Jeremy Strong (“Succession”, “Armageddon Time”) : “Jouer ne me donne pas beaucoup de temps pour respirer”

Quel serait le plus beau compliment que l’on puisse faire à Jeremy Strong ? Lui dire que devant Armageddon Time, on a oublié pendant deux heures l’existence de Kendall Roy, le fils du patriarche de Succession. La satire du capitalisme tardif...

Jeremy Strong (“Succession”, “Armageddon Time”) : “Jouer ne me donne pas beaucoup de temps pour respirer”

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Quel serait le plus beau compliment que l’on puisse faire à Jeremy Strong ? Lui dire que devant Armageddon Time, on a oublié pendant deux heures l’existence de Kendall Roy, le fils du patriarche de Succession.

La satire du capitalisme tardif créée par Jesse Armstrong prend beaucoup de place dans nos têtes et peut-être encore plus dans celle de l’acteur né à Boston, à la fin des seventies. Le rôle lui colle à la peau, pour de bonnes et de mauvaises raisons, celles qui font le beau souci d’un acteur de série en même temps que sa gloire.

Cet après-midi-là, pendant le Festival de Cannes, Jeremy Strong mesure son défi. “Il y a une forme de fardeau à porter quand on joue un rôle si marquant. J’aimerais que l’acteur devienne un vaisseau qui laisse place au personnage, qu’on ne voie même pas les coutures, ni les restes d’anciens rôles. Quand on a fabriqué déjà trente heures de fiction, bientôt 40, comme c’est le cas avec Succession, cela devient un challenge. Un personnage comme Irving dans Armageddon Time offre une possibilité de transformation. Cet homme est très éloigné de Kendall, et tant mieux.

Une histoire de fantômes

Dans le beau mélo familial de l’auteur d’Ad Astra, inspiré de l’enfance du cinéaste dans le Queens juste avant les années Reagan, Strong joue le père du héros, incapable de laisser son jeune fils poursuivre ses désirs d’artiste tout en voulant son bien. “La plus authentique et la plus riche expression de l’amour”, selon les mots de Gray que relaie le comédien. “Irving avance dans le monde avec une rage, une expression confuse de l’amour paternel qui a existé dans une certaine génération. Il y a de la violence, de l’abus, du trauma. Jouer cela avec James devant le moniteur donnait des journées difficiles, car je ressentais la responsabilité de dire la vérité. Nous avons tourné dans le quartier où James a grandi. Sur le plateau, on sentait la texture de la vraie vie.

Installé au Danemark avec sa femme psychiatre et leurs deux enfants, Strong a pris un train jusqu’à Copenhague durant le 1er confinement pour obtenir une connexion Internet stable et accepter la proposition d’un auteur dont il suivait le travail depuis des années. “À mes yeux, il est l’une des grands cinéastes américains. Il m’a cité Kubrick, qui appelait à plus de sincérité et d’audace. James est l’un des rares qui gardent cette lumière allumée. Pour travailler avec lui, j’aurais traversé un océan à la nage.

Diplômé d’anglais de la prestigieuse université de Yale, Strong s’exprime avec une grande précision, un ton presque cérémonieux et des références littéraires. Il évoque Mort d’un commis voyageur et estime que la perte de l’innocence du garçon dans le film est aussi celle d’un pays entier miné par les inégalités raciales et les privilèges. Gray et lui ont parlé de Marcel Proust, notamment Du côté de chez Swann. “James m’a montré un passage que je peux pas redire de tête, mais qui explique en substance que les lieux que nous avons connus n’existent plus. La mémoire d’une image n’est rien d’autre que le regret d’un moment. Les routes, les maisons et les avenues s’évanouissent comme les années. Ce sens du temps comme une récession occupe James dans ce film. Pour lui, Armageddon Time est une histoire de fantômes.

Un acteur intense

Fan ultime de Daniel Day Lewis et Dustin Hoffman durant ses années de formation, Jeremy Strong a fait ses classes dans le théâtre new-yorkais et traversé le cinéma américain en second rôle solide (Lincoln, Zero Dark Thirty, The Big Short), jusqu’à se révéler aux yeux du monde avec Succession en 2018.

Son approche intense et son esprit de sérieux, mis en avant dans un article du magazine New Yorker devenu viral en 2021, ont pu lui valoir moqueries et inimitiés parmi ses collègues. La légèreté ne fait pas partie de son vocabulaire. “Le fait de jouer ne me donne pas beaucoup de temps pour respirer, admet-il. L’exercice est ardu, un peu tortueux. Et comme j’y tiens énormément, la place que prend le jeu est très importante. Je ne suis jamais vraiment satisfait, c’est assez pesant.

En ce moment, les producteurs de Succession façonnent la quatrième saison ultra attendue des aventures de la famille Roy, prévue pour le printemps 2023. “Ce qui est formidable, c’est la façon dont les scénaristes parviennent à imaginer de nouvelles montagnes à gravir. On pense être arrivé au sommet, mais il en reste un autre derrière et tout recommence. Cette nouvelle saison m’excite et me terrifie.

Sans révéler le sort de Kendall, plus isolé que jamais et toujours en course pour prendre les rênes de l’entreprise de médias familiale (ou pour échouer lamentablement), Strong évoque son rapport à ce mec étrange et dangereusement perdu. “Si le rôle de Kendall a tout changé pour moi, c’est par la durée de l’investissement. Quand je le revois entrant dans la voiture en écoutant les Beastie Boys, il y a cinq ans, je sens que lui et moi sommes devenus extrêmement différents. Je ne sais pas s’il m’a rendu heureux, mais l’opportunité de l’incarner, comme de jouer dans Armageddon Time, oui, peut-être. C’est tout ce que j’ai toujours voulu faire dans la vie.

Propos recueillis par Olivier Joyard.

Armageddon Time de James Gray. Au cinéma.