La passion, selon Lætitia Dosch

Dans Passion simple de Danielle Arbid – un film adapté du texte d’Annie Ernaux –, elle incarne une professeure de lettres et mère prise dans une très vive passion amoureuse pour un homme marié, donnant corps aux agitations du désir dans un...

La passion, selon Lætitia Dosch

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Dans Passion simple de Danielle Arbid – un film adapté du texte d’Annie Ernaux –, elle incarne une professeure de lettres et mère prise dans une très vive passion amoureuse pour un homme marié, donnant corps aux agitations du désir dans un rôle qui semble marquer une nouvelle voie dans sa filmographie. En plein tournage dans les Cévennes sur le 1er long métrage de Lisa Diaz, Lætitia Dosch nous a accordé un peu de son temps au téléphone pour nous causer de passion, d’écriture et de… Barbie.

Quand on est actrice, ça arrive de jouer sans passion ?

Lætitia Dosch – Ça m’est arrivé de jouer des choses sans passion, c’est très dur physiquement. Au théâtre, parfois tu dois jouer une même pièce 60 ou 70 fois, le rapport d’amour au personnage, à la situation devient presque scientifique. C’est de la cuisine : chaque jour, tu décides d’enlever certains ingrédients, d’en ajouter d’autres. La passion s’entretient par le travail mais au-delà de 60 dates, je galère. La vérité c’est que j’ai la passion de voir les autres travailler. J’aime beaucoup voir les gens préparer un plateau, choisir les accessoires. Mais dans le mot “passion”, il y a quelque chose de dangereux, alors que finalement, dans mon métier, je me sens très rarement en danger. Je me sens beaucoup plus en insécurité dans la vie, j’ai du mal à y retrouver cette même liberté. Je suis très heureuse de faire mon métier. La passion c’est une grande énergie qui se libère, il faut juste apprendre à la contrôler, je ne pense pas qu’il faille la fuir ou la mettre de côté. Je me souviens, les 1ères années où j’étais actrice, j’avais très peur de mal faire. Avec la technique, tu apprends à comprendre la passion avec l’équilibre de ce que tu construis à côté.

Comment c’était de tourner Passion simple de Danielle Arbid ?

L’écriture d’Annie Ernaux est particulière. Elle n’y va pas avec le dos de la cuillère. Les sentiments, le désir physique et toutes les variations autour sont découpés au scalpel. Elle décrit très précisément la folie que cela peut prendre dans la tête, le caractère incontrôlable du désir. S’il y a bien quelque chose dans mon métier que je ne contrôle pas et qui peut sans doute se rapprocher de la passion, ce sont ces moments où je sais que je joue, que c’est du faux et pourtant, parfois, ça déteint sur ma vie. Quand le personnage est blessé, ça peut m’arriver d’être blessée. Passion simple est un film lumineux mais, par moments, le personnage perd pied. Je me souviens que quand nous étions en Russie, j’étais comme sonnée. Les acteurs·trices ne sont pas interchangeables, tu peux les remplacer mais ça ne sera pas le même film, il y a forcément quelque chose qui cause de toi. Jouer ce personnage a libéré ma féminité. Le métier d’acteur a libéré chez moi une certaine écoute, une douceur. Ce rôle m’a changée jusque dans ma vie, je n’avais jamais autant exploré le désir. Enfin, je ne dis pas que je suis vierge (rires), mais je n’avais jamais approché un truc aussi évanescent, aussi ouvert. Finalement, la liberté que prend le personnage d’Hélène, elle me l’a aussi donnée. Je fais ce métier pour ça, pour expliquer des histoires et pour vivre l’expérience de quelqu’un·e d’autre.

L’expression de la passion dans le film de Danielle Arbid passe beaucoup par des scènes de sexe. Tu les appréhendais ?

Non, je n’étais pas réticente. Il y a peu de scènes d’amour comme ça au cinéma, je pense que c’est important. En tant que spectatrice, je me suis dit que j’aimerais bien voir des gens faire l’amour de plein de manières différentes, pour arriver à voir comment, à travers ces scènes, les sentiments se partagent, évoluent. Je trouve que ça décomplexifie les choses dans le sens où c’est humain, on n’est pas dans “la scène de cul obligatoire”. Mais évidemment j’ai eu peur de ne pas être présentable surtout devant un danseur hyper magnifique (Sergueï Polounine, ndlr). Mais j’étais fière de faire ça parce que je pense que ça va faire du bien aux gens de voir du trouble, des hésitations. Ça n’existe pas les gens parfaits qui font parfaitement l’amour.

Lætitia Dosch et Sergueï Polounine dans Passion simple de Danielle Arbid (© Magali Bragard)

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Quels sont les films sur la passion qui t’ont marquée ?

Fatale de Louis Malle, c’était super beau. L’Insoutenable légèreté de l’être de Philip Kaufman, aussi. Ce sont deux films avec Juliette Binoche, et je trouve qu’elle est très bonne pour incarner ça. Elle vit l’intensité et en même temps, il y a une forme d’étrangeté qui se dégage de ce qu’elle fait. Je me souviens de L’Empire des sens de Nagisa Ōshima, mais des films qui causent de passion aussi bien que celui de Danielle, je n’en ai pas beaucoup vus. Intimité de Patrice Chéreau m’avait laissé une impression un peu glauque, je crois que je ne l’aime pas trop. Un film comme Sur la route de Madison me cause plus de passion qu’Intimité.

Tu as une passion pour des acteurs ou des actrices ?

J’ai beaucoup aimé Johnny Depp plus jeune. Je repense à Arizona Dreams… Il y a du masculin et du féminin chez lui. Dernièrement, j’ai vu Annette, qui a commencé par me déstabiliser parce que je trouvais que la manière dont été représentée la passion noire, cette histoire entre une femme qui chante et meurt et cet homme, dont le désir pousse à tuer, était déjà vue. Cette image existe depuis longtemps. J’étais d’abord un peu choquée, et en y repensant, je me suis dit finalement que ce n’était pas que l’homme qui était critiqué, mais la femme aussi : ils n’arrivent pas à voir leur enfant et du coup le film m’a intéressée. C’est un film qui explique comment la passion rend aveugle. J’ai l’impression que le défi d’une passion, c’est de la rendre voyante. Peut-être que Leos Carax a fait ce film pour rendre sa passion voyante, pour voir sa fille.

C’était quoi tes passions, enfant ?

C’était les Barbie. J’aimais les coiffer, les faire causer, inventer des choses avec elles. Il y avait très peu de Ken chez moi. Ça a dû me construire, je ne sais pas pourquoi. En revanche, j’aurais beaucoup aimé avoir une passion pour le foot pour apprendre le travail en équipe très jeune. Je regrette de ne pas avoir fait de sport collectif. Je pense que ça m’a fait perdre 5 ou 6 ans de ma vie. Finalement, les Barbie,, c’est assez solitaire, ce n’est pas un jeu où tu construis une stratégie à plusieurs. Je crois que ça m’aurait beaucoup libérée d’apprendre ça, l’inscription dans un projet collectif.

Tu as eu une passion pour les études…

Avant mes études d’art dramatique, j’ai eu une passion pour Thomas Hardy, pour la littérature anglaise victorienne : Les Hauts de Hurlevent, Jane Eyre… Toutes ces choses qui ont vachement à voir avec le désir dans un truc où les hommes et les femmes peuvent être monstrueux. J’étais très touchée par cette souffrance, je le suis moins maintenant. Je lisais beaucoup. J’ai fait des études pour devenir traductrice. Quand j’étais petite, une fois, on m’avait demandé d’imiter ma mère et ça avait été une révélation pour moi, je pouvais me permettre de expliquer des choses de chez moi qui faisaient rire. C’est d’ailleurs ensuite ce que j’ai fait au théâtre. Je suis venue au jeu comme métier en rencontrant un acteur dans la rue quand j’avais 18 ans. Je l’ai vu travailler. Avant, je ne pensais pas que c’était possible. J’allais le voir jouer, je l’accompagnais sur des tournages. Il travaillait avec beaucoup de passion, justement. Un peu trop d’ailleurs, ça l’a un peu abîmé, le pauvre. J’ai fait 7 ans de théâtre justement pour arriver à contrôler ma passion, arriver à la transformer en acte, avoir des outils pour la contrôler.

Tu as la passion des animaux ?

Je dirai que j’ai une passion pour les animaux, et j’inclurai les humains dedans puisque nous faisons partie du règne animal. Mais effectivement, j’ai une passion peut-être pour d’autres rapports qu’on peut avoir plus facilement avec les animaux, des rapports mystérieux qui viennent du muet. Je viens d’écrire un film autour d’un chien qui cause de domination, d’oppression. Le fait de travailler avec un animal me plaît. Souvent, les gens ont peur de tourner avec des animaux ou avec des enfants. On te dit : “Tu vas te faire bouffer.” Alors qu’au contraire, tu te fais libérer.

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L’écriture, est-ce une passion ?

Ce que j’aime, c’est faire des choses que je n’ai pas faites avant. Je n’avais jamais écrit de film avant ça. J’ai lu des manuels, j’ai été hyper angoissée, je ne savais pas si j’allais y arriver. Ce que j’aime c’est avoir un endroit comme un cocon où libérer mon imagination. C’est un endroit à la fois ludique et plein de sens pour moi. L’écriture, c’est parfois très douloureux, parfois très joyeux. Le film que j’ai écrit cause forcément de moi, mais il y a beaucoup de personnages. Je ne sais pas si j’en ferai d’autres. Ma vie se passe toujours comme ça. C’est un producteur qui m’a dit : “Lætitia, si tu peux travailler avec un cheval, t’es capable de faire un film.” C’est toujours des gens qui m’ont donné confiance. Au théâtre, je vais adapter En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis au théâtre avec 15 jeunes de La Manufacture, l’école suisse d’où je viens. Édouard Louis les a suivi·es pendant 3 ans, il a travaillé avec eux·elles. C’est lui qui est venu me chercher. Finalement, là où je me reconnais chez lui, même si nous sommes très différent·es – nous ne venons pas du tout du même milieu. Je ne suis pas homosexuelle, je ne suis pas un homme. Il y a un truc d’exil très fort chez lui, et je vois à quel point l’écriture l’a sauvé. Écrire, jouer m’ont peut-être sauvée, aussi. Je ne dirai pas de la folie, ce serait exagéré, mais en tout cas de quelque chose qui s’en rapproche. Je n’aurais pas pu m’en sortir dans la vie sinon, je n’aurais rien pu faire d’autre.

Jusqu’où es-tu allée par passion ?

Dans ma vie, j’ai fait deux choses folles. J’ai vraiment attendu quelqu’un pendant deux ans. Puis, il y avait aussi un homme avec qui j’étais, un acteur qui devait faire une scène d’amour dans un film. Il avait très peur, et je l’ai accompagné. J’étais là pendant tout le tournage, à côté de lui, pendant qu’il tournait la scène. Deux choses folles très opposées : être absente et être très très présente.

Tu te passionnes pour quel genre de personnage ?

J’aimerais beaucoup jouer une maire au cinéma, une femme de pouvoir qui doit organiser une communauté, une société. En réalité, cela dépend moins du rôle que de comment il est écrit. Je ne sais pas pourquoi, ces figures de maires de petites villes me passionnent. Je préfère dire que ce sont des figures de tempérance plutôt que d’autorité. Dans le petit village où je suis (dans les Cévennes), quand tu fais une fête, le maire a des coups de fil toute la nuit. Après, c’est marrant, parce que je découvre cette année qu’on me propose beaucoup de rôles qui ont à voir avec la féminité, la maternité, des rôles de maman. Et moi qui ne suis pas maman, ça me bouleverse. La semaine dernière, j’ai encore joué un accouchement, il y avait un faux bébé qu’on me mettait sur le ventre. Hier, je devais dire à ma “fille” : “Mais comment tu vas faire pour t’en tirer avec une mère comme moi ?” Ça secoue vachement.

Dans la vie, qu’est-ce qui t’ennuie et te passionne le plus ?

Ce qui m’ennuie le plus, ce sont les dîners avec du name dropping. Beaucoup de choses m’ennuient, quand je regarde la télé, la vidéo de Macron avec les Youtubeurs… Toute cette manipulation, celle qui fait appel à nos plus bas instincts, celle des chaînes d’info que je regarde de temps en temps au café… On nous prend pour des con·nes. Au cinéma, ce qui m’ennuie, c’est de voir des femmes dire à des mecs : “Mais qu’est-ce que tu es en train de faire?!” Mais l’ennui est constructif. Quand il s’agit de cinéma, je me dis qu’il faut inventer un truc. Dans la vie, c’est plus difficile parce que parfois il n’y a pas trop moyen de répondre ou d’agir. Ce qui me passionne le plus, c’est d’apprendre de nouvelles choses tout le temps. Hier, par exemple, j’ai appris à enlever des gourmands de tomates – je ne savais même pas ce que c’était. J’aime bien que les gens me expliquent, me fassent découvrir leur monde, et qu’on arrive à construire des ponts entre nous.

Passion simple de Danielle Arbid. À partir d’un texte d’Annie Ernaux. Avec Laetitia Dosch, Sergueï Polounine, Lou-Teymour Thion.

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