“La Grande Magie”, une comédie de troupe qui a plus d’un tour dans son sac 

Oublie-moi (1994), La vie ne me fait pas peur (1999)… À regarder de près la filmographie de Noémie Lvovsky, on ne peut que contredire l’impératif puis l’assurance feinte et amusée des titres de ses 1er et deuxième longs. Car c’est bien l’inverse...

“La Grande Magie”, une comédie de troupe qui a plus d’un tour dans son sac 

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Oublie-moi (1994), La vie ne me fait pas peur (1999)… À regarder de près la filmographie de Noémie Lvovsky, on ne peut que contredire l’impératif puis l’assurance feinte et amusée des titres de ses 1er et deuxième longs. Car c’est bien l’inverse que nous expliquent ses films et qu’implorent les personnages de son œuvre : ne m’oublie pas ! Pour elle, d’ailleurs, c’est certainement le simple fait d’imaginer l’oubli qui rend la vie si terrifiante et le cinéma, si essentiel à l’existence.

Cette nécessité chez l’actrice-réalisatrice passe souvent par un réagencement du réel, distordu au contact d’une fiction fantaisiste et fantastique, étrangement vraisemblable dans son invraisemblance : c’est une femme qui voyage dans le temps et retourne à son adolescence pour mieux la regarder et regarder celles et ceux qu’elle a aimé·es (Camille redouble, 2012), c’est une petite fille livrée à elle-même, craignant que la folie grandissante de sa mère ne la raye de la mémoire de celle-ci (Demain et tous les autres jours, 2017).

Orphée cherchant son Eurydice

Avec La Grande Magie, comédie musicale (chansons signées Feu ! Chatterton) qui joue aux approximations plutôt qu’à la bonne élève, la machine à remonter le temps et les âges se pose dans la France des années 1920. Dans une maison cossue en bord de mer, le couple formé par Charles (Denis Podalydès, en photo) et Marta (Judith Chemla) n’arrive plus à s’aimer. Un soir, alors qu’une troupe de magicien·nes menée par Sergi López et Noémie Lvovsky s’installe près de la demeure, Marta profite de l’illusion d’un tour où elle joue la cobaye pour orchestrer sa propre disparition.

De cet argument allénien, la cinéaste tire d’abord une intrigue farfelue où il sera question de faire croire au mari rabougri et jaloux que sa femme ne s’est pas totalement évaporée mais que son âme se trouve dans une petite boîte, joli talisman mais aussi prison. À la manière d’un Orphée cherchant son Eurydice, l’homme ne pourra la rouvrir et retrouver sa femme qu’à condition qu’il lui accorde à nouveau sa confiance. C’est sur ce canevas de comédie (de troupe) que Lvovsky tisse délicatement ce qui se dévoile une étude du couple extrêmement nuancée (si les torts sont au mari, les peines, elles, sont partageables).

Le pouvoir de la fiction

Le film, dissipé, fragile dans certains segments comme altérés par l’envergure du projet et absolument bouleversant dans d’autres, finit alors par pianoter une petite musique ambiguë sur le pouvoir de la fiction, à la fois source d’apaisement et de clairvoyance pour cet homme aveuglé mais aussi terreau d’une obsession grandissante et dangereuse – la force du récit et son imaginaire comme pansement autant que grande tristesse et trouble. “Méfiez-vous du rêve de l’autre, si vous êtes pris dans le rêve de l’autre vous êtes foutu.” À la question de la fiction et du réel, du fantasme et de la réalité, des souvenirs et du présent, La Grande Magie choisit les pistes avancées par la théorie de Gilles Deleuze sur les risques dévorants du rêve, cette “terrible volonté de puissance” d’un homme possédé, ivre de mélancolie, bourreau et prisonnier d’une illusion perdue.

La Grande Magie de Noémie Lvovsky, avec elle-même, Denis Podalydès, Sergi López, Judith Chemla (Fr., 2022, 1 h 43). En salle le 8 février.