaient : ‘Quand ton père a été, pendant la guerre, tu sais là, dans la maison où il a été caché…’, je disais oui, mais je ne savais pas du tout. J’ai appris énormément de trucs. Je n’ai toujours pas lu de biographie de lui, par choix. Mais un jour peut-être. J’adore savoir des choses, mais je ne veux pas qu’on me les impose. Ce n’est pas très généreux de ma part. Eux [les commissaires et archivistes], ont fait un boulot exceptionnel d’investigation, mais c’est presque comme si on me l’arrachait aussi. Je ne voulais pas qu’on me le vole. Parfois il fallait lâcher, mais parfois il fallait que je remette les choses à leur place aussi. Ils ont fait un boulot d’archéologue. Moi j’ai gardé ce que je savais de l’époque.”

La Maison Gainsbourg, ainsi que le musée et le Gainsbarre (5 bis, 14 et 16 rue de Verneuil), ouvriront leurs portes au public le 20 septembre.