La story “Nevermind” (1/3), la fin des dinosaures
En 1977, on attendait les nouveaux Beatles et ce sont les Sex Pistols qui ont débarqué. En 1991, on n’attendait plus rien et Nirvana a déboulé. Plusieurs fois, déjà, on avait décrété la mort du rock mais ce coup-ci, croyait-on, on lui avait...
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En 1977, on attendait les nouveaux Beatles et ce sont les Sex Pistols qui ont débarqué. En 1991, on n’attendait plus rien et Nirvana a déboulé. Plusieurs fois, déjà, on avait décrété la mort du rock mais ce coup-ci, croyait-on, on lui avait pour de bon enfoncé un pieu dans le cœur.
Le rap lui avait ravi sa place de 1ère langue vivante, celle de la colère et de la rage juvéniles. Le hip-hop, la techno et le trip-hop étaient en train d’inventer un langage musical contemporain qui allait en faire le pittoresque vestige d’un autre temps.
D’ailleurs, le rock semblait prendre tout seul le chemin du musée. Il entrait de son plein gré dans l’âge – durable – du vintage et des commémorations. Les Rolling Stones, qui avaient compté pour rien ou presque dans les années 1980, revenaient du pays des morts à l’occasion de leur tournée Steel Wheels. Ils semblaient satisfaits de ne plus rien avoir à dire sur le nouveau monde qui les entourait, en tout cas rien qu’on ait particulièrement envie d’entendre.
Le triomphe du rock de patrimoine
Pour la 1ère fois, les Stones célébraient leur histoire, leur héritage, leur “légende”. Ils semblaient parfaitement heureux de s’être transformés en tribute band d’eux-mêmes, autrement dit en parc à thème ambulant. Les parents venaient les voir avec leurs enfants et tout le monde était content. Parmi ces enfants surgissaient des Lenny Kravitz et des Black Crowes, pour lesquels l’histoire et la culture propres au “classic rock” n’avaient aucun secret.
Ils connaissaient leur Hendrix et leur Allman Brothers Band sur le bout des doigts. Ils faisaient du rock avec une fraîcheur, une fougue et un talent que personne n’aurait eu l’idée de leur contester. Si l’on ose dire, ils en faisaient même mieux que celles et ceux qui l’avaient inventé. Ils disposaient d’un meilleur matériel, d’une meilleure connaissance et d’une technique plus sûre.
Bientôt, au Royaume-Uni, le magazine Mojo allait naître et prendre, mois après mois, le rock comme objet de commémoration, chaque numéro se présentant, en partie, comme un catalogue d’exposition, explorant une légende du passé – le Velvet Underground, Dylan, The Doors – avec des photos “cultes”, des documents rares, des entrevues de survivant·es.
La nouvelle vague underground
Pendant ce temps-là, des tribus chevelues oubliées, vivant aux confins de l’empire, dans ses marches brumeuses, campant sous des tentes rapiécées plantées en lisière de tristes marécages, réduites à une existence sauvage et bestiale, ne semblaient pas au courant. Elles continuaient à se livrer à des rites étranges, non répertoriés ou à peine, hormis par quelques explorateur·trices aussi marginaux·ales qu’elles (et ces ensembles formaient néanmoins des masses – des masses minoritaires, en quelque sorte).
Hard rock, metal, speedcore, oi !, Punk’s not dead, hardcore : autant de populations qu’ignoraient, méprisaient ou, dans le meilleur des cas, toisaient avec condescendance ceux et celles dont le métier était alors de “expliquer” le rock à la prétendue élite et de trier le bon grain de l’ivraie (j’en sais quelque chose).
Soyons franc·hes : en 1991, aux Inrockuptibles comme ailleurs, les esthètes du rock tournent le dos à ces arriéré·es et préfèrent contempler d’autres marges. On célèbre alors The House of Love, Ride, Lush ou My Bloody Valentine : d’excellents groupes qui ne passent guère à la radio, sauf dans l’émission de Bernard Lenoir, de retour sur France Inter pour y diffuser une “musique pas comme les autres”.
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Ces musicien·nes demeurent largement inconnu·es du grand public. Beaucoup continuent à guetter la lumière du côté de Manchester. L’ambiance reste très anglophile et l’avenir semble alors se jouer du côté des Happy Mondays et de Primal Scream qui, dans le sillage de New Order, fusionnent leur musique avec celle issue des discothèques, des rave parties et de leurs DJ.
Le grand chaudron des clubs et des raves
On jette tout, pêle-mêle, dans un grand chaudron : house, techno, rock psychédélique, climats industriels, funk, dub, rap, transe froide et brûlante à la fois, on cherche – et on trouve – une pulsation tribale. De fait, c’est encore une autre “musique pas comme les autres” qui va surgir, loin des climats moroses du rock indépendant et de ses soliloques désolés. Elle naîtra du cœur de l’euphorie propre aux rave parties et aux discothèques où résonnent house et techno.
Morrissey et les Smiths ont beau s’être exclamés, en 1985, dans Panic : “Burn down the disco/Hang the blessed DJ/Because the music they constantly play/It says nothing to me about my life”, c’est un peu le dernier cri d’un noyé. De cette ébullition, de cette dissolution, au fond, naîtra bientôt Oasis, la traduction rock et grand public du phénomène, mais c’est encore trop tôt.
Comment ne pas voir que, pendant ce temps-là, tout autre chose frémit et même se convulse du côté des Etats-Unis ? Un groupe unique en son genre, Sonic Youth, issu de l’avant-garde new-yorkaise, crée une musique bizarre, étrange point de rencontre – et de friction – entre, d’une part, des chansons sommaires de rock’n’roll en noir et blanc et, de l’autre, des saturations et distorsions appliquées à la matière sonore elle-même.
Déflagrations soniques
Cette collision, produite avec les moyens sommaires d’un groupe de rock, permet d’intégrer des éléments de bruit pur et même d’atonalité. Distribués par un label californien underground, SST, fondé par Greg Ginn, pionnier du punk hardcore à Los Angeles au sein du groupe Black Flag, les albums de Sonic Youth encouragent de jeunes marginaux·ales à être aussi extrêmes que possible dans leur approche du son.
D’une certaine façon, ils attisent, chez les musicien·nes et ingénieur·es du son, le désir de sculpter le bruit. Le bruit devient une sorte de matériau sacré, au-delà du chant et des instruments : ce sont les cris qu’on pousse quand on n’a plus de voix et aussi l’énergie, la colère et le désespoir qui surgissent quand on se sent à bout de forces.
A Minneapolis, la ville de Prince, deux marginaux, Bob Mould et Grant Hart, tous deux gays, fans des Ramones comme des Anglais de Buzzcocks (ceux qu’on a pu appeler les “Beatles punk”), créent le trio Hüsker Dü. Pour la 1ère fois aux Etats-Unis, un groupe associe l’énergie punk hardcore et des chansons mélodieuses, exécutées à tombeau ouvert, aux grésillements, saturations et distorsions venues de Sonic Youth et du courant industriel en général.
Par ricochet, l’exemple de Hüsker Dü, dont la musique est diffusée par SST, encourage d’autres marginaux à Boston, sur la côte Est. Un autre trio, Dinosaur Jr., injecte dans son punk hardcore des éléments bruitistes qui captiveront Thurston Moore (il paraît qu’il se postait au bord de la scène, armé d’un Walkman enregistreur, pour capter le mystère des solos du guitariste J Mascis).
Les Pixies sortent de la marge
Surgis de la même ville, les Pixies vont orienter ces styles vers une certaine froideur narquoise venue d’Europe, assimilant à leur façon la morgue des albums dits berlinois de David Bowie et la violence sèche, comme pince-sans-rire, de l’Anglais Wire. Les Pixies ne rencontrent alors pratiquement aucun écho dans leur pays, les Etats-Unis. Une cassette de leurs maquettes atterrit providentiellement sur le bureau du Londonien Ivo Watts-Russell, fondateur et âme du label 4AD.
Celui-ci a diffusé jusqu’ici des musiques n’ayant que très peu à voir avec le rock’n’roll, une musique que jugent franchement rétro, voire ringarde, ceux et celles qui dans ces années-là cherchent de l’étrange et du nouveau : Bauhaus, The Birthday Party (le 1er groupe de Nick Cave, très free jazz), Dead Can Dance, Cocteau Twins. Dans un 1er temps, Ivo Watts-Russell juge d’ailleurs les Pixies “trop rock’n’roll” avant de finalement changer d’avis, sous l’influence, dit-on, de sa fiancée. En cette curieuse période, certaines démarches franchement expérimentales, comme le fut celle du Velvet Underground une vingtaine d’années auparavant, se propagent dans les garages du monde entier.
Pour autant, aucun de ces groupes n’a de tube, pas un seul n’a une chanson passant à la radio et que monsieur et madame Tout-le-Monde peuvent connaître. Certes, ce n’est pas le but du jeu : le mainstream, c’est encore le diable et, pour ces musicien·nes, se compromettre dans un “rock adulte” fade et démagogique, susceptible de plaire à tout le monde, est une indignité.
Cependant, Black Francis, le grinçant chanteur et compositeur des Pixies, est le 1er à se sentir gêné aux entournures dans ce froc “indie” qui commence à le gratter de partout. Agacé d’être “culte”, il lâche en 1990 aux Inrockuptibles : “Nous sommes plus proches de U2 que des groupes underground.” Les frontières sont en train de bouger, notamment grâce à MTV, qui s’aventure parfois, à la faveur de vidéos adroitement réalisées, à diffuser des musiques longtemps cantonnées dans les marges du rock.
Les influences “pas cool” de Kurt Cobain
Un groupe comme R.E.M., étendard de la cause du rock indé, vient alors de signer avec une major et s’apprête à toucher un très large public. Losing My Religion et Shiny Happy People seront deux des grands tubes de l’année 1991. C’est en somme au milieu d’un changement de décor, dans une sorte d’entre-deux, qu’aura lieu l’explosion, aussi imprévisible qu’inévitable, de Nevermind. Mais il y manque encore une composante : l’élément “pas cool” des influences de Kurt Cobain.