J'étais prof par passion, mais aujourd'hui, je décide de changer de métier - BLOG
ENSEIGNEMENT —Je n’ai pas choisi l’enseignement, c’est l’enseignement qui m’a choisie. Quand je me suis retrouvée par hasard, à l’âge de dix-huit ans, devant une cinquantaine d’étudiants dans une prestigieuse université américaine, j’y ai vu...
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ENSEIGNEMENT —Je n’ai pas choisi l’enseignement, c’est l’enseignement qui m’a choisie. Quand je me suis retrouvée par hasard, à l’âge de dix-huit ans, devant une cinquantaine d’étudiants dans une prestigieuse université américaine, j’y ai vu mon destin. Le coup de foudre. J’étais alors moi-même une étudiante perdue, ayant passé ma première année de Licence à errer dans les couloirs de la fac sans trop savoir ce que je faisais là.
À l’issue de mon voyage outre-Atlantique, c’était décidé: je deviendrai professeur de Français Langue Etrangère (FLE pour les intimes). Totalement inadaptée au système universitaire français, je me suis pourtant accrochée, et 5 ans plus tard, j’ai décroché le sésame: la Licence LLCER Anglais, parcours FLE. Mais la route était encore longue. Qu’à cela ne tienne, rien ne pouvait me détourner de mon objectif: je me suis inscrite en M1 FLE, puis en Master FLE, que j’ai finalement remporté haut la main. Major de promo, même dans les Sciences Humaines, ce n’est pas rien!
Tout au long de ce parcours, j’entendais le concert de découragements: “Mais c’est quoi, prof de FLE?”, “C’est hyper précaire, comme métier!”, “Tu ne gagneras jamais bien ta vie.”. Mais la passion, ça ne se compte pas en euros.
Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffingtonpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!
Me voilà diplômée, et obtenant mon premier contrat en tant que Volontaire International à l’Université de Jordanie, j’annonçais à qui voulait l’entendre le salaire mirobolant de 2354 euros net par mois que j’allais gagner pendant un an: ce fut un grand coup de pied dans l’entrejambe des rumeurs dénonçant la précarité légendaire du Prof de FLE.
L’autoentreprise comme planche de salut
Seulement voilà, à mon retour en France, ce fut le chômage, sans indemnité, puisque c’était l’accord passé avec le MAE: j’étais exonérée d’impôts pendant mon année à l’étranger, mais je n’avais droit à rien à mon retour (enfin si, le RSA).
Face au vide intersidéral des offres d’emploi intéressantes (donc rentables), je me suis mise à mon compte en tant qu’autoentrepreneur, et j’ai été “recrutée” par un Centre de Formation. Je devais enseigner le français à des demandeurs d’emploi non francophones, fraîchement débarqués sur le sol français. L’aspect pratique (pour le Centre) c’est qu’il n’avait pas à payer les charges sur son salarié. Sur 31 euros de l’heure, j’en enlevais 24,5% que je reversais à l’État.
Je suis peut-être professeur de français, mais je sais compter. Je devais donc enchaîner les heures, à un rythme inhumain, pour pouvoir payer mon loyer et remplir mon frigo, puis je rentrais chez moi, épuisée, pour préparer les cours du lendemain et effectuer des tâches administratives chronophages et évidemment non rémunérées.
L’appel du pied de la fonction publique
Puis j’ai été touchée par la grâce: l’Université de ma ville m’a proposé un CDD, rémunéré 43 euros bruts de l’heure! Je quittais ma casquette d’autoentrepreneur et me réfugiais, allègre, dans le giron de la Fonction publique. Ce que j’ignorais encore, c’est que sans doctorat, sans agrégation, sans CAPES, j’étais une moins que rien. Autrement dit: une enseignante contractuelle.
Mais l’université a vite réparé mon ego blessé: j’étais promue Responsable du FLE au sein de la Faculté des Langues étrangères! En plus des heures d’enseignement (rémunérées) et de préparation des cours (non rémunérées), je m’occupais de l’inscription des 300 étudiants non francophones qui se présentaient à la porte de mon bureau (j’avais un bureau!!), de la passation des tests de niveau, de la mise en place et de la correction des examens, et des sessions de rattrapage. Mon contrat stipulait que j’étais rémunérée pour 384 heures d’enseignement pour un an, mais en réalité, je travaillais plus de 2000 heures sur 12 mois. Je gagnais 1300 euros nets par mois, j’avais un Bac+5, je travaillais en partie gratuitement, et l’agrégation et le CAPES FLE n’existaient pas.
La déconvenue et la décision
J’étais prise au piège. Vous noterez que j’utilise l’imparfait: après des mois de bons et loyaux services, je suis tombée gravement malade, et j’ai subi un arrêt maladie de quatre mois. Cela n’a pas plu au Dieu de la Fonction publique: à la rentrée suivante, on m’a enlevé la moitié de mes heures sur mon contrat. De 384, je passais à 192 heures de rémunération par an. J’aurais dû vivre avec 650 euros par mois. Dégoutée, je refusais le “contrat”, et m’en allais, la tête bien basse, dans la médiocrité de l’éternelle recherche d’emploi. J’en ai trouvé quelques-uns: la plupart, rémunérés 12,95 euros bruts de l’heure. Comment toucher les bas-fonds? Devenez prof de FLE.
Alors j’en ai parlé à ma psy. Elle, je la paye 60 euros de l’heure, et elle a, comme moi, un Bac+5. Alors certes, elle enlève 24,5% qu’elle reverse à l’État (ce veinard), mais quand je m’assois en face d’elle pour lui raconter ma vie, elle n’a pas eu à faire deux ou trois heures de préparation en amont de la séance. Je connais d’autres personnes qui ont un Bac+5, ils sont cadres dans le marketing, commerciaux, chefs de projets informatiques… et ils gagnent bien plus que je ne gagnerai jamais. Alors, dites-moi, qu’est-ce qui justifie le fait qu’un professeur (de FLE ou de toute autre discipline) gagne deux voire trois fois moins qu’une autre personne dans la même catégorie socioprofessionnelle?
Cela montre bien la perception que la société a de l’enseignant, ce pauvre larbin, juste bon à se faire décapiter ou à torcher les fesses des gamins.
Aujourd’hui, je décide non pas de changer d’emploi, mais de changer de métier.
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