La Story “Nevermind” (3/3), une explosion qui annonce l’implosion
Je me rappelle parfaitement comment j’ai appris l’existence de l’album Nevermind : par une critique élogieuse dans le NME, accompagnée d’une photo, en noir et blanc, bien sûr, des musiciens sur scène, au visage caché par leurs longs cheveux...
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Je me rappelle parfaitement comment j’ai appris l’existence de l’album Nevermind : par une critique élogieuse dans le NME, accompagnée d’une photo, en noir et blanc, bien sûr, des musiciens sur scène, au visage caché par leurs longs cheveux sales. On aurait dit des clodos.
Quelque chose sentait la bière et la sueur mais, contrairement aux punks, c’était sans arrogance ni défi. Ces gamins n’avaient même pas envie qu’on les regarde. On aurait dit des lycéens anonymes ayant gagné une espèce de tremplin.
Ce n’était plus la peine de gueuler, à quoi bon, tout était foutu
J’ai acheté le disque, un CD que j’ai trouvé moche (tous les CD étaient moches), et je me souviens que, tout de suite, quelque chose m’a envahi. Je ne savais pas trop quoi penser mais mon ventre, mon corps, eux, ont compris tout de suite.
Cette chanson, cette voix, cette musique avaient capté quelque chose d’essentiel
Il y avait du dégoût, quelque chose qui se traînait, rampait à terre et puis brusquement ça partait dans un long râle explosif et puis ça s’effondrait, comme si, de toute façon, ce n’était plus la peine de gueuler, à quoi bon, tout était foutu. C’était Smells like Teen Spirit. Cette chanson, cette voix, cette musique avaient capté quelque chose d’essentiel, fixé et épinglé pour l’éternité.
On a pu comparer Nirvana aux Pixies, soulignant que leurs chansons présentaient les mêmes alternances de calme et de violence. Mais chez Nirvana, c’était moins malin et, pour cette raison, ça allait plus loin : on y percevait une vulnérabilité autrement déchirante.
La même grisaille, la même pluie constante
Etrangement, il y a un autre groupe auquel j’ai alors pensé : R.E.M. On entendait dans les chansons de Nirvana, je pense notamment à Something in the Way, les mêmes mélodies tristes et désolées, la même grisaille, la même pluie constante, mais l’ensemble était traversé par une sorte de rage désolée, un long cri d’agonie qu’on n’avait jamais entendu jusque-là.
En décembre 1991, je suis allé aux Trans Musicales de Rennes juste à cause de Nirvana. Je savais que, quelques mois plus tard, il serait impossible de voir ce groupe dans une salle moyenne (on était environ six mille).
Le grunge était partout, peut-être est-ce la dernière fois qu’un mouvement existentiel issu du rock avait quelque chose à transmettre à la société, à la civilisation. Après, ce ne serait plus que de l’entertainment. Comment résumer mon impression ?
La mise en scène d’un effondrement collectif
Le concert de Nirvana m’a, d’une certaine façon, déçu. Cobain semblait comme dévitalisé. Comme je l’appris par la suite, il prenait une dose quotidienne d’héroïne depuis trois ans, pour guérir, soi-disant, une douleur à l’estomac.
C’était bien normal qu’il ne soit pas en pleine forme, d’ailleurs les concerts suivants de la tournée européenne prévue ont tous été annulés. Après coup, j’ai compris que cette déception, d’une nature particulière, était, par accident, l’expression même de cette vérité que je cherchais.
Ce manque de joie et de vitalité s’est révélé d’une prodigieuse intensité. Il fallait un Kurt Cobain, ce jeune homme dépourvu de la moindre estime pour lui-même, pour accomplir, malgré lui, sans vraiment la comprendre, comme tous·tes les héros·oïnes, une mission : dire la vérité, dire la misère de sa vie et la dire en s’effondrant, littéralement, sur scène.
Il n’est apparu, en somme, que pour nous dire qu’il devait disparaître. L’image qui me reste est celle de Cobain, incapable de tenir debout, sortant de scène entre les bras de Novoselic, comme un bébé. Rétrospectivement, j’y vois la mise en scène d’un effondrement collectif, celui d’une civilisation qui n’avait plus pour horizon que sa seule extinction. Et qui l’ignorait encore. Trente ans après, elle le sait.