La stratégie "zéro Covid" va-t-elle être abandonnée?

CORONAVIRUS - La déclaration de la task force de Singapour contre le Covid-19 est un revirement inattendu: “la mauvaise nouvelle est que le Covid-19 ne disparaîtra peut-être jamais. La bonne nouvelle est qu’il est possible de vivre avec”, ont...

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Un lit de soins intensifs dans un bateau de croisière singapourien, alors que le pays envisage de relancer son industrie touristique.

CORONAVIRUS - La déclaration de la task force de Singapour contre le Covid-19 est un revirement inattendu: “la mauvaise nouvelle est que le Covid-19 ne disparaîtra peut-être jamais. La bonne nouvelle est qu’il est possible de vivre avec”, ont déclaré trois ministres singapouriens ce jeudi 24 juin dans le Strait Times.

Singapour, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Taïwan, le Vietnam ou la Chine, était un pays dit “zéro Covid” : c’est-à-dire, appliquant une stratégie d’éradication du coronavirus, établie grâce à des confinements radicaux et massifs dès détection des 1ers cas, des fermetures très contraignantes des frontières, ou encore, des quarantaines surveillées pour les arrivées internationales dans des hôtels ou des camps militaires selon le pays.

Cette ligne est considérée par certains épidémiologistes comme la formule gagnante pour contenir l’épidémie. Mais alors que le variant delta est devenu prévalent dans la cité État d’Asie du Sud-Est, les autorités singapouriennes estiment désormais qu’il sera difficile d’atteindre un nombre nul d’infections. Elles ont donc imaginé un plan qui permettra de vivre normalement avec le virus. 

Il faut dire que depuis le mois de mai, tous les pays dits zéro Covid subissent des “pressions fortes du virus” explique au Huffpost Antoine Flahault épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale (ISG) à l’université de Genève qui est favorable à l’application du zéro Covid. Avec cette nouvelle vague, cette stratégie montrée en exemple par certains montre-t-elle ses limites ?

Le “zéro Covid” a marché...

Au 1er abord, cette résurgence du coronavirus dans les pays “zéro Covid” peut surprendre. C’est que la stratégie avait jusqu’à présent particulièrement bien fonctionné en Asie Pacifique. Avec le zéro Covid, Singapour peut s’enorgueillir d’un total de seulement 36 décès par Covid-19, le pays présente un taux de mortalité des centaines de fois inférieur à celui rapporté par la France. De bons résultats rendus possibles par la mise en place de mesures drastiques de contrôle et de suppression du virus.

“Le principe est d’agir très tôt durant l’épidémie, dès les 1ers cas”, analyse Antoine Flahault par l’instauration de quarantaines obligatoires, de la fermeture des frontières, d’un traçage des cas approfondi et de confinements pour une politique de tolérance zéro contre le coronavirus. Certains pays comme le Japon visent une application “moins dogmatique” du zéro Covid, tempère l’épidémiologiste, et entreprennent seulement de réduire au maximum la circulation du coronavirus.

Ces pays ont été célébrés pour leur bilan sanitaire, mais la faisabilité d’une généralisation du zéro Covid en Europe fait débat. Le zéro Covid s’est en effet avéré efficace dans des pays insulaires ou possédant des conditions climatiques favorables comme celles qui prévalent en Australie et en Nouvelle-Zélande. Et “prendre des mesures extrêmement drastiques est difficile dans des pays démocratiques” estime le professeur François Balloux qui dirige l’Institut de génétique de l’University college of London, contacté par le Huffpost

... jusqu’à ce que le virus revienne

Et les mesures prônées par la stratégie zéro Covid se sont avérées insuffisantes pour empêcher une nouvelle poussée de l’épidémie à partir de cas importés de l’étranger. Comme à Taïwan où le personnel navigant d’une compagnie aérienne de retour des États-Unis a rapporté le variant “Alpha” dit anglais sur l’île. Pour des raisons économiques, la durée d’isolement des pilotes de ligne et du personnel de bord avait été réduite à 3 jours, conduisant à l’émergence d’un foyer épidémique dans l’hôtel où ils logeaient.

Ainsi que le rapporte la BBC, l’illusion d’un sentiment de sécurité procuré par un contrôle “serré à l’extérieur, mais lâche à l’intérieur” du pays a conduit les autorités sanitaires à baisser la garde. En Australie, révèle Antoine Flahaut, c’est également par les hôtels de confinement et des ruptures des protocoles sanitaires que des introductions accidentelles du virus ont eu lieu.

La reprise de l’épidémie, bien que notable, reste cependant sans commune mesure dans les pays zéro Covid par rapport à l’Europe, tient à rappeler Antoine Flahault. “Le zéro Covid reste une stratégie gagnante”, insiste-t-il. Singapour ne compte en effet qu’entre 20 et 30 cas par jour, à comparer avec les 1800 contaminations quotidiennes en France dont le gouvernement se félicite.

Le piège du zéro Covid

Il n’en reste pas moins que la crise actuelle révèle une impasse à long terme: “la stratégie zéro Covid n’est pas compatible avec la libre circulation des personnes et une ouverture des frontières” analyse le professeur François Balloux.

Le zéro Covid est vraiment un équilibre instable. Même si l’on arrive à éliminer le virus localement, ce qui est très difficile, il y a toujours un risque d’introduction extérieur″, juge l’épidémiologiste. ”À moins qu’on puisse éliminer le virus au niveau mondial, le zéro Covid ne peut être qu’une stratégie transitoire.”

“Il existe une trappe dans laquelle se sont mis les pays zéro Covid c’est la fermeture des frontières, abonde Antoine Flahault. Je prône le contrôle des frontières, pas leur fermeture, car on a du mal à sortir de cette logique.”

C’est d’ailleurs ce que l’on constate avec l’Australie qui fait face à une nouvelle résurgence du coronavirus avec l’apparition sur son territoire du variant Delta, dit indien, plus transmissible. Après Melbourne, c’est maintenant Sydney qui doit reconfiner pour deux semaines, la ville ayant répertorié ces derniers jours près de 80 cas.  

Par quels moyens les pays zéro Covid pourraient rouvrir leurs frontières? Pour François Balloux cela doit passer par la vaccination, seule solution à même de procurer l’immunité nécessaire pour contrôler l’épidémie. Faute de quoi, ces pays seront condamnés à s’isoler à chaque reprise de la pandémie. Comme l’Australie qui n’a vacciné qu’à peine 4% de sa population ce qui le force à fermer le pays aux échanges internationaux jusqu’en 2022.

François Balloux explique ce retard vaccinal par un facteur psycholgique: “Les pays asiatiques et d’Océanie se sont sentis moins concernés par la vaccination” en raison d’un sentiment de sécurité qui a renforcé l’hésitation vaccinale.

“Une sortie de crise pérenne serait que le virus deviennent endémique comme la grippe saisonnière avec une morbidité relativement modeste”, déclare le professeur. Avec un virus endémique, les gens acquièrent une immunisation, ce que permet la vaccination. Quand ils seront réexposés au virus, ils auront des symptômes moins sévères.”

Se vacciner pour sortir du zéro Covid

Un pays zéro Covid qui a réussi cet objectif vaccinal pour sortir de l’isolement est justement Singapour.

La cité-État est l’un des rares pays zéro Covid à afficher un taux de vaccination élevé. Près de 36% de la population possède aujourd’hui un schéma vaccinal complet et les deux tiers des habitants devraient l’obtenir d’ici début août. Ce qui permettra selon les autorités de “dompter” le Covid-19 à défaut de l’éradiquer.

Dans cette situation, les autorités estiment que les malades pourront être soignés à domicile, car leurs symptômes seront moins sévères et leurs proches déjà vaccinés.

La politique de test et de quarantaine sera allégée étant donné le caractère bénin des symptômes. Au lieu d’employer une doctrine de tests de masse, des kits tests rapides seront proposés aux aéroports, aux bureaux, centre commerciaux et écoles ce qui permettra de les rouvrir plus largement. Plutôt que le nombre quotidien d’infections, c’est le nombre de cas graves en réanimation qui sera suivi. “C’est ainsi que nous surveillons la grippe” déclare le gouvernement singapourien.

À terme Singapour se rouvrira aux échanges internationaux avec la mise en place des passeports vaccinaux avec les pays qui auront également maîtrisé la pandémie.

Zéro Covid ou pas, tous les pays semblent désormais partager le même objectif: pour sortir de l’épidémie, il faut vacciner l’ensemble de leur population et permettre à terme la réouverture des frontières. Mais prévient Antoine Flahault, “si on ne vaccine qu’en Europe ou aux États-Unis, cela ne marchera pas, il y aura toujours de nouveaux variants potentiellement résistants aux vaccins qui vont apparaître. Si on veut sortir de l’ornière, il faudra vacciner toute la planète assez rapidement. On l’a fait avec la polio et la rougeole ou la variole.” 

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