La “Cavalcade” fantastique de black midi

L’opération Schlagenheim a réussi. Le 1er album de black midi n’était qu’un leurre. Attendu au tournant en raison des performances ahurissantes de ses géniteurs et de son contenu aussi radical qu’excessif, l’objet en question, publié au printemps 2019,...

La “Cavalcade” fantastique de black midi

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

L’opération Schlagenheim a réussi. Le 1er album de black midi n’était qu’un leurre. Attendu au tournant en raison des performances ahurissantes de ses géniteurs et de son contenu aussi radical qu’excessif, l’objet en question, publié au printemps 2019, avait été pensé comme un cheval de Troie sonique, un déversement de décibels et de riffs corrosifs destiné à semer la confusion et à détourner l’attention pour mener en douce une politique de la terre brûlée.

Tout détruire dans l’unique but d’anticiper l’avenir et de se reconstruire. L’objectif était clair, les quatre Anglais l’avaient prémédité. “Je veux que dans quatre mois, un ou deux ans, la musique de black midi soit méconnaissable”, avait d’ailleurs reconnu dans ces pages, en mai 2019, l’une des têtes pensantes du quatuor, Geordie Greep.

Deux ans plus tard, alors que paraît Cavalcade, vaste entreprise de réédification lancée par black midi sur les cendres encore brûlantes de Schlagenheim, le chanteur et guitariste précise ses plans : “Cette idée remonte aux origines du groupe. Nous nous sommes toujours dit que nous voulions constamment faire évoluer notre musique, la métamorphoser. On savait alors dès le départ que notre deuxième album serait différent du 1er, mais que si nous voulions suivre cette voie, nous devions aller aussi loin que possible.”

Exit les interminables sessions d’impros en studio

Parvenu à déblayer le terrain à grands coups de distorsion hurlante pour y bâtir son futur, black midi entame sans attendre la deuxième phase de ses travaux. Dès la sortie de son 1er long, le groupe se jette dans l’écriture et multiplie les tournées en parallèle. Aucune contrainte formelle ne peut désormais entraver l’exécution de son audacieux projet. Le seul mot d’ordre reste le changement. Et à mesure que les concerts s’enchaînent soir après soir, les Londoniens prennent rapidement conscience des limites de leurs morceaux des débuts.

“Les chansons de Schlagenheim résultent d’une multitude de jams. Dès qu’elles sont reprises sur scène, elles laissent finalement peu de place à l’improvisation, observe Greep. A force de les jouer, on se sentait coincés, obligés de reproduire constamment un même schéma, qui devenait lassant. Avec ce nouveau disque, il fallait modifier tout cela. Rendre nos compositions malléables et leur laisser de la place pour qu’elles puissent se développer.”

Pour innover, les musiciens décident de modifier leurs habitudes. Exit les interminables sessions d’impros en studio. Chacun des membres doit désormais bosser dans son coin et interagir à distance pour concevoir avec minutie les différentes structures et mélodies qui viendront façonner ce deuxième LP. Les textes, presque entièrement écrits à la troisième personne, suivent quant à eux des personnages bien définis, pour se limiter à des histoires concises et “paraître moins abstraits dans leur propos que par le passé”.

Cavalcade entraîne alors toute une galerie de protagonistes dans une étrange parade. De Marlene Dietrich au duo Hogwash et Balderdash, personnification du non-sens, en passant par John L, gourou d’une secte acculé par ses adeptes séditieux·euses, ou encore l’énigmatique Mark, artiste au funeste destin qui s’invite sur le grand finale de cette épopée fantasque, tous·tes sont les faire-valoir d’un groupe à l’ambition décuplée.

Sur les terres de Magma ou John McLaughlin

Devenu trio à la suite du départ du guitariste Matt Kwasniewski-Kelvin, parti prendre soin de sa santé mentale, black midi s’entoure à présent d’une section de cuivres à laquelle viennent s’ajouter quelques cordes qui apportent une coloration inédite au son des turbulents Anglais. “Ce que nous essayons de faire avec ce disque est plus centré sur les émotions, pour ne pas nous enfermer dans une sorte de carcan sonique, même si nous conservons bien sûr l’énergie et la brutalité du précédent”, admet le chanteur et guitariste.

“Il y a de l’humour, de la comédie, comme toujours dans notre musique, et des choses plus dramatiques, sentimentales. Mais il faut faire en sorte que rien de tout cela ne soit vraiment pris au sérieux, qu’il y ait une certaine dose de légèreté. Si nous devons faire quelque chose de dramatique, cela doit être le plus dramatique possible. Si nous devons jouer fort, cela doit être le plus fort possible.”

Alors que black midi donne toujours autant dans l’excès, les structures mouvantes aux métriques complexes de Cavalcade fournissent l’espace nécessaire pour y apporter de la nuance. Ici, le batteur émérite Morgan Simpson tempère la frénésie de l’ensemble (Slow). Là, Geordie Greep se fait crooner d’un autre temps (Marlene Dietrich). Aussi bien inspirés par Frank Zappa, Tom Waits et Joni Mitchell que par les œuvres d’Olivier Messiaen ou de Stravinsky – pour reprendre les dires du groupe –, les Anglais s’aventurent davantage sur les terres du rock progressif et du jazz-rock, celles de Magma comme celle de John McLaughlin, jusqu’à explorer les confins du chaos.

La fin des temps approche. John L et sa rythmique implacable font exploser les repères. Derrière ses détonations noise aux penchants trash metal, Chondromalacia Patella appelle à la débâcle. L’apocalypse serait-elle même déjà là ? Si Slow fait preuve de résilience, l’hystérie d’Hogwash and Balderdash ne peut que le confirmer. A moins que le Jugement dernier ne soit passé et que l’horizon se découvre à nouveau, ce que semblent indiquer les sublimes arrangements de Diamond Stuff comme la conclusion en apothéose d’Ascending Forth.

“Tout est complètement récréatif, tranche Geordie Greep. Cavalcade reflète la musique que nous aimons et que nous voulons réellement produire à long terme. C’est une musique pour perdre son temps, rien de plus, et c’est ce qui est génial. Son ultime but est de donner des frissons.” Assurément, ceux de l’angoisse. Et c’est un compliment.

Cavalcade (Rough Trade Records/Wagram)