“Jung_E” : une dystopie imparfaite mais attachante signée Yeon Sang-ho
Révélé avec fracas lors d’une séance de minuit cannoise en 2016 avec Dernier train pour Busan, le réalisateur sud-coréen Yeon Sang-ho a su construire depuis une petite décennie une filmographie qui oscille entre le professionnalisme appliqué,...
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Révélé avec fracas lors d’une séance de minuit cannoise en 2016 avec Dernier train pour Busan, le réalisateur sud-coréen Yeon Sang-ho a su construire depuis une petite décennie une filmographie qui oscille entre le professionnalisme appliqué, propre à un artisan de blockbuster, et le prolongement d’une œuvre armée d’une colonne vertébrale thématique aussi pertinente que personnelle.
Subissant probablement les attentes de donner une succession à la hauteur de ce 1er coup de maître, les films du Sud-Coréen semblent avancer, tapis dans l’ombre de ce dernier, entre indifférence globale (la série Hellbound, le film Netflix Psychokinesis) ou une déception partagée par la critique et le public (l’accueil injustement tiède de Peninsula). On se souvient du film Peninsula marketé suite du Dernier train pour Busan par les différents distributeurs alors qu’il s’agit d’une intrigue totalement indépendante.
Le transhumanisme et ses questionnements
Un peu plus de deux ans après Peninsula et son terrain dystopique inondé de décombres très influencé par Mad Max de George Miller, c’est toujours le monde d’après qu’investit la caméra Yeon Sang-ho dans Jung_E sa dernière réalisation distribuée par Netflix et sortie vendredi dernier. Nous sommes à l’aube du XXIIIe siècle sur une terre devenu inhabitable suite au dérèglement climatique et dans laquelle une guerre civile se répand depuis plusieurs années. Pour mener à terme ce conflit, une roboticienne est chargée d’encadrer l’entraînement d’un soldat-robot créé à partir du cerveau de sa mère, Jung_E, une guerrière légendaire blessée sur le champ de bataille et désormais dans le coma.
Après la gentrification dans Psychokinesis, le miroir déformant de nos sociétés post-crise sanitaire dans Peninsula et le fanatisme religieux dans Hellbound, Yeon Sang-ho se penche sur la question du transhumanisme avec la même vigueur politique. Sans révolutionner les enjeux sur le sujet déjà bien défriché au cinéma avant lui (Blade Runner, Ghost in the Shell, etc), le film parvient à mener plusieurs pistes formelles intéressantes (l’interchangeabilité d’une âme auprès d’une multitude d’enveloppes corporelles). Et il livre une critique, certes subtile, mais assez redoutable contre le mercantilisme généralisé – ici même l’âme des morts (entreprise qui rappelle ces acteur·trices des grandes sagas hollywoodiennes ressuscité·es, le temps d’un film, à grands coups de CGI).
Très présent chez le cinéaste (Psychokinesis, Dernier train pour Busan), le couple père-fille est ici suppléé par une relation mère-fille toute en sensibilité dont l’indéfectible amour mène à un final qui renverse habilement les présupposés. L’humain se sacrifie pour le robot dans lequel est encapsulé l’âme de sa mère. Un épilogue à l’émotion augmentée lorsqu’on sait que ce personnage sacrificiel est interprété par la comédienne Kang Soo-yeon, disparue au printemps dernier.
Jung_E de Yeon Sang-ho, avec Kang Soo-yeon, Kim Hyun-joo, Ryo Soo-Yeon. Sur Netflix depuis le 20 janvier 2023.