Kanye West a enfin sorti “Donda” : critique et écoute

Jusqu’où sommes-nous prêts à pardonner ? Est-il possible d’oublier l’inconditionnel soutien de Kanye West à Donald Trump ? Ses propos anti-avortement durant sa ridicule campagne présidentielle ? Sa mégalomanie habituelle et digérée qui l’a...

Kanye West a enfin sorti “Donda” : critique et écoute

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Jusqu’où sommes-nous prêts à pardonner ? Est-il possible d’oublier l’inconditionnel soutien de Kanye West à Donald Trump ? Ses propos anti-avortement durant sa ridicule campagne présidentielle ? Sa mégalomanie habituelle et digérée qui l’a poussé à se comparer à Dieu et à en utiliser la figure à sa guise pour bâtir son précédent album, Jesus Is King ?

Le problème avec Kanye West, c’est qu’il est un génie musical en perpétuelle révolution et remise en question, poussé dans des sentiments incompatibles qui sculptent sa discographie récente. Et puisque le pardon semble être une valeur chrétienne, et plus largement religieuse, fondamentale, peut-être faut-il s’en armer avant d’écouter ce nouvel album, Donda. Sans cela, pas de salut.

“Stop all of that red cap/We goin’ home”

Attendu depuis plus d’un mois, ce dixième album est massif, à la hauteur de l’œuvre que son auteur souhaite livrer au monde. Vingt-sept titres, c’est long, c’est hors format. Mais que sont les conventions lorsque l’on cause de Kanye West, et sont-elles encore mobilisables quand une telle richesse artistique est déployée. Car voilà, Donda est impressionnant, et dans tous les sens du terme. Ces derniers mois, le tracklisting n’a eu de cesse d’évoluer. Ou plutôt, il s’est constamment élargi, comme si le rappeur avait choisi de ne pas choisir, d’offrir tout ce qu’il avait en son cœur de pertinent, sans accorder d’importance à la sacro-sainte homogénéité. Et en se foutant éperdument, à raison, de la cohérence.

>>> A lire aussi : Pourquoi Kanye West se révolte contre l’industrie musicale

Donda est le nom de la mère de Kanye West, décédée en 2007 lors d’une intervention chirurgicale pourtant banale. Sa figure a hanté l’album 808s and Heartbreak en 2008, comme My Beautiful Dark Twisted Fantasy en 2010 ou The Life Of Pablo en 2016. Alors, avec un nom pareil, on s’attend à voir la génitrice trôner au-dessus de nos oreilles. Pourtant, si Donda West est présente, que ce soit dans des extraits de conférences qu’elle a données peu avant son décès ou dans des références, sa figure est loin de nous écraser. Il y a bien cet instant suspendu sur Jail, en featuring avec Francis and The Lights et surtout Jay Z. Ce dernier s’adresse à la défunte, lui explique qu’il a tenté, en vain, de convaincre son fils d’enlever cette « casquette rouge » flanquée d’un « Make America great again » pour le ramener à la raison et au studio. Que Kanye West ait accepté et donné sa bénédiction à cette intrusion de Jay Z dans sa vie en dit long sur sa propension à l’introspection.

La production comme ciment

Comme souvent avec Ye, la production est le réacteur de ses albums nucléaires. Il a cette facilité à rassembler, à mettre en commun des qualités piochées chez les autres, à faire cohabiter des artistes enracinés à des antipodes. Mais plusieurs noms font office de joints entre les briques : Mike Dean, acolyte de presque toujours, le duo Ojivolta, le beatmaker canadien Boi-1da, BoogzDaBeast ou encore un autre duo, FnZ, sont le ciment de Donda. Sur Jesus Is King, les structures étaient approximatives, les mesures bancales, le tempo involontairement mouvant… On a cru, un temps, que la bâcle et la folie ésotérique allait prendre le pas sur le perfectionnisme de Kanye West. Donda prouve qu’il n’en est rien : voici une production rigoureuse et retentissante, mise en œuvre par des pontes. Et lorsqu’il bénéficie de ce socle impénétrable, Kanye West se fait homme-machine.

Lors des trois release parties de l’album données en un mois, on a pu entendre ce que cet album avait dans le ventre. Au centre, bien niché au milieu de l’estomac, on trouvait Off The Grid. Ce titre réunissant Playboi Carti et Fivio Foreign a dû signer un pacte avec le diable tant il tient ses promesses. Les couplets sont gigantesques. Avec Kanye, tant qu’il y a des choses à dire ou à faire, la longueur importe peu. L’argent également, mais c’est un autre sujet. Il y assène notamment cette phrase qui résume parfaitement son personnage et sa personne : « Some say Adam could never be black / Cause a black man will never share his rib« . Ou comment utiliser la religion pour la contredire, la moduler, en créer une autre tout en affirmant ses positions politiques. Là, et là précisément, Kanye West est imbattable.

“Get used to me”

Est-ce là la voie du pardon ? Peut-être pas. Car Kanye West se contredit en permanence, fait passer des provocations pour des revendications, utilise les autres, Dieu le 1er, ses détracteurs ensuite, comme bouclier. Tout est bon pour nager à contre-courant, parfois même le pire. Comme sur Jail, Pt. 2 sur lequel il invite le rappeur DaBaby et la rock star Marilyn Manson, le 1er conspué pour des propos ouvertement homophobes prononcés lors d’un concert en juillet dernier, le second accusé depuis février d’agressions sexuelles et de violences physiques et psychologiques par plusieurs femmes. DaBaby bénéficie même d’une superbe et pathétique tribune, se posant en victime, accusant ses accusateurs… Kanye West va encore avoir des choses à se faire pardonner.

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Et puis, il y a les marottes : Kim Kardashian l’infidèle (Keep My Spirit Alive, l’excellent Hurricane…), Drake le traître (Ok Ok…), les suites d’accords en nappes d’orgues ou de synthé héritées du gospel et déjà un peu éculées (No Child Left Behind, Come To Life…), et le jugement des autres (tout l’album). Lorsqu’il s’en écarte, Donda devient fantastique, à la fois menaçant et lumineux, presque indéchiffrable, habité d’innombrables héros, d’âmes perdues et de featurings fracassants. Le cerveau de Kanye West va beaucoup trop vite, pour lui comme pour nous. Il n’est même pas en accord avec lui-même, comment pourrait-il l’être avec le quidam ? Il le dit sur Pure Souls en parlant de son récent virage religieux : « This is the new me, so get used to me ».

On peut s’habituer sans pardonner. On peut pardonner sans s’habituer. On peut également ne rien vouloir entendre, pas même un album dont les perspectives, les chemins ouverts et l’audace sont à ce jour à peine dévoilés. Il faudra du temps pour l’ingurgiter. Mais franchement, qui peut s’asseoir à la table de Kanye ?