Jim O’Rourke : “Faire un disque est devenu une folie”
Retrouvez les volets précédents de notre série [1/4] Les beaux jours de la musique expérimentale [2/4] Félicia Atkinson : “Il y a une nécessité de silence, de secret, de retrait dans un travail artistique” [3/4] Leila Bordreuil : “Je suis à...
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Retrouvez les volets précédents de notre série
[1/4] Les beaux jours de la musique expérimentale
[2/4] Félicia Atkinson : “Il y a une nécessité de silence, de secret, de retrait dans un travail artistique”
[3/4] Leila Bordreuil : “Je suis à la recherche d’un son magique, qui guérit, tue, retourne le cerveau”
Jim O’Rourke était récemment à Paris, lors d’un rare voyage hors de son pays d’adoption. Ce jour-là, il revient des répétitions de la pièce qu’il a conçue à l’invitation du GRM [Le Groupe de recherches musicales de l’Ina] et de l’Onceim [Orchestre de nouvelles créations, expérimentations et improvisations musicales].
Flocking Gliders, Again and Again I Have Heard sera jouée le lendemain, à la Maison de la Radio et de la Musique, et ce sera la 1ère fois depuis longtemps que le compositeur et musicien viendra saluer sur scène, après que son œuvre aura été interprétée. Les 1ères fois qu’on l’a vu sur scène remontent aux années 1990, soit en solo (on se souvient d’un concert hilarant aux Instants Chavirés de Montreuil durant lequel il alternait morceaux instrumentaux à la guitare acoustique et blagues de stand-up, ou encore d’un autre au Louvre, tout électronique, mettant en musique le film L’Homme qui rit), soit avec le duo Gastr del Sol qu’il a longtemps tenu avec le musicien David Grubbs.
On n’oublie évidemment pas les fois où il apparaissait sur disque et sur scène, le long des dernières années du groupe, avec Sonic Youth. À l’époque, Kim Gordon ne voulait plus toucher à la basse et c’est lui qui en jouait, tout en étant l’ingénieur du son, le producteur, le musicien multicarte de la bande. Les jours où Sonic Youth jouait à Paris, il n’était pas rare de croiser Jim et Thurston Moore dans les magasins de disques de la ville, toujours un peu en retard sur le soundcheck. Mais depuis quinze ans, il vit au Japon, avec sa compagne la musicienne Eiko Ishibashi (elle a notamment composé la bande originale du film Drive My Car).
En autarcie
Dans cet exil volontaire, Jim O’Rourke a conçu un système de vie comme en autarcie, sortant peu de disques physiques, mais égrenant de façon presque invisible et silencieuse sur Bandcamp des compositions toujours splendides et qui n’existent que là. On en trouve une cinquantaine.
“Les vingt 1ers étaient des enregistrements épuisés. Le reste, ce sont des choses sur lesquelles je travaille continuellement, et ces compositions se retrouvent le plus souvent sur un disque dur. J’apprends à chaque composition quelque chose de neuf et ça me convient ainsi, pas besoin d’en faire plus. Et puis, parfois, je me laisse aller et je poste une pièce. Ce que j’aime, à propos de Bandcamp, c’est qu’il n’y a pas d’enjeu : je mets ça là sans rien dire et les cinquante personnes que cela intéresse le sauront et écouteront. Ensuite, c’est terminé pour moi, je n’ai pas à m’en occuper et j’aime bien cette idée.”
“Pour moi, l’histoire est close à la minute même où j’ai terminé la composition”
Une façon d’oublier ? “Je n’ai plus envie de me prendre la tête avec l’idée de sortir un disque. Surtout ces temps-ci : faire un disque est devenu une folie. Il faut attendre parfois plus d’une année et demie, sans causer de toutes les autres complications et toutes les manœuvres pour promouvoir la musique. Ça ne m’intéresse pas. Pour moi, l’histoire est close à la minute même où j’ai terminé la composition. Je ne veux rien avoir à en faire ensuite, je ne veux plus que cela prenne du temps de ma vie.” Un mode de vie, en quelque sorte, tout autant qu’une discipline musicale.
“La façon dont tout cela fonctionne va bien avec la façon dont je vis. Je ne veux rien faire d’autre que travailler chez moi. Je n’ai plus envie de faire de concerts, de répondre à des sollicitations. Mettre en ligne des morceaux de façon très modeste me convient parfaitement. Je n’ai pas à l’imposer à qui que ce soit. On peut se contenter d’écouter, selon son envie. Et puis la situation de ces deux dernières années a changé les choses. Je me sens presque coupable de devoir utiliser du pétrole pour presser des disques : il faut vraiment que cela en vaille la peine.” Ce qui préoccupe Jim O’Rourke désormais, c’est bien la possibilité de passer son temps à travailler, étudier, composer, à sortir du spectacle pour se concentrer sur le travail.
La vie de bureau rêvée
Ses journées se déroulent ainsi : “Je me réveille, nous prenons un café avec ma compagne Eiko Ishibashi, je fume plusieurs cigarettes. Eiko a son studio à l’étage et le mien est dans une petite remise juste à côté de la maison. Nous travaillons chacun de notre côté, parfois jusqu’à 22 h, au moment de se retrouver pour faire le dîner. Je mets alors un épisode de Law and Order (New York, unité spéciale en VF) : je les ai tous vus, ils ont tous la même structure qui est impeccable pour minuter le temps de cuisine.
Les trois 1ères minutes se terminent par une blague d’un des personnages sur un cadavre… Je n’ai même pas besoin de regarder, juste d’écouter. Ensuite, nous dînons, puis nous regardons un film ou deux. Et idem pour la journée suivante, on recommence et j’adore ça !” Un tel train de vie, qui oscille entre la vie de bureau rêvée ou celle du séminaire expérimental ininterrompu ne s’invente pas, elle se construit. L’indépendance nécessite une architecture.
“La clé est de travailler comme un malade quand on a 30 ans, de mettre de l’argent de côté, de ralentir un peu quand on en a 40…”
Jim O’Rourke l’a compris très tôt, en rencontrant à 16 ans, dans les années 1980, celui qu’il considère comme un second père, le guitariste anglais Derek Bailey, qui est, dit-il, le 1er artiste qu’il a rencontré et qui faisait en sorte de faire coïncider son art avec sa façon de vivre. À plus de 50 ans, comment une telle indépendance est-elle jouable ? Réponse instantanée : “Il faut vivre très modestement. La clé est de travailler comme un malade quand on a 30 ans, de mettre de l’argent de côté, de ralentir un peu quand on en a 40, mais de continuer tout de même et puis de ne plus faire que ce que l’on veut à 50 ans, en ayant un train de vie très calme.”
Et si, en 2022, c’était cela qui comptait le plus : trouver son bonheur dans le quotidien et dans la musique qui se construit jour après jour, comme en un état de recherche permanent, parvenant à se sortir des flux sociaux, pour inventer son propre territoire ? En cela, Jim O’Rourke est bien ce pionnier qu’on a toujours su qu’il était, dans son œuvre et la manière de la mener. Un pionnier, un modèle de vie heureuse.
steamroom.bandcamp.com