La survalorisation du terme “haut-fonctionnaire” a fait du mal à l'ENA
L’hostilité envers l’État manifestée lors du conflit des “Gilets jaunes”, le caractère anti-État de certains de leurs slogans, n’appelaient pas comme réponse un simple changement de nom de l’ENA. Le président de la République a donc lancé une...
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L’hostilité envers l’État manifestée lors du conflit des “Gilets jaunes”, le caractère anti-État de certains de leurs slogans, n’appelaient pas comme réponse un simple changement de nom de l’ENA. Le président de la République a donc lancé une grande opération transformatrice sur la formation des fonctionnaires publics, en particulier sur la formation initiale.
Cette réforme institue un “Tronc commun” à l’ensemble des écoles de service public et un “ISP” (institut du service public) pilotant une école supérieure de type ”école de guerre” professionnalisant les hauts potentiels (que l‘ENA aurait pu porter depuis longtemps si l’État lui en avait donné les moyens); l’admission à cette dernière formation qualifiante conditionnerait l’accès à des emplois publics supérieurs.
C’est l’enjeu essentiel de cette réforme qui au-delà des lectures politiques observées ici ou là préparent les conditions de réussite du prochain quinquennat en ce qui concerne la réforme de l’État, au sens large, et subséquemment la réussite d’une action politique fondée sur un projet de société et des politiques publiques structurantes associées.
En effet l’État et l’ensemble de la sphère publique doivent être renforcés pour conduire les vastes transitions auxquelles notre société ne peut échapper. Il faut donc décupler l’efficacité de l’action publique, tout en assurant l’efficacité de la dépense publique.
D’abord qui sont les piliers administratifs de notre structure publique? De quelles fonctions managériales s’agit-il?
Dans toutes les filières métiers où la sphère publique est concernée en situation de monopole, par délégation du service public, ou lorsqu’elle est concurrencée par le secteur privé, il est indispensable de désigner les rôles et les responsabilités les plus importantes.
Depuis le milieu des années 80, et ce n’est pas faute de l’avoir dénoncé en son temps, les corps de contrôle et de juridiction sont plus que proportionnellement servis à la sortie de l’ENA en comparaison des administrateurs. Ce n’est pas dire que leurs besoins n’étaient pas justifiés c’est affirmer que les administrations n’étaient plus alimentées en cadres suffisants, en nombre et en qualité.
Une triple mutation doit être réussie:
- Identifier domaine par domaine, puis valoriser, les emplois de vraie responsabilité sociale
- Favoriser la relation entre l’Administrateur et le “Cœur de métier”
- Développer en interne la promotion des meilleurs au nom de l’égalité des chances
- Sur le 1er point un inventaire est à faire. Nombre de fonctionnaires et particulièrement ceux de l’encadrement de la fonction publique sont ignorés. Il n’y a pas de “Hauts-Fonctionnaires” mais des cadres supérieurs du secteur public.
Un chef de bureau d’administration centrale d’un ministère a-t-il plus de responsabilité que le proviseur d’un grand lycée ou qu’un directeur de recherche ou encore d’un chef de service dans un hôpital public, ou encore que d’ingénieurs de l’État en charge de dossiers lourds dans certaines collectivités territoriales?
Cette attribution et survalorisation du terme “haut-fonctionnaire” a fait du mal à l’École sans oublier cette situation ambivalente de concurrence et d’osmose entre l’ENA et Sciences-Po Paris qui prépare à passer un concours... mais pas à former des gens qui devraient avoir le sens de l’intérêt général.
Le sens de l’intérêt général ce n’est pas la sacralisation de l’État[1]. Le service public, service au public, a un vrai rôle social, une réelle épaisseur et vise à incarner ce que Hegel écrivait à propos de l’État: “l’État en tant qu’Esprit d’un peuple est en même temps la loi qui pénètre toutes les relations internes à ce peuple, la coutume éthique et la conscience des individus de ce peuple”. C’est l’intérêt général. [2]
Concrètement il faudra “peser” les postes au vu de leur intérêt social et de l’importance des responsabilités.
L’objectif est de renforcer toujours et encore le professionnalisme de l’État et de la sphère publique dans son ensemble. Non point des services publics soumis au règne de la quantité́ plutôt qu’à celui de la qualité́. Mais des services publics portant une acception large de la performance et développant des actions, toujours à partir d’approches globales et systémiques des situations. Un esprit d’ouverture et non un esprit de guichet.
- Sur le deuxième point, nous avons observé depuis de nombreuses années la difficulté à faire cohabiter la dimension managériale et la dimension “métier”. Que ce soit dans le secteur audiovisuel culturel, médical scientifique, les corporatismes ont joué et il a toujours été difficile de trouver le “bon manager” toujours stratège, qui comprend le “cœur de métier” et ses finalités et inversement l’Homme de l’art, le “sachant”, apte à manager. On peut penser que cette réforme atténuera les difficultés sans naturellement faire disparaître cette tension incontournable et sans doute fertile si elle est comprise et assumée.
- Enfin, il est impératif de détecter les hauts potentiels et de pouvoir les promouvoir pour les mettre en situation de mobiliser leurs talents et leurs expériences au bénéfice du service public. A cet égard, l’ENA ou l’organisme qui la remplacerait et les DRH professionnalisés dans les administrations devront travailler étroitement et concourir intelligemment à la gestion des talents. Au vu de l’éparpillement actuel des acteurs qui s’opère au détriment du rôle de toute grande école un travail conséquent reste à effectuer.
L’enjeu des prochaines transitions à conduire
Pour simple rappel, la conduite des transitions énergétique, écologique, sociétale, numérique, sanitaire, économique et financière, ou encore géopolitique, vont exiger une capacité d’adaptation phénoménale de l’État et des autres collectivités publiques. C’est-à-dire des femmes et des hommes du service public. Les contenus de la formation et les pédagogies employées seront donc cruciaux et finalement c’est le plus important. Les savoirs techniques, la culture générale et la culture scientifique et technique, le management, les aptitudes cognitives et les compétences relationnelles devront être convoquées. De même l’approche prospective, le management par les risques, l’intelligence économique devront être au rendez-vous des futurs apprentissages.
Concomitamment il faudra à la fois simplifier les structures et susciter l’émergence d’une nouvelle gouvernance. Ce qui signifie que la formation professionnelle continue ne doit pas être un angle mort de cette réforme d’envergure et que, même décentralisée, elle devra être pilotée de façon cohérente.
Cette ambition renvoie à une autre nécessité d’ordre politique, celle de faire émerger un certain consensus politique sur le projet de société que notre pays souhaite. A tout le moins l’accord causementaire autour de la LOLF doit pouvoir se renouveler sur un niveau d’ambition plus élevé encore celui d’un ordonnancement plus exigeant de notre sphère publique. L’émiettement des structures, les silos et le manque de transversalité, le retard dans la numérisation des services publics, ne pourront que déstabiliser les élèves sortant d’une formation établie sur de nouvelles conceptions. Nos administrations devront être apprenantes! Ouvertes sur leurs publics respectifs et capables de co-construire les solutions avec les publics concernés. Une synchronisation s’impose donc dans le rythme de ces réformes systémiques qui ne peuvent être confiées systématiquement à des entités imprégnées de schémas anglo-saxons du management et parfois hors-sol.
Avec des organisations adaptées à travailler en milieu complexe, avec des processus efficaces et surtout avec des fonctionnaires valorisés et responsabilisés et donc bien formés, notamment aux principes du service public, notre pays, avec son industrie, pourra retrouver son dynamisme et sa compétitivité.
[1] Cf. Le silence politique, Francis Massé ; Ouest-Éditions, 2000
[2] In Francis Massé, Urgences et lenteur, deuxième édition - Éditions Fauves ; 2020
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