Kelly Reichardt : “La grande histoire part toujours des relations humaines les plus triviales”

J’ai le sentiment que ce film agit un peu comme une parenthèse dans votre filmographie qui traverse les espaces mythiques du cinéma américain. Ici, on est dans quelque chose de plus européen en un sens.  Kelly Reichardt — C’est vrai. Vous savez,...

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J’ai le sentiment que ce film agit un peu comme une parenthèse dans votre filmographie qui traverse les espaces mythiques du cinéma américain. Ici, on est dans quelque chose de plus européen en un sens. 

Kelly Reichardt — C’est vrai. Vous savez, j’ai fait la plupart de mes films avec le scénariste Jonathan Raymond [ndlr Old Joy, Wendy et Lucy, La Dernière Piste, Night Moves, First Cow et Showing Up]. Cet univers est le fruit de notre collaboration. Ils sont empreints de l’idée que le mythe américain peut se réduire à de petites communautés et la façon dont elles fonctionnent, politiquement. Même avec Showing Up, l’idée m’est venue alors que je visitais des amies à Los Angeles. Nous faisions de la céramique. Les sujets de leur discussion étaient centrés sur des problématiques mineures en apparence : l’espace et les privilèges dont chacun·e jouissait ou pas, mais elle en disait long sur la politique de cet atelier de céramique. Pour moi, la grande histoire part toujours des relations humaines les plus triviales, comme trouver du lait dans First Cow. Avec ce nouveau film, je voulais me focaliser sur la beauté d’un quotidien dédiée à la création de la beauté. Mais je veux à tout prix éviter que mon film délivre un message. C’est très important pour moi de préserver une ambiguïté. Mon désir était de tourner dans cette école d’art qui venait de fermer après 100 années d’existence. Ça m’a semblé important de la filmer avant qu’elle ne disparaisse. 

À quel point vous sentez-vous proche du personnage joué par Michelle Williams ? 

Très peu proche. C’est évidemment un monde que je connais et côtoie souvent mais les conditions de créations sont radicalement différentes. Le rapport à l’objet est concret et le processus solitaire et court, tout l’inverse de la réalisation de film. Mon personnage de Lizzie est un mélange de plein de choses. Ce qui me fascinait chez elle, c’est sa persévérance, l’opiniâtreté avec laquelle elle se lève tous les matins, même si le succès n’est pas au rendez-vous et que son quotidien ne cesse d’entraver ses ambitions artistiques. 

“Aujourd’hui, je ne m’excuse plus de prendre de la place, grâce à d’autres femmes qui ont brisé certains murs.”

Il s’agit de votre quatrième collaboration avec Michelle Williams. Qu’est-ce qui en fait votre actrice fétiche ? 

À chaque fois que nous nous retrouvons, c’est comme si nous nous étions quittées la veille. Tout est toujours si facile avec elle. Nous avons construit une confiance mutuelle hallucinante, ça nous permet de tenter vraiment plein de choses, tout en nous amusant énormément. 

Vous sentez-vous à votre place dans le cinéma américain aujourd’hui ? 

En France, c’est très différent. L’espace que j’occupe aux États-Unis me convient très bien mais ça n’a rien à voir. Mon travail est beaucoup plus mis en valeur ici. Mais pour être honnête, je n’y pense pas. Je me demande simplement : “Vais-je pouvoir financer mon prochain long métrage ?” À chaque fois, je me dis que c’est peut-être le dernier. En tant que femme, et surtout dans les années 1990, il fallait tout le temps que je me justifie sur la place que j’occupais. Aujourd’hui, je ne m’excuse plus de prendre de la place, grâce à d’autres femmes qui ont brisé certains murs. Je pense aussi que l’âge libère de la féminité d’une certaine façon. Le plus important pour moi est de continuer à pouvoir travailler. Aujourd’hui, j’ai le luxe de pouvoir tourner cinq jours par semaine et non plus tous les jours. Ce qui me laisse deux jours pour réfléchir à la suite. C’est la meilleure des récompenses ! 

Avez-vous déjà considéré le fait de tourner en dehors des États-Unis ? 

Non, mon rapport au cinéma passe trop par la langue, et aborder l’espace en tant que touriste ne m’intéresse pas. J’ai besoin d’être ancrée, de partir de mes racines. Vous savez, j’ai passé plusieurs années à tenter de monter un film britannique avec l’équipe et les acteurs de Mike Leigh, dont j’admire le travail, le tournage devait avoir lieu en Slovaquie. Mais même là, je sentais que c’était une mauvaise idée. 

“J’aime le fait que deux spectateur·rices puissent voir quelque chose de différent devant mes films.”

Vous disiez être particulièrement attachée à l’ambiguïté dans vos films, pourquoi ? 

J’aime le fait que deux spectateur·rices puissent voir quelque chose de différent devant mes films. Certain·es trouveront que Lizzie est pénible, d’autres que c’est le personnage de Jo qui n’est pas assez sympa avec elle. La vie est compliquée et chaotique, je ne supporte pas les films qui tentent d’en simplifier la complexité. Les artistes ne sont pas censés répondre à des questions, l’art est là pour faire penser et ressentir. 

En parlant de message, ressentez-vous comme un fardeau qu’on vous renvoie au message féministe de vos films et à ce que représente le fait de faire des films en tant que femme, a fortiori femme lesbienne ? 

Ce qui m’interroge c’est qu’on ne demande jamais aux hommes hétérosexuels ce que ça fait de faire des films en tant qu’hommes hétérosexuels. Je serais pourtant très curieuse de lire leur réponse, pas vous ? Ça fait quoi d’être au sommet et de faire des films ?