La bande à Justice explique le joyeux bordel des débuts

En 2003, deux jeunes gens nommés Gaspard Augé et Xavier de Rosnay officient sous le nom de Justice et font de la musique électronique. Un jour, ils participent à un concours de remix du morceau Never Be Alone de Simian, groupe anglais du batteur...

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En 2003, deux jeunes gens nommés Gaspard Augé et Xavier de Rosnay officient sous le nom de Justice et font de la musique électronique. Un jour, ils participent à un concours de remix du morceau Never Be Alone de Simian, groupe anglais du batteur James Ellis Ford. Ils vont perdre.

So Me (directeur artistique historique du label Ed Banger, illustrateur/réalisateur) — Je sais plus qui est le mec qui avait gagné, l’histoire n’a pas retenu son nom. Il me semble qu’on nous avait dit qu’il était pote avec le mec qui organisait le concours, d’ailleurs. Donc Dieu a reconnu les siens.

Matthieu Culleron (journaliste musique à France Inter) — À l’époque, je travaille au Mouv’ à Toulouse. Peu de groupes viennent alors en promo dans le Sud, mais Simian vient. On était très fan du 1er album. Avec Nicolas Nerrant et TOMA, on forme par ailleurs un trio DJ qui s’appelle I Was There. Quand on apprend pour le concours de remix, tout le monde joue le jeu, dont Justice, mais surtout TOMA. Et c’est lui qui gagne le concours ! Mais ça ne fait rien. Pendant ce temps, les deux autres cartonnent. Never Be Alone devient un tube mondial. La lose.

So Me — Ça a été un mini-phénomène dans l’electro, tu avais l’impression que quelque chose allait émerger. Ils percent dès le début, en fait. Il n’y a pas une soirée en Europe où le morceau n’est pas joué, ça devient une espèce d’anthem.

Myd (musicien) — Je dois avoir 17 ans et je vais dans un magasin de vinyles à Lille, qui s’appelait USA Import, pour acheter un disque par semaine. Un jour, le vendeur me fait écouter le remix de Simian par Justice, qui ne s’appelait pas encore We Are Your Friends – avec, en face B, un remix de DJ Mehdi par Château Flight. J’ai halluciné. C’était à la fois rock, electro et il y avait ce truc hybride qu’on ne comprenait pas encore. Je n’avais pas compris que leur nom, c’était Justice. Sur MySpace, c’était EtJusticePourTous et ils avaient cette sorte de devise : “Séparés à la naissance, réunis pour la vengeance.” Je leur ai écrit : “Ah, mais vous êtes français ?” Ils m’ont répondu : “Ouais, on est français !”

Christian de Rosnay (Étendard Management) Le morceau est sorti sous l’égide de Pedro Winter, qui a sauvé ce remix qui n’avait pas remporté les faveurs du jury. S’ils avaient gagné le concours, peut-être que l’histoire aurait été différente.

So Me — Moi, je faisais déjà le graphiste pour la boîte de management de Pedro avant qu’il ne monte son label, Ed Banger. Un jour, je le ramène à un dîner où il rencontre Gaspard et Xavier. Il écoute le morceau et il a un coup de cœur. Je suis un peu le chaînon manquant entre les deux. Au bout d’un moment, ça s’excite pas mal autour d’eux et Pedro leur demande plus de musique. Quand deux de mes colocs se barrent, je leur dis que s’ils veulent se mettre à fond dans la musique, le mieux c’est de vivre ensemble, dans le même appart’. Et c’est ce qu’ils font. On vit donc tous les trois et c’est là qu’ils enregistrent le maxi suivant, Waters of Nazareth. Un joli petit virage.

Justice de Nazareth

Tandis que la coloc de Barbès devient l’épicentre de la révolution culturelle en cours, sorte de French Touch 2.0, le tandem s’investit à fond dans la musique et l’enregistrement d’un 1er album, Cross (2007), qui fera le crossover dans une époque en ébullition.

Romain Gavras (cinéaste) — Moi, je connaissais DJ Mehdi via la Mafia K’1 Fry. Avec Kourtrajmé, on évoluait plutôt dans le monde du rap. Un jour, il me dit “Viens, je t’emmène chez Justice.” L’appartement était dégoûtant, il y avait des poufs, c’était des sacs-poubelle. Gaspard et Xavier n’étaient pas sûrs de savoir quel single ils voulaient sortir après We Are Your Friends. Et là, ils passent Waters of Nazareth. Je revois Mehdi m’attraper la main. Et moi, je suis comme un dingue. En sortant, il me dit : “Je crois qu’ils ne se rendent pas compte de ce qui va leur arriver à partir d’aujourd’hui. Ils ne se rendent pas compte.”

Pedro Winter (patron d’Ed Banger Records) C’est tout Mehdi de sortir des phrases comme ça. J’ai pas le recul à l’époque, je suis dans le noyau à ce moment-là. Les garçons, pendant les 1ères années, je les accompagne 24 heures sur 24. Ce que je sais, c’est que j’assiste à ce moment où la foule est en train de changer : les clubbers, les rappeurs, les skaters se retrouvent tous ensemble. Moi qui avais connu ces mondes-là séparés, voir cette unification a fait de moi le mec le plus excité et heureux du monde. Je me disais : les gars que je prends sous mon aile sont en train de faire la bande-son d’une génération qui enfin pourra mettre des chemises de bûcheron, danser sur Aphex Twin et chialer en écoutant Elliott Smith.

SebastiAn (musicien) — Mehdi était fasciné par notre jeune clique de mecs qui fonctionnait comme un collectif de rappeurs. Ça a été un des 1ers à dire que tout ça allait marcher. Justice, eux, ils y croyaient vraiment dès le début. C’est la différence avec moi ou Vinco [Kavinsky]. On était plus détachés du truc. Pour moi, la durée de vie d’un DJ, c’était deux ans. Après, il allait falloir trouver un vrai job.

Romain Gavras — T’avais le droit d’aimer M.O.P. et Black Sabbath. Justice, ça tabassait pareil, mais avec de l’élégance dans les accords et de la musicalité. Il y avait un truc très épique. Je me rappelle, ils avaient une punchline dont j’étais hyper jaloux : “Nous, on fait de la musique à deux émotions. On a gagné la guerre, mais on a perdu quelques potes sur le champ de bataille.”

Pedro Winter — La légende explique que je n’aime pas Waters of Nazareth. Je profite d’utiliser les canaux de la presse pour rétablir la vérité : moi, je suis le label. On sort Never Be Alone, un tube, ils font plein de remix, bref, on prépare la suite. Et là, le single qu’ils me proposent est un anti-single, qui part dans une tout autre direction. Donc je suis perplexe. Mais j’adore le morceau, ils ont réussi à rendre le bruit funky. Ils ont bien fait d’insister, avec le recul, c’était courageux de sortir ça en 2007. Tout au long de leur carrière, leurs choix allaient vers la surprise et l’excitation, plutôt que de rester confortablement installés sur une autoroute. Dans le processus de création, je n’arrivais qu’à la fin pour répondre à des questions comme : “Est-ce qu’on met D.A.N.C.E. sur l’album ?” Évidemment, qu’on met D.A.N.C.E. !

Christian de Rosnay Les deux sont très obsessionnels. Quand ils ont une idée en tête, c’est très difficile de les faire en démordre. C’est vraiment une qualité. Ils sont très têtus et souvent à juste titre.

Manu Mouton (directeur technique des tournées de Justice) — Ils ont un regard qu’on n’a pas l’habitude de croiser, c’est déroutant. Il faut que ça leur plaise à eux. S’il y a un élément dans la scénographie du live qui ne fonctionne pas comme ils l’imaginaient, j’ai beau avoir passé 300 heures dessus, ils vont me dire : “Bravo, Manu, c’est ce qu’on t’a demandé, mais ça le fait pas.”

Kavinsky (musicien) Xavier m’avait envoyé un texto pour me dire un truc comme “Ça déménage”, quand j’ai sorti Testarossa Autodrive. Je commençais à peine la musique, je gagnais pas une thune et ma meuf payait tout. Un peu glandu, même si je ne rechignais pas à la tâche. Un jour, on s’est séparés et je me suis retrouvé sans appart’. Alors j’ai appelé Xavier, qui m’a laissé sa chambre dans la coloc le temps que je me refasse.

Pedro Winter C’était la cour des miracles, cette coloc. Trois mecs qui vivaient comme des oiseaux de nuit. So Me, à l’époque, il m’envoyait tous les projets à 7 heures du matin. Les retours que je lui faisais à 10 heures, il fallait que j’attende le jour d’après pour qu’ils soient pris en compte. Et Xavier et Gaspard, c’était pareil. Il y avait des cendriers partout dans la baraque. Je me suis demandé s’il ne fallait pas appeler M6 pour envoyer les experts de leur émission sur le ménage de l’extrême.

Christian de Rosnay C’est comme ça que j’ai rencontré Kavinsky. J’arrive dans l’appartement, je vais dans la cuisine et là, je vois une photo de Vinco avec un Famas et son chien, qui datait du service militaire. Je me suis dit : “Mais il est encore là, lui ? Va falloir le déloger, sinon il va prendre racine.” Aujourd’hui, c’est Thibaut [Breakbot] qui a repris l’appartement, il a fait des travaux et tout.

Kavinsky Xavier m’appelle un matin et me dit : “T’as trouvé un appart ’?” Alors moi je lui réponds : “Bah attends, je viens d’arriver, laisse-moi me retourner. Pourquoi, il faut que je me casse ?” Et là il me dit que ça fait plus d’un an que j’y suis. Putain, c’est passé vite.

SebastiAn Le mec a dû rester trois ans. Mais à la demande de la coloc, parce qu’il faisait marrer tout le monde.

Kavinsky Quand j’ai gagné un peu de thune, j’ai offert un coffret Louis XIII à Xavier pour le remercier. Le meilleur Cognac du monde. Un truc à 4 000 boules. On s’est retrouvés dans le bureau de Christian, notre manager, et on s’est sifflé la moitié de la bouteille. On se disait qu’à chaque verre qu’on se servait, c’était 200 balles qu’on s’envoyait.

SebastiAn Vinco a débarqué à l’époque où Gaspard et Xavier étaient en train de faire Cross. Ils passaient leur vie en studio, dans les sous-sols du Triptyque.

Pedro Winter Les travaux avaient été faits par un mec qui avait refait l’appart’ de Mehdi. Les sous-sols, c’était vraiment ghetto. Tu descendais dans les caves, tu marchais pendant longtemps et eux avaient leur studio tout au fond. C’était bien deep. Moi qui suis claustro, j’étais pas bien quand je devais y aller.

Christian de Rosnay Ils s’étaient installés alors que les cabines n’étaient même pas construites. C’était très rough.

Piu Piu (agente image/ DJ) Je me souviens marcher dans mon quartier du XIIIe arrondissement et entendre des gens écouter D.A.N.C.E. par une fenêtre. Ça m’avait choquée en mode : “Wow, il y a des gens hors des clubs qui aiment leur musique !” En matière de pop culture, c’était un signe ultime pour moi.

Ed Banger Crew

Ed Banger, Justice. Justice, Ed Banger. Le succès du groupe ne va pas sans le succès du label, et vice-versa. Tournées, soirées, projets : comment une bande de copains est devenue une famille ayant réussi à exporter la musique made in France partout dans le monde.

Matthieu Culleron Quand Ed Banger a cartonné avec Justice, ils ont ramené l’electro aux États-Unis. À New York, il s’est vraiment passé quelque chose.

SebastiAn On partageait tous un constat : les clubs, c’étaient des trucs remplis de gens qui dansaient tout seuls. C’était pas ce qui nous faisait marrer. Tout était trop sérieux. Alors que nous, on faisait exprès de mettre trop fort, on savait à peine mixer et on s’en foutait. Le jour où ça a switché, c’est quand Pedro nous a emmenés faire une date en Angleterre. Les Anglais ont tout de suite capté l’intention. Ça leur a parlé, parce que c’était du rock fait avec des ordis. Pour eux, on était l’équivalent d’un ado qui débarque avec une guitare et un ampli.

Romain Gavras Je n’ai plus revu une telle nébuleuse que celle d’Ed Banger en France ou ailleurs depuis. Soit un groupe de gens vraiment amis à la ville, qui arrivent partout en crew comme si c’était le Wu-Tang. De 2007 à 2012, ils ont vraiment été l’emblème d’un tournant dans l’histoire de la musique. Quand on a débarqué aux États-Unis avec Justice, c’était comme si les kids américains avaient oublié que la musique venait de chez eux. Détroit, Chicago. Tu voyais qu’ils ne savaient pas comment bouger.

Pedro Winter Au 1er Coachella, en 2007, Justice a vraiment marqué les esprits. C’est qui, ces mecs en cuir, avec leur clope au bec ? Van Halen ? Raté, c’est Justice, avec un son turbine, distordu mais funky. Les gens sont tombés amoureux.

SebastiAn — On a mis énormément de temps à comprendre que les gens venaient pour nous. Pour moi, les gens allaient en club pour picoler et éventuellement baiser en fin de soirée, et moi, je n’étais là que pour foutre le bordel, de façon accessoire. On a été pris dans la hotte aspirante que Justice a généré.

Kavinsky — On se connaissait à peine avec Xav, quand je lui ai fait écouter le morceau Tenebre de Claudio Simonetti. Il a adoré et pris le sample pour faire Phantom. J’étais hyper flatté.

Juliette Armanet (musicienne) — Ed Banger, c’est une famille en or. C’est la musique qui me fait complètement vibrer, il y a une vraie fierté française de toutes ces sensibilités qui ont créé un son qui est devenu international. Ça a beaucoup compté pour moi, dans les harmonies, le son. Ça me faisait rêver.

So Me Rapidement, Ed Banger est ce label identifiable par ses acteurs. Mehdi, Pedro, Justice : c’était Le Club des Cinq et Scooby-Doo réunis.

Myd Justice a très vite eu cette imagerie forte. Le plus drôle, c’est que la croix n’est pas le symbole de la justice. Donc ils ont pris un emblème qui n’a rien à voir avec le nom pour en faire un logo. Ils ont réussi à trianguler plusieurs univers pour expliquer leur propre histoire. Ils ont cristallisé un truc que Pedro avait commencé à faire à l’échelle de la famille Ed Banger : tout le monde s’est mis à regarder la croix comme on avait fini par regarder le DJ telle une superstar.

Thomas Jumin (graphiste) L’avantage d’un emblème comme celui-là, c’est que tu en fais ce que tu veux. C’est comme ça que tu rends ton groupe intemporel.

So Me Quand on allait à l’étranger, les gens pensaient qu’il y avait à Paris une vie nocturne folle. Faut dire qu’on avait des labels comme Ed Banger, Institubes, Tigersushi. Certains croyaient que la capitale était un Berlin bis, alors qu’il n’y avait presque rien. Il y a néanmoins toujours eu un club qui s’imposait, comme le Pulp à un moment. Le ParisParis est peut-être celui qui est resté plus longtemps que les autres. C’est là-bas que tout le monde se retrouvait, c’était super. Tu avais Erol Alkan, Two Many, Medhi. C’était fun.

Matthieu Culleron — La mixité était totale : t’avais les rockeurs, les mecs de la techno, tout ça dans une ambiance assez libertaire. Je me suis retrouvé dans des soirées avec LCD, Soulwax ou Justice. Une affiche comme ça aujourd’hui, tu ne la mets pas dans un club. Parfois, t’avais 600 mètres de queue. C’était une parenthèse enchantée.

Marco Dos Santos (photographe, réalisateur, ex-DA du ParisParis) — Teki Latex a eu l’idée d’organiser des battles. Deux équipes qui s’affrontent en balançant des morceaux chacun son tour depuis un iPod. Plus les gens crient, plus tu gagnes. On a fait une édition avec Justice, So Me et Mehdi, c’était dingue. Crois-le ou non, à la fin de la battle, le décibelmètre affichait ex æquo.

Sarah Andelmann (cofondatrice de Colette) J’ai proposé à Pedro de mixer dans les soirées Colette, à l’époque où il manageait encore Daft Punk. Au ParisParis, on faisait les Colette Dance Class. So Me faisait les flyers. C’est à cette époque que j’ai rencontré Gaspard et Xavier. Toute cette petite clique, je la côtoyais à travers les soirées Colette. Je me souviens même être allée à Coachella. Je trouvais ça fou de voir cette petite famille se créer. Quand je voyais Xavier et Gaspard, je me demandais comment deux personnalités si différentes pouvaient fonctionner ensemble.

SebastiAn À cause de la 1ère French Touch, les gens ont cru à une sorte de continuité versaillaise. Mais pas du tout. Bon, ok, t’as des mecs avec des noms à particule, quoi. Ce qui nous unit le plus, c’est con, mais c’est l’humour. On a les mêmes références : Oizo, Justice, Vinco, Pedro. Il y avait tout pour que ça fonctionne, alors qu’on vient tous d’univers très éloignés. L’humour, c’est le fil conducteur. Pedro est d’ailleurs encore sur cette ligne. C’est le mec qui peut te dire : “Attention, je crois que t’es plus en train de te marrer là.”

Pedro Winter Xavier m’a rappelé récemment que Mehdi et Thomas Bangalter étaient là pour le 1er Coachella, les mains dans le cambouis pour aider à monter la scène. Symboliquement, ça en dit beaucoup. Comme une passation très bienveillante entre Justice et Daft Punk, alors que moi j’allais arrêter de bosser avec Thomas et Guy-Man l’année d’après. Le fait que Thomas ait été là en front of house lors du show, c’est fort.

Les duettistes

Outre la place que Justice occupe au cœur de la constellation Ed Banger, Gaspard Augé et Xavier de Rosnay forment à eux deux un micro-organisme à part dans la scène musicale française et internationale.

SebastiAn — Xavier est plutôt casanier, alors que Gaspard, c’est impossible de ne pas le croiser si toi aussi tu sors. Il a le don d’ubiquité, si tu croises trois personnes différentes qui te disent l’avoir vu dans trois endroits différents au cours de la même soirée, c’est qu’il était aux trois endroits à un moment donné.

Juliette Armanet — Gaspard est souvent venu à mes concerts lors de ma 1ère tournée, ça me terrorisait. J’étais fière, mais ça me mettait une énorme pression en même temps. C’était comme avoir Prince à mon concert.

SebastiAn Gaspard en studio, c’est le mec qui fait les notes et trouvera le petit accord médiéval qui sort de nulle part. Xavier, c’est plutôt la production.

Juliette Armanet J’ai travaillé avec Xavier sur ma chanson Tu me play. Avec Victor Le Masne, qui travaillait avec moi, on était arrivés à un point où on avait tout donné, et moi je cherchais une certaine profondeur de son, quelque chose de plus impérial. Et lui a débloqué quelque chose. Il a rendu le morceau plus mordant, plus dangereux. J’ai l’impression que Xavier et Gaspard n’ont pas de chapelle mais ils ont un goût très sûr.

So Me Le club anglais Fabric leur avait demandé un mix de Noël. Je pense que les techno heads qui s’attendaient à du son qui tabasse se sont retrouvés avec tout ce qu’ils détestaient le plus : de la variété, du disco, tout ça.

SebastiAn Fabric avait fait la gueule et refusé le mix. Justice avait répondu : “Bah ouais, c’est ce qu’on aime.” Il y avait du Julien Clerc dessus, du Balavoine. Ils sont vraiment fans de Julien Clerc !

Pedro Winter Xavier et Gaspard ont participé aux maquettes de Yeezus, de Kanye West. Personne ne le sait, ça. Je dois en avoir quelques-unes encore. Ils ne sont pas allés au bout, finalement, mais dans les sonorités que Kanye a pondues, moi j’entends Justice.

SebastiAn Ils ne perdent jamais leur ligne. Ils auraient les moyens d’aller chercher des The Weeknd, mais ils préfèrent prendre Miguel sur le dernier album, parce qu’ils trippent spécifiquement sur lui. Je pense même qu’ils le préfèrent à Frank Ocean. Ils ont la notoriété et les contacts suffisants mais ils ne sont pas tactiques. Je pense qu’ils se voient un peu comme le Velvet Underground. Qu’ils réfléchissent à comment ils ont envie qu’on se souvienne d’eux dans le futur.

So Me C’est hyper tentant d’analyser, j’adore faire ça avec les disques que j’aime : les situer, dire ce qu’ils signifient, pourquoi l’artiste a fait comme il a fait. Chez Justice, c’est moins calculé que ça. Le nouvel album peut donner l’illusion de ressembler au 1er, parce qu’ils reviennent à un son plus dur, mais quand tu regardes de près, les deux albums ne se ressemblent pas tant que ça. Il y a beaucoup d’expérimentations, de fausses utilisations de samples, alors que ce sont des trucs vraiment joués, tout un tas d’innovations.

Pedro Winter Pour les taquiner un peu, je dis souvent qu’ils cherchent à être dans la démonstration, le savoir-faire, le bon goût. Le surdoué qui te met une bonne gifle en te montrant qu’il sait faire des montées d’accords, un bridge, etc. Ce sont des esthètes ! Avec Hyperdrama, ils sont revenus à quelque chose de plus spontané et moins cérébral. Et ils ont ouvert la porte à des guests ! Ça fait un moment que je me bats pour ça. Quand ils m’écrivent pour me dire qu’ils sont à Los Angeles avec Kevin Parker, je suis l’homme le plus heureux du monde.