Jérôme Seydoux : pourquoi ses propos sur le cinéma français sont faux et belliqueux

Une dizaine de jours après la couverture polémique du Film Français où il trônait en patriarche d’une meute de mecs et quasi chef de guerre d’une “reconquête” menée à grand renfort de testostérone et de super-productions, Jérôme Seydoux, milliardaire...

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Une dizaine de jours après la couverture polémique du Film Français où il trônait en patriarche d’une meute de mecs et quasi chef de guerre d’une “reconquête” menée à grand renfort de testostérone et de super-productions, Jérôme Seydoux, milliardaire du cinéma français et patron de Pathé, était ce matin l’invité, en compagnie de la cinéaste et actrice Nicole Garcia, du directeur général de MK2 Nathanaël Karmitz et de la productrice Isabelle Madelaine, de la matinale de France Inter, à l’occasion d’une journée spéciale consacrée au cinéma.

Une fois le décor d’une crise record de la fréquentation planté par Nicolas Demorand (-34% en septembre, pire mois depuis 1980), un 1er tour de table a mis à jour le fossé idéologique entrevu sur la couverture du Film Français. Alors que Garcia et Karmitz constatent l’impasse actuelle, tout en appelant de leurs vœux un CNC protecteur et en louant un cinéma français récompensé dans les plus grands festivals grâce à ses réalisatrices (Audrey Diwan, Alice Diop, Claire Denis, Julia Ducournau), Jérôme Seydoux relativise la crise actuelle de la fréquentation et décrit les films français des douze derniers mois comme étant “pauvres”, “faibles” et “pas assez bons”. Il donne pour preuve le fait que, sur la période, le film français ayant le mieux marché pointe à la treizième position du box-office, derrière douze productions américaines. 

Le fait qu’il se trompe n’est pas le plus navrant dans ses affirmations, mais commençons par là. Sur les douze derniers mois, trois films français se placent dans les douze films ayant totalisé le plus d’entrées : Qu’est ce qu’on a tous fait au bon dieu ? (9e avec 2,4 millions de spectateur·trices), Maison de retraite (11e avec 2 millions) et Super-héros malgré lui (12e avec 1,8 millions). C’est certes moins bien que les années précédentes, mais pour quelqu’un qui place la logique comptable au-dessus de tout, cette approximation fait tache. 

Rentabilité économique

Plus gênante est la confusion qu’il fait entre qualité des œuvres et rentabilité économique. Particulièrement défiltré, le cynisme marchand de Jérôme Seydoux est ici exprimé avec une glaçante limpidité : un bon film est, pour lui, un film qui rapporte beaucoup d’argent, qu’importe si le cinéma d’auteur français rayonne dans le monde, mais aussi en salle (à leur échelle, les films de Moll, Mouret, Winocour, Zlotowski et Carrère sont de vrais succès publics). Il poursuit en livrant sa vision de la salle de demain, appelant à “une montée en gamme” de l’offre, sans qu’on comprenne bien ce que cela signifie, sinon une augmentation du prix des places, pour finir par tacler à demi-mot le récent Appel à des États généraux du cinéma, accusant une partie de la profession d’attendre des pouvoirs publics qu’ils jouent le rôle du Père Noël. 

Durant une vingtaine de minutes, le schisme qui agite aujourd’hui le cinéma français s’est très clairement illustré. D’un côté, il y a celles et ceux qui causent d’artistes, d’artisan·es et d’œuvres, qui vantent les mérites d’une industrie cinématographique de qualité mais ayant besoin de l’appui des pouvoirs publics pour survivre et s’adapter aux bouleversements actuels. De l’autre, il y a celles et ceux qui causent d’entrepreneur·ses et d’entertainment, qui critiquent cette industrie tout en croyant que “la main invisible” du marché finira bien par tout arranger. Les 1er·es croient dans leurs films mais s’inquiètent de la prégnance des logiques marchandes, tandis que les second·es croient dans le marché mais critiquent la qualité des films. 

Se concerter pour trouver des solutions

En apparence irréconciliables, ces deux camps ont toujours existé et très bien cohabité dans l’écosystème du cinéma français. S’ils s’affrontent aujourd’hui (en plus du plateau de la matinale, on pense à la réponse musclée que le collectif d’Appel aux États généraux du cinéma vient de faire à la chronique mesquine de Michel Guerrin dans Le Monde il y a quelques jours), c’est parce qu’ils doivent se partager les parts d’un gâteau devenu plus petit. Les causes de cette diminution sont multiples, mais plutôt que de s’en rejeter la responsabilité (la faute à Netflix, au Covid, aux films, à l’inflation, aux vieux·eilles qui ne reviennent pas en salle, aux pouvoirs publics, au marché), le cinéma français a tout intérêt à se concerter pour trouver les solutions. 

Elles existent et sont évidentes : taxer plus fortement les plateformes, maintenir et réaffirmer les politiques d’éducation à l’image dans l’enseignement, réaffirmer le rôle du CNC en tant que rempart aux logiques purement marchandes, plus que jamais veiller à ce que de jeunes cinéastes puissent avoir les moyens de réaliser les œuvres qui donneront aux nouvelles générations le goût du cinéma et avoir une politique culturelle soucieuse de la diversité des œuvres et des publics. Si, entre l’Appel aux États généraux du cinéma et la couverture du Film Français, les protagonistes du débat sont sorti·es du bois, il reste deux grands absents qui devront bien finir par descendre dans l’arène : le CNC et le Ministère de la Culture. Pour l’instant, le seul projet avancé par les pouvoirs publics, baptisé France 2030 – La grande fabrique de l’image (qui consiste principalement en un plan de modernisation des grands studios) est une réponse industrielle largement insuffisante et insatisfaisante du point de vue de la diversité du cinéma français.