“La Tourbière” et “Koban Louzoù” : la Bretagne vue à travers le regard singulier de Brieuc Schieb
La Tourbière et Koban Louzoù partagent d’abord un même territoire : la Bretagne. Le 1er se déroule lors du carnaval de Douarnenez et suit une bande d’amis en proie au deuil, alors que l’un de leur camarade est mort noyé lors des célébrations...
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La Tourbière et Koban Louzoù partagent d’abord un même territoire : la Bretagne. Le 1er se déroule lors du carnaval de Douarnenez et suit une bande d’amis en proie au deuil, alors que l’un de leur camarade est mort noyé lors des célébrations de l’an passé ; le second nous présente la jeune Audrey lorsqu’elle rejoint un chantier participatif dans un lieu isolé de la campagne bretonne. Dans les deux films, la grande attention du cinéaste apportée à l’environnement matériel de la narration réussit à faire de ce décor un territoire gorgé de fiction et d’imaginaire, loin de se limiter à une simple toile de fond anonyme.
Un fantastique diffus
Un terrain de foot municipal, des panneaux en décrépitude, les nuages et le ciel breton… Les deux films sont traversés par de nombreux plans de coupe contemplatifs, déconnectés de la narration proprement dite, mais qui permettent de créer une grande proximité sensorielle et affective avec les lieux. Il s’agit peut-être de la 1ère grande qualité de ces 1ers films : malgré leurs durées resserrées, ils n’hésitent pas à prendre leurs temps, à s’ouvrir à la temporalité propre d’un territoire sans asservir le découpage au scénario et à la narration. De cette disponibilité sensible particulièrement accueillante naît progressivement un fantastique diffus, presque mystique, où les traditions vernaculaires se mêlent à des légendes urbaines dans une forme syncrétique originale (La Tourbière) et où la campagne bretonne se met à évoquer l’imaginaire du conte ou même une forme de dystopie (Koban Louzoù).
Si la question du genre agite aujourd’hui bon nombre de jeunes cinéastes, celle-ci se réduit un peu trop souvent à un chapelet de références appuyées ou de tics formels, comme si l’imaginaire pouvait se limiter à une imagerie donnée. Au contraire, Brieuc Schieb fait preuve d’une foi profonde en la puissance évocatrice de l’image cinématographique, si bien que le surnaturel finit par perler soudainement au détour d’un plan a priori “réaliste”. Une simple action se met à charrier avec elle une dimension surnaturelle, comme lorsque le propriétaire du chantier de Koban Louzoù s’aventure de nuit dans les bois et s’enfonce progressivement dans la boue, transfigurant l’espace nocturne en décor fantasmagorique.
Faire communauté
Entre les fêtes populaires et les légendes urbaines de La Tourbière, ou les multiples histoires et anecdotes que l’on se explique au coin du feu dans Koban Louzoù, les formes mythologiques plurielles et foisonnantes convoquées par le cinéaste apparaissent comme un ciment culturel qui lie les individus. Avec son mode de vie communautaire et alternatif, Koban Louzoù interroge explicitement la notion de collectif, sans pour autant gommer les difficultés qu’elle pose. La belle idée du film consiste à ne pas filmer une communauté idéale figée, mais plutôt à rendre compte d’un processus par lequel les individus tendent progressivement à faire communauté. Ainsi, le film met en scène une parole flottante, traversée par des bégaiements, des autocorrections, parfois des crispations et de la gêne, créant régulièrement des suspensions comiques réjouissantes. En réunissant ou en dissociant les acteur·ices dans le cadre, l’élasticité du découpage saisit des moments fugaces de rapprochement ou de communion et épouse avec précision l’évolution des rapports entre les personnages avec un beau sens de l’épure.
Si le film se concentre sur Audrey, nous permettant de découvrir avec elle les règles de vie de ce chantier participatif, Brieuc Schieb reste attentif aux singularités de chaque personnage avec un regard à la fois pudique et assez tendre (même envers Aymeric, le propriétaire insupportable interprété par le cinéaste Virgil Vernier). Par exemple, la caméra suivra Baptiste, particulièrement timide et réservé au sein du groupe, lors d’une promenade solitaire dans la nature, donnant lieu à l’un des plans les plus beaux et mélancoliques du film, où son visage se reflète dans l’ondulation d’une rivière. En moins d’une heure, le réalisateur réussit alors à saisir de manière très fine le fonctionnement complexe d’un groupe, et convoque en creux une idée politique puissante, selon laquelle le collectif ne saurait se réduire en une communauté absolument unifiée mais doit faire droit à la pluralité humaine qui distingue chaque individu.
La Tourbière et Koban Louzoù, de Brieuc Schieb, en salle le 3 janvier