King Gizzard and the Lizard Wizard en plein trip rock depuis 11 ans !

Vendredi 26 février 2021, à quelques encablures de Melbourne. Déjà la fin de l’été dans cette zone reculée du globe. Un van rempli de musiciens file dans la nuit australienne, avant un concert qui sera donné en plein air au Sidney Myer Music...

King Gizzard and the Lizard Wizard en plein trip rock depuis 11 ans !

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Vendredi 26 février 2021, à quelques encablures de Melbourne. Déjà la fin de l’été dans cette zone reculée du globe. Un van rempli de musiciens file dans la nuit australienne, avant un concert qui sera donné en plein air au Sidney Myer Music Bowl (à écouter et à voir ci-dessous).

Sur la scène de ce théâtre moderne, sorte de Hollywood Bowl à l’horizon duquel s’érigent les tours du downtown de la capitale de l’Etat de Victoria, au sud-est du pays, se succéderont les branlos de Smarts – quatuor composé de membres des Aussies de Ausmuteants –, Tropical Fuck Storm, formation blues-punk essentielle du coin, et King Gizzard and the Lizard Wizard, association de malfaiteurs désormais bien connue du public français. La preuve, le 14 octobre 2019, quelques mois seulement avant la mise sous scellés de la planète, Stu Mackenzie et ses cinq acolytes remplissaient à guichets fermés la salle de l’Olympia, à Paris.

Ce soir de février 2021 pourtant, ces sales gosses décident de nous jouer un mauvais tour : “(1/2) Hey tout le monde ! On vous aime tellement et ces dix dernières années ont été complètement barjots. Mais c’est le cœur lourd que nous annonçons que le show de ce soir au Sidney Myer Music Bowl sera notre dernier”, lâchent-ils alors sur Twitter. En voilà une bien bonne, un split !

Puis, un nouveau message dans la foulée : “(2/2) Pour aujourd’hui.” Rires dans l’auditoire. Une vanne qui fait encore marrer Stu trois jours plus tard : “Tu crois que les gens ont pris ça au sérieux ? On était dans le combi, surexcités, en chemin pour aller au concert. On a sorti cette vanne débile, nous rencarde-t-il avec dix heures de jet-lag dans la vue. On a fait quelques shows la semaine dernière, c’était très cool et irréel. Oui, c’est ça, irréel. On a dû composer avec les restrictions sanitaires évidemment, mais jouer à nouveau devant un public était incroyable.”

Une histoire cliché comme un riff d’AC/DC

Les affaires reprennent petit à petit en Australie, où la stratégie de lutte contre le Covid-19 semble plutôt bien rouler. Un papier du Monde daté du 15 février 2021 évoque 909 décès depuis le début de l’épidémie, et Kevin Parker de Tame Impala a même donné deux concerts dans une salle pleine à craquer de la petite localité de Perth, à l’est, les 5 et 6 mars derniers. Sans masque ni rien, comme à la belle époque.

De bon augure pour King Gizzard, qui a pu annoncer de son côté le Micro Tour 2021, une tournée nationale qui doit s’achever le 22 avril, avec escales à Fremantle, Sydney ou encore Adelaode, histoire de défendre K.G. (2020) et L.W. (2021), seizième et dix-septième albums du groupe, venant boucler une trilogie entamée en 2017 avec Flying Microtonal Banana.

“Aujourd’hui, je suis content de pouvoir vivre de ce racket”

Plutôt pas mal pour une bande de jeunes trentenaires ayant monté leur affaire en 2010 : “On n’avait strictement aucun plan, sinon celui de faire de la musique. Aujourd’hui, je suis content de pouvoir vivre de ce racket et de ne pas devoir bosser à côté pour manger”, poursuit Stu. Dégaine de surfeur et cheveux longs rongés par le sel de mer, Mackenzie a la même tronche que ces gosses en skate sillonnant le Venice Beach des seventies californiennes immortalisées par le photographe Hugh Holland. Avec un coucher de soleil australien en guise de toile de fond.

L’histoire est cliché comme un riff d’AC/DC joué par un cover band un soir de Fête de la musique : pur produit de l’ennui qui frappe très tôt à la porte des kids ayant grandi loin de l’hystérie des grandes métropoles, Stu et ses potes du lycée de Geelong, au sud de Melbourne, tuent le temps en la jouant jam sessions entre deux sorties en mer sur une board enduite de wax parfumée la noix de coco.

Une explosion garage rock

En 2011, sous le nom de King Gizzard and the Lizard Wizard, ils sortent Anglesea et Willoughby’s Beach, deux EP perfusés au surf rock et parsemés de lyrics minimalistes à base de “whoo hop/ho ho ho” semblables à ceux d’un Tarzan qui aurait traîné dans les ruines du New York d’Alan Vega, avant de dévoiler un an plus tard 12 Bar Bruise, leur 1er LP. Le disque fait l’effet d’une petite bombe dans le cercle très fermé des aficionado·as de la scène garage/psyché/stoner de San Francisco, représentée alors par Ty Segall, Thee Oh Sees et consorts.

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“On apprenait tout juste à être un groupe, se souvient Stu. On s’efforçait de faire entrer des mélodies dans des chansons et de trouver la bonne formule pour faire cohabiter trois guitares dans un seul band. On voulait jouer fort, que ce soit fou et intense, en expérimentant pour la 1ère fois les machines à notre disposition en studio”.

Estampillée “garage rock”, cette introduction à la discographie protéiforme de KG and LW voit pourtant plus loin et laisse déjà présager quelques détours vers des contrées plus power pop (Muckraker), western blues (Sam Cherry’s Last Shot) et progressives (Sea of Trees), le tout enveloppé dans un écrin psychédélique qui fera office d’arrière-plan pour tous les albums du groupe.

Tout aurait aussi pu s’arrêter net, dans l’urgence DIY d’une belle matinée de printemps : “L’enjeu pour nous aura été de trouver comment rester créatif, sans avoir l’impression de faire la même chose encore et encore”, explique Stu.

Une œuvre qui, si elle avait été littéraire, serait déjà en Pléiade

Au sein de la scène underground australienne, cet autre outback affranchi des carcans et des chapelles de genre, King Gizzard occupe une place à part. Populaires de Canberra à Buenos Aires, mais toujours indépendants et en évolution constante, Stu, Ambrose, Joey, Cook, Lucas and Michael, dix-sept albums au compteur, échappent aujourd’hui à toute forme de classification et de modèle économique en apparence rationnel.

“A une époque, je me souciais de savoir comment King Gizzard pouvait être catalogué, continue Mackenzie. On cause parfois de nous comme étant un groupe de ‘rock garage’, mais avez-vous seulement écouté notre dernier album ? Et celui d’avant ? L’adjectif ‘psychédélique’ revient souvent aussi, je suis OK avec ça. ‘Groupe de rock’, ça marche également. Après tout, on joue de la guitare, on utilise deux batteries, c’est rock, non ? Le plus simple encore serait de dire qu’on est un ‘groupe’”. D’où l’idée de faire le point sur une œuvre qui, si elle avait été littéraire, serait déjà publiée à La Pléiade.

S’il y avait un sillon à creuser après la sortie de 12 Bar Bruise, on n’aurait pas parié sur celui déblayé par le titre Sam Cherry’s Last Shot, un spoken word plaqué sur un thème instrumental très outlaw, qui servira de support au deuxième album du groupe, Eyes like the Sky (2013). Un disque aux racines américaines, peuplé d’Indien·nes comanches, qui prendra des allures de livre audio.

Des saillies soutenues et progressives

“Tu parlais de catégorisation, c’est un bel exemple qui montre qu’on ne vient pas nécessairement du garage rock, rigole Stu. On a composé ces thèmes très western, et Broderick, le père d’Ambrose (claviériste du groupe), a écrit et raconté l’histoire. A la fin, on s’est dit que ça ressemblait à un album et que ça serait cool de le sortir”.

Suivront Float Along Fill Your Lungs (2013), Oddments (2014) et I’m in Your Mind Fuzz (2014), perçu par Stu comme un album de transition, furibard et épique (“le 1er que l’on enregistre en pensant à la façon dont il sonnera sur scène”).

Quiconque aura croisé le groupe à La Machine à cette période, dans le cadre de l’édition 2015 du Paris Psych Fest, se souvient du flash provoqué par les saillies soutenues et progressives de cette formation à deux batteries, trois guitares, claviers et tutti quanti. Jambes en l’air et pintes de bière qui volent, l’ambiance tranche radicalement avec Quarters! (2015).

Cette incursion dans le monde merveilleux de la fusion jazz-rock à tendance psychédélique, lorgnant du côté d’Herbie Hancock et du space rock, est constituée de quatre titres jammés de 10 minutes et 10 secondes chacun. Façon de rappeler que nous avons affaire à un orchestre groovy, capable d’associer congas et synthés à des percussions futuristes lors de séances d’impro, plus qu’à un simple groupe de cogneurs.

L’année 2017 marque ainsi un tournant

Paper Mâché Dream Balloon (2015) et Nonagon Infinity (2016) viennent clore ce que l’on qualifiera ici un 1er cycle discographique – le débat est lancé. Le 1er, enregistré en marge de Nonagon, marque, du propre aveu de Stu, une respiration folk-pop salvatrice au milieu de l’enregistrement de ce dernier, véritable vertige métaphysique lancé à toute berzingue sur l’autoroute de la déglingue mentale, dont la structure globale forme une boucle parfaite, avec ses neuf morceaux aux riffs supersoniques s’emboîtant sans qu’aucun blanc ne soit laissé entre eux. Faites le test chez vous en mode repeat et voyez vous-mêmes la prophétie s’accomplir.

“Avec Nonagon Infinity, par exemple, on a tenté d’offrir une version plus étrange de I’m in Your Mind Fuzz, quand Murder of the Universe [2017] a pu être lui-même une version plus extrême de Nonagon Infinity, et préparait le terrain à Infest the Rats’ Nest [2019], le disque le plus puissant que l’on ait jamais fait. Comme si on labourait à chaque fois le terrain de l’album d’avant, mais de façon plus intense, nous explique Stu.

“On prend le risque d’avoir moins de succès, mais je m’en moque”

“En amenant ces disques sur d’autres territoires, on prend le risque d’avoir moins de succès, mais je m’en moque. L’idée, c’est de dire : ‘On a fait ce truc, poussons l’idée aussi loin que nous pouvons’.” Du post punk halluciné et éjaculatoire au trash metal, il n’y a qu’un pas que ces satanés gosses ont allègrement franchi. On pourrait ajouter aussi que Gumboot Soup (2017) est une version plus acide du Paper Mâché Dream Balloon de 2015, ou que le Sketches of Brunswick East (2017), mis en boîte aux côtés du groupe Mild High Club, emboîte le pas aux errances chronométrées de Quarters! (2015).

L’année 2017 marquera ainsi un tournant dans la courte carrière du groupe, qui se met en tête de sortir cinq albums avant le 31 décembre. Objectif atteint, que le leader regrettera d’avoir rendu public, nous révèlera-t-il un soir de festival à Barcelone, les gens ne percevant que l’aspect performatif du geste.

Musique microtonale et autres carburateurs flingués

Aussi têtus qu’un Frank Zappa (dont la discographie barrée croise d’ailleurs à multiples reprises celle de KG and LW) lorsqu’il se lance dans la conception de Jazz From Hell (1986), un album entièrement composé sur un synthétiseur numérique Synclavier, les Australiens s’attellent à la mise en boîte de Flying Microtonal Banana (2017).

Influencé par le rock psychédélique turc des années 1970, Stu tripatouille un baglama, cet instrument à cordes du coin qui lui donnera l’idée de concevoir une guitare capable de jouer les quarts de ton de la musique orientale, avant de pimper l’ensemble de son orchestre. Comme si on écrivait un poème avec des lettres cachées dans les intervalles de l’alphabet tel que nous le connaissons.

L’album est considéré par Stu comme un “détour” vers lequel il est devenu impossible de ne pas revenir, comme en témoignent les sorties en novembre de K.G. et le mois dernier de L.W., deux disques formant avec FMB une trilogie microtonale sur laquelle souffle un vent de liberté exceptionnelle : “Il faut comprendre que quand on a commencé à travailler sur ce disque, nous ne savions pas où nous mettions les pieds. L’idée, c’était moins de jouer avec des instruments trafiqués que d’explorer les nouvelles sonorités qui s’offraient à nous, explique Mackenzie.

“Avec FMB, on voulait quand même sonner comme un groupe réuni dans une pièce, alors qu’avec K.G. et L.W., on a voulu partir dans tous les sens en se disant qu’on trouverait bien un moyen de faire tenir tout cela dans un disque. Quand tu pénètres le monde microtonal, ton cerveau entre en ébullition.” Si le langage de la musique est un prisme à travers lequel nous percevons une certaine réalité, alors les micro-explorations de King Gizzard pourraient bien former une cosmogonie complexe chamboulant nos points de vue d’Occidentaux·ales. Y-aurait-il une réponse au sens de la vie au milieu de ce grand bordel discographie ? Stu Mackenzie : “Oh oui, certainement, elle se cache là, quelque part.”

L.W. (KGLW/Caroline)