“La Fièvre”, un 1er film poétique et politique

Comment le capitalisme s’infiltre et contamine tous les recoins d’une société, jusque dans ses jointures les plus décentralisées et désurbanisées ? C’est l’une des grandes thématiques du cinéma brésilien, qu’il fixe avec une pugnacité et une...

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Comment le capitalisme s’infiltre et contamine tous les recoins d’une société, jusque dans ses jointures les plus décentralisées et désurbanisées ? C’est l’une des grandes thématiques du cinéma brésilien, qu’il fixe avec une pugnacité et une ardeur politique remarquables depuis plusieurs années.

Si le commentaire sociopolitique de La Fièvre, 1er film de la cinéaste Maya Da-Rin, se rapproche de Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, il s’en écarte totalement par son regard. À l’opposé du cri de guerre écorché de rage, volontairement excessif et baroque, du prix du jury à Cannes en 2019, le film de Maya Da-Rin est régi par un certain sens de la soustraction et séduit par le sentiment de quiétude et le rythme lancinant qui le traversent. À l’image du protagoniste interprété merveilleusement par Regis Myrupu (prix d’interprétation masculine en 2020 au festival de Locarno), dont on ne sait jamais si le sourire qui se dessine continuellement sur ses lèvres est le signe d’un espoir ou s’il traduit l’échec désabusé face à un monde qui change autour de lui.

C’est précisément sur ce visage, en gros plan, que le film s’ouvre. Justino, veilleur de nuit amérindien d’un port de commerce, se tient debout sur son lieu de travail et, lentement, ne pouvant résister à la fatigue, se fait emporter par le sommeil. Au moment où le visage de l’homme trouve le repos, l’espace sonore auparavant composé de bruits de machines et d’agitations humaines est soudain recouvert par les sons d’une forêt dense et peuplée.

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Acculturation

En un plan, formellement saisissant, toutes les grandes lignes de force de La Fièvre sont posées. Comme chez Mendonça Filho, l’image politique est à la fois claire et puissante tout en laissant suffisamment de place à l’interprétation et au mystère, afin que le film dépasse le seul état des lieux pamphlétaire.

La fièvre dont est atteint le personnage principal est une métaphore éclatante mais suffisamment ambiguë pour ne pas donner une réponse simpliste ou trop évidente à ses spectateur·trices. Car elle semble être le symptôme de la lente déliquescence d’un peuple victime d’une acculturation forcée, et surtout l’un des arguments du film pour s’avancer, dans sa deuxième partie, vers un cinéma aux ambitions plus sensorielles que politiques. Joignant un rythme nébuleux à une articulation des scènes et une composition sonore extrêmement soignées, Maya Da-Rin impose avec sérénité et force une grande sensibilité de filmage qui rappelle à plusieurs égards la poésie inquiétante, l’érotisme lancinant et les jungles assourdissantes d’Apichatpong Weerasethakul dans Tropical Malady ou Oncle Boonmee.

La Fièvre de Maya Da-Rin, avec Regis Myrupu, Rosa Peixoto, Johnatan Sodré (Br., 2019, 1h38).  En salle le 30 juin

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