Jersey: le Royaume-Uni et la France ont-ils frôlé la guerre?
BREXIT - Le ton est monté brutalement entre le Royaume-Uni et la France. Ce mercredi, Londres a montré ses muscles en déployant deux navires de guerre de la Royal Navy autour de l’île anglo-normande de Jersey, en riposte à la manifestation...
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BREXIT - Le ton est monté brutalement entre le Royaume-Uni et la France. Ce mercredi, Londres a montré ses muscles en déployant deux navires de guerre de la Royal Navy autour de l’île anglo-normande de Jersey, en riposte à la manifestation de plus d’une cinquantaine de bateaux de pêche français, protestant contre les restrictions d’accès qui leur sont imposées à la suite du Brexit.
Si le Royaume-Uni a revendiqué “une mesure strictement préventive” tout en appelant à une “désescalade des tensions”, la France a répliqué en dépêchant ce jeudi deux patrouilleurs à proximité de l’île de Jersey. Un geste qui a pu laisser craindre le pire.
Mais Paris a bien insisté sur le fait que ces bateaux, a priori désarmés, étaient uniquement prépositionnés pour assurer “la sécurité de la navigation et la sauvegarde de la vie humaine en mer”. En début d’après-midi, les pêcheurs français ont annoncé qu’ils quittaient les eaux territoriales de l’île anglo-normande.
Comment interpréter ces démonstrations de force, qui peuvent faire écho aux guerres des morues, de violents affrontements entre navires britanniques et pêcheurs islandais dans les années 1970? Le Royaume-Uni et la France ont-ils vraiment été au bord de la guerre autour du sort de Jersey?
Appels au calme
Jointe par Le HuffPost, Catherine Matthieu, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et spécialiste des questions européennes, reconnaît que “la France et le Royaume-Uni sont allés très vite dans la montée des tensions”. Avant de nuancer: “Côté français, on a été très surpris et on a réagi rapidement. Mais il y a une volonté que la situation se rétablisse”.
C’est bien la position défendue par l’exécutif français. “La décision britannique (sur l’encadrement de la pêche) crée chez nos pêcheurs de la surprise, de l’inquiétude et de la frustration. On souhaite que la situation soit rétablie”, expliquait-on dans la matinée à l’Élysée, l’espoir étant que “tout le monde reprenne ses esprits et qu’on puisse se causer sur le fond du dossier et l’attribution des licences de pêche dans les eaux de Jersey”.
Le président du comité régional des pêches de Normandie, Dimitri Rogoff, allait également dans ce sens mercredi: “Il n’est pas question de passer à l’assaut. (…) Le but du jeu, c’est de se montrer, de faire voir que les pêcheurs sont déterminés, d’appuyer ce qui a été réclamé”, avait-il déclaré à l’AFP.
L’angle mort des droits de pêche
Pas de menace de guerre militaire donc, mais bien un conflit économique qui n’est toujours pas soldé.
Le sujet de discorde qui a mené à cette escalade concerne les conditions de pêche imposées après le Brexit, point qui avait déjà été explosif au cours des négociations autour de l’accord de retrait trouvé entre Londres et Bruxelles en vigueur depuis le 1er janvier dernier. Le Royaume-Uni a publié vendredi dernier une courte liste de 41 navires français autorisés à pêcher dans les eaux de Jersey (sur 344 demandes) mais avec des conditions “qui n’ont pas été concertées, discutées, ni notifiées avant”, selon Paris.
Pour rappel, les îles anglo-normandes sont plus proches de la France que de la Grande-Bretagne, situées à environ 22 km au large de la pointe du Cotentin (Normandie) et 130 km au sud de l’Angleterre. Elles n’appartiennent ni au Royaume-Uni ni aux territoires britanniques d’outre-mer mais dépendent de Londres pour leurs relations diplomatiques.
“Acte de guerre”
Le gouvernement et les pêcheurs français ont ainsi estimé que Londres, en traînant des pieds sur l’octroi des autorisations de pêche, s’affranchissait de l’accord conclu dans le cadre du Brexit. C’est pourquoi Annick Girardin, ministre française des Affaires maritimes a appelé ce jeudi les autorités britanniques à revenir sur les restrictions d’accès aux eaux de Jersey imposées aux pêcheurs français à la suite du Brexit.
Plus tôt dans la semaine, la même ministre avait mis le feu aux poudres en menaçant de couper l’électricité sur l’île, ce à quoi le chef de l’Association des pêcheurs de Jersey, Don Thompson, avait répondu que cela “s’apparentait à un acte de guerre”.
Nous sommes aux côtés des pêcheurs ???????? dépendant d'un accès aux eaux britanniques. Nos voisins imposent des critères n'appartenant pas à l'accord post-#Brexit. Le droit est formel, les conventions doivent être respectées. Nous veillerons à ce que l'accord signé fin 2020 le soit. pic.twitter.com/vVoEW6duO3
— Annick Girardin (@AnnickGirardin) May 4, 2021
La présence de patrouilleurs, un “bon signe”
C’est dans ce contexte à couteaux tirés, et face à la manifestation potentiellement menaçante de pêcheurs français en colère, que Londres a décidé de dépêcher ses deux navires de guerre.
Un geste stupéfiant mais que l’on peut aussi interpréter comme un “bon signe”, selon Catherine Matthieu. Car la présence de navires officiels des deux côtés montre que personne ne veut que la situation dégénère. Paris avance ainsi que “la présence des patrouilleurs doit être interprétée comme la volonté de s’assurer du maintien de l’ordre, éviter les altercations entre navires.”
Idem du côté de Londres. Selon Catherine Matthieu, “il est normal que les Britanniques réagissent et protègent Jersey parce que l’alimentation des habitants de l’île est en jeu avec la menace de couper l’électricité”. “Car si on en venait vraiment à couper l’électricité, ce serait une vraie déclaration de guerre”, poursuit la spécialiste.
Quitter l’UE “a un coût’
Reste à trouver une solution diplomatique pour ne pas que le conflit s’envenime. La lenteur des licences accordées aux pêcheurs français s’explique, selon Catherine Matthieu, par une période de flottement liée davantage à la mise en place de l’accord en vigueur depuis le 1er janvier dernier qu’à une volonté délibérée de l’île de déclarer une guerre commerciale. “Si les autorités locales n’ont accordé que 41 licences, c’est vraisemblablement parce qu’il y a eu un point de blocage administratif, estime-t-elle, c’est-à-dire que les Français n’ont peut-être pas donné tous les éléments permettant à Jersey d’accorder les licences prévues”.
Comme l’a d’ailleurs expliqué à l’AFP Jean-Luc Hall, quand un navire est récent, il doit prouver que le bateau qu’il remplace naviguait dans les eaux britanniques. “Administrativement parlant, tout ne peut pas se mettre en place de façon très simple et rapide”, conclut la spécialiste des questions européennes.
Pourquoi le ton est-il alors monté si rapidement entre les deux pays si le problème est uniquement administratif? Du côté de Londres, tout ce qui a trait au Brexit prend immédiatement une tournure politique hautement inflammable. Le président de l’Association des pêcheurs de Jersey, Don Thompson, a bien insisté sur le fait qu’il serait “extrêmement injuste” que le gouvernement britannique “capitule” sous la pression. Le Premier ministre Boris Johnson “a réitéré son soutien indéfectible à Jersey” et confirmé jeudi “que les deux patrouilleurs vont rester pour surveiller la situation”, a fait savoir Downing Street.
Du côté de Paris, “la France tient une position très dure vis-à-vis du Royaume-Uni, pour leur faire comprendre que quitter l’Union européenne a un coût. Elle ne laisse plus rien passer”. Une situation d’autant plus inflammable que Bruxelles et Londres n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur l’adoption de quotas de pêche pour les stocks partagés entre l’UE et le Royaume-Uni pour 2021.
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