L'affaire Mila rappelle à quel point le cyberharcèlement est difficile à punir

CYBERHARCÈLEMENT - Ils étaient des dizaines de milliers à y participer, ils ne sont pourtant que treize à être jugés. Le procès des cyberharceleurs de la jeune Mila s’ouvre ce jeudi 3 juin au tribunal judiciaire de Paris. Les prévenus, âgés...

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L'affaire Mila nous rappelle à quel point le cyberharcèlement est difficile à punir (Photo prétexte par Westend61 via Getty Images)

CYBERHARCÈLEMENT - Ils étaient des dizaines de milliers à y participer, ils ne sont pourtant que treize à être jugés. Le procès des cyberharceleurs de la jeune Mila s’ouvre ce jeudi 3 juin au tribunal judiciaire de Paris. Les prévenus, âgés de 18 à 30 ans, sont tous renvoyés devant le tribunal correctionnel pour harcèlement en ligne, certains étant également jugés pour menaces de mort, et l’un d’entre eux pour menace de crime. Deux d’entre eux ont formulé des demandes de renvoi, qui seront examinées à l’ouverture de l’audience à 13h30, a appris l’AFP auprès de plusieurs avocats.

Pour rappel, Mila, âgée de 16 ans lors du début de l’affaire en janvier 2020, avait posté une vidéo sur sa story Instagram en tenant des propos insultants envers l’islam. À la suite de quoi -et après une deuxième vidéo en novembre- l’adolescente a reçu plus de 50.000 messages de menaces de mort et de viol, annonçait son avocat, Me Richard Malka, en novembre 2020.

Ce jeudi, seuls treize auteurs de menaces sur les dizaines de milliers recensées vont en répondre devant la Justice. Les jeunes hommes et femmes jugés sont renvoyés en majorité pour un unique message envoyé parmi les milliers d’insultes et menaces reçues par Mila à l’automne via les réseaux sociaux après la seconde vidéo. Un nombre dérisoire qui rappelle à quel point il est difficile de poursuivre et punir le harcèlement en ligne, surtout quand il s’agit de “raid numérique” ou de harcèlement dit de “meute”. 

Des dizaines de milliers de harceleurs, une poignée de condamnés

Et l’affaire Mila n’est pas la 1ère affaire de cyberharcèlement dont s’empare la Justice - même si, comparé au nombre de cas de harcèlement sur la toile, seul un nombre infime parvient à arriver jusqu’à la barre.

On se souvient notamment du cas de la journaliste Nadia Daam qui, après avoir critiqué le forum “Blabla 18-25 ans” du site Jeuxvideo.com en novembre 2017, a subi une violente campagne de harcèlement pendant plusieurs mois: réception de centaines de menaces de meurtre et de viol, divulgation de l’adresse de son domicile et du collège de sa fille, tentatives de piratage de sa boîte mail et de divers comptes personnels. Quelques mois plus tard, en juin 2018, seuls trois des cyberharceleurs de la journaliste ont été condamnés à six mois avec sursis et 2000 à 5000 euros d’amende. 

À quelques semaines près, ces faits auraient pu tomber sous la loi du 3 août 2018 qui consacre la lutte contre le cyberharcèlement de groupe et les raids numériques. “Jusqu’alors, une personne qui envoyait un seul message de menace ne pouvait pas être poursuivie pour cyberharcèlement. Même si des dizaines de personnes différentes en envoyaient un seul, [ce que l’on appelle un raid numérique, NDLR], elles n’auraient pas été inquiétées”, explique au HuffPost Denis Jacopini, expert en informatique, spécialiste en cybercriminalité et protection des données.

La loi du 3 août 2018 a changé la donne. L’affaire Marvel Fitness en septembre 2020 en a été l’exemple. Cette affaire a été l’une des 1ères de cyberharcèlement de meute, une notion du droit français encore toute neuve, et qui a conduit à l’une des 1ères condamnations pour ce motif. Pour rappel, trois hommes et six femmes, dont l’avocate d’une des victimes devenue elle-même cible de cyberharcèlement, ont porté plainte contre le youtubeur Marvel Fitness, de son vrai nom Habannou S. Il était accusé d’avoir envoyé plusieurs milliers de messages d’insultes pendant près de trois ans aux plaignants et surtout, d’avoir incité ses abonnées (plus 150.000 sur YouTube) à en faire de même. Le procès s’est conclu par une peine de 2 ans de prison pour Marvel Fitness, dont un an ferme, et 10.000 euros d’amende. 

C’était la 1ère fois en France qu’une personne était condamnée à de la prison ferme pour une affaire de cyberharcèlement de meute, selon l’avocat spécialiste Thierry Vallat, cité par 20 Minutes. Mais si l’instigateur des menaces a été condamné, ce n’est pas le cas de ses fans qui ont suivi ses appels au harcèlement. 

De la difficulté de prouver l’identité d’un cyberharceleur

Et pour cause, cela reste très compliqué d’identifier formellement un cyberharceleurs pour le traduire en justice. Pour cela, Denis Jacopini n’est pas surpris par le petit nombre de prévenus dans l’affaire Mila. “Ce ne serait d’ailleurs pas très étonnant que seuls deux ou trois des accusés soient finalement vraiment condamnés”, note-t-il.  

Revenons sur ce que dit, en substance, la loi de 2018. Seront punis les raids menés à des fins de cyberharcèlement dès lors que ces derniers auront des motivations sexuelles ou sexistes. L’ensemble des membres du groupe incriminé écoperont d’une sanction, et ce même sans avoir agi de façon répétée. Un seul message dans une opération de masse peut ainsi servir de base à une sanction pénale, même en l’absence de concertation. Reste au juge de déterminer l’existence de messages, d’actions multiples ou d’une coordination entre les différents auteurs du raid.

Voilà où le bât blesse: sur internet, comment prouver qu’un individu est bien l’auteur d’un message? “C’est le problème principal dans les affaires de cyberharcèlement, s’il y a le moindre doute sur l’identité réelle du cyberharceleur, il ne peut pas y avoir de jugement. Ce serait prendre le risque de condamner un innocent”, nous explique Denis Jacopini. Ainsi, les personnes qui se retrouvent condamnées “sont celles qui n’ont pas pris de précautions et sont arrivées avec leurs gros sabots”, ajoute-t-il. 

L’usurpation d’identité est très facile sur internet et il est très compliqué d’avoir la certitude qu’un message a bien été envoyé par le titulaire du compte. Soit. Des recherches approfondies sont nécessaires pour tracer les adresses IP, trouver des preuves, virtuelles et physiques de la culpabilité des personnes. Mais là aussi, le chemin est semé d’embuches.

Le chemin de croix pour obtenir une réponse judiciaire 

Dans un cas de raid informatique, il reste très compliqué de porter plainte contre tous les cyberharceleurs, à fortiori s’ils sont plusieurs centaines, voire des milliers. Et en admettant que la victime y arrive, il faut attendre que la police fasse les recherches adéquates pour confirmer les identités. “Mais le cyberharcèlement passe après les affaires de terrorisme et de pédophilie, pédopornographie, donc ces affaires sont généralement classées sans suite”, souligne l’expert en cybercriminalité.

Enfin, il est possible de faire appel à des professionnels privés, aux frais de la victime ou en passant pas un conseil juridique, pour enquêter sur harceleurs. Mais là aussi un écueil peut très vite se présenter: le refus de coopérer de certains pays pour partager les données des personnes recherchées. “Si l’auteur de l’un des messages passe par une plateforme étrangère qui est dans un pays qui ne fait pas partie de la Convention de Budapest (Convention sur la cybercriminalité), alors ce pays ne coopérera pas pour dévoiler les données recherchées”, nous explique Denis Jacopini. Or seuls soixante pays dans le monde ont ratifié cette convention.

Ce chemin de croix pour obtenir justice, la youtubeuse et comédienne Marion Seclin y a fait face. À la suite de la diffusion d’une vidéo sur le harcèlement en mai 2016 sur le site Madmoizelle, la réalisatrice avait reçu une vague d’insultes et de commentaires haineux sur Internet. Plus de 40.000 selon elle. Ce cas de harcèlement sur Internet a mis en avant cette année-là l’impunité dont disposaient les harceleurs, tant elle s’est retrouvée démunie avec peu de recours possibles. En décembre 2017, elle témoignait lors d’une conférence TEDx de la difficulté d’obtenir une réponse judiciaire au cyberharcèlement:

“C’est pas moi contre 40.000 personnes, c’est moi contre une personne plus une personne plus une personne... J’ai pas le temps, ni l’énergie, ni les moyens de porter plainte contre 40.000 pseudonymes. Vous avez déjà porté plainte contre quelqu’un? Vous connaissez les démarches administratives pour porter plainte contre quelqu’un en France? C’est très long. Donc, imaginez 40.000 personnes”.

Des cyberharceleurs qui ont agi ”à chaud”

Depuis, un pôle national de lutte contre la haine en ligne a été mis en place en janvier 2021. “Il se saisira des cas les plus complexes et les plus médiatiques”, note Dalloz-Actualité. C’est ce nouveau pôle qui a repris l’enquête dans l’affaire Mila, menant au placement en garde à vue des prévenus.

Athées, catholiques ou musulmans, ces jeunes gens très actifs sur les réseaux sociaux et pour la plupart sans antécédent judiciaire ont en majorité reconnu être les auteurs des messages et dit les “regretter”. Devant les enquêteurs, ils ont expliqué avoir agi ”à chaud” sous le coup de la “colère” ou “choqués” par les propos virulents de Mila.   

Les prévenus encourent deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende pour le harcèlement en ligne, trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende pour les menaces de mort. Deux personnes ont déjà été condamnées à des peines de prison pour avoir menacé de mort Mila. 

À voir également sur Le HuffPost: Face aux “nudes” et au cyberharcèlement, comment Aliya se bat pour trouver des solutions