Las Vegas, la ville fantôme du début de la pandémie, redevient "Sin City" [REPORTAGE]

ÉTATS-UNIS - S’il était téléporté à Las Vegas en ce début de mois d’avril, le touriste français aurait l’impression d’évoluer dans une réalité parallèle. Alors que la France affronte actuellement une redoutable troisième vague et que presque...

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Une vue générale du Strip à Las Vegas, le 6 avril 2021.

ÉTATS-UNIS - S’il était téléporté à Las Vegas en ce début de mois d’avril, le touriste français aurait l’impression d’évoluer dans une réalité parallèle. Alors que la France affronte actuellement une redoutable troisième vague et que presque tous ses commerces et lieux de loisirs sont encore fermés, dans la “ville du péché” (“Sin City”), pour les résidents locaux, touristes américains et expatriés étrangers, tout y est (presque) possible, comme avant le début de la pandémie de Covid-19: manger au restaurant ou boire un verre dans un bar en intérieur, visiter un musée, se baigner à la piscine, jouer au casino à toute heure du jour et de la nuit, faire du shopping et même aller dans une discothèque extérieure.

Finalement, ce qui change avec le “monde d’avant”, c’est la présence remarquable des grandes vitres de plexiglas entre chaque joueur aux tables de jeu, le port du masque obligatoire et les consignes sanitaires affichées un peu partout. Mais ici, il n’est pas rare de croiser des groupes ou familles entières le visage nu. Les températures désertiques élevées (jusqu’à 30 degrés en ce printemps), la consommation parfois excessive d’alcool et la sensation euphorisante d’évoluer dans un parc d’attractions pour adulte y sont sans doute pour quelque chose. Même si la campagne de vaccination américaine file à toute vitesse (34,5% de la population avait reçu au moins une dose au 9 avril), toute cette activité frénétique sur place, des comportements qui se relâchent ou une absence totale de gestes barrières chez certains visiteurs posent toutefois des questions. 

Retour en arrière, mars 2020. Alors que le 15 de ce mois signe le début d’un confinement très strict et inédit dans de nombreux pays et villes du monde, Las Vegas n’échappe pas à la règle. La ville de 650.000 habitants (2,2 millions avec l’agglomération) va elle aussi se recroqueviller, au point que son célèbre Las Vegas Boulevard, mondialement connu sous le surnom du “Strip”, va devenir complètement fantôme, comme le relatait un reportage de France 2 mi-avril. Une vision surréaliste pour ce boulevard de 7 kilomètres, qui comprend une trentaine d’hôtels-casinos et dont certains sont classés parmi les plus grands du monde. D’autant plus surréaliste, car la plupart des ces établissements n’avaient parfois pas fermé leurs portes une seule minute depuis plusieurs décennies.

“Sur le Strip, j’ai pu voir des scènes impressionnantes avec un trafic automobile quasi nul et des habitants qui se sont réapproprié cette artère centrale avec des balades en famille à vélo, en roller, des joggeurs et même des gens à cheval!”, se souvient Laurent Garrigues, un journaliste français installé à Las Vegas depuis deux ans. “On a même eu des animaux, des oies sauvages et des canards, qui s’y sont promenés. Du jamais vu...”

Une vue du Strip durant le confinement, le 25 mars 2020.

34% de chômage en avril 2020

À Las Vegas, qui vit 24 heures sur 24, où l’on peut par exemple d’ordinaire tout naturellement croiser un employé de casino faisant ses courses à 4 heures en pleine nuit après son “shift”, un couple de retraités installé à une machine à sous à 7 heures du matin, gobelet de café à la main, ou des groupes de fêtards alcoolisés dès le début d’après-midi, l’arrêt est brutal.

Encore plus pour les milliers d’employés des hôtels et casinos qui vont être licenciés en masse presque instantanément, le chômage partiel restant une mesure inconnue aux États-Unis. En avril 2020, le taux de chômage est ainsi monté jusqu’à 34% dans la ville, dont plus d’un emploi sur deux dépend des 150.000 chambres d’hôtels et des casinos qu’elle abrite.

Mais il était difficile qu’une telle ville puisse rester portes closes bien longtemps. Dès le mois de juin 2020, après le passage de la 1ère vague épidémique et onze semaines de confinement, de 1ers établissements ont très progressivement rouvert leurs portes. Au départ, seulement quelques centaines de touristes présents, dans une ville qui en accueille entre 35 et 40 millions par an.

Malgré tout, les six derniers mois de cette année 2020 si traumatisante ne verront pas revenir en nombre les visiteurs. “Jusqu’au mois de décembre, on n’a vraiment eu personne sur le Strip comparé à d’habitude. Mais depuis trois semaines, il y a vraiment beaucoup de monde”, témoigne une “showgirl” -qui se fait prendre en photo toute la journée avec son stupéfiant costume à plumes- rencontrée mardi 6 avril devant le Planet Hollywood.

“L’activité a repris à partir du mois de février, avant c’était vraiment très calme”, confirme une vendeuse de la boutique Havaianas située sur la rue piétonne très empruntée menant au High Roller, la grande roue qui domine Las Vegas.

Même son de cloche chez un employé des jeux du Paris Las Vegas, le casino hébergeant une réplique à taille réduite de la tour Eiffel. “Ça repart depuis un ou deux mois, notamment le week-end où il y a beaucoup plus de touristes. La semaine, il y a aussi du monde, mais on n’est pas encore revenu à une activité similaire d’avant pandémie”.

Un tour sur n’importe quel site de réservation d’hôtel vient appuyer ces propos. Une nuitée simulée une semaine à l’avance pour le mardi 13 avril sur le site de Booking proposait par exemple de dormir au Luxor pour 24 euros, au Flamingo pour 30 euros ou au New York New York pour 33 euros. Pour le week-end du 17-18 avril, les prix de ces mêmes nuitées dans ces établissements quintuplent ou sextuplent... Sur le mois de février, le taux d’occupation global dans les hôtels était remonté à 42%, note par ailleurs le LA Times.

Des seniors qui reviennent aux tables de jeu

“Nous avons constaté un afflux de visiteurs. La tendance s’est véritablement inversée à partir du mois de janvier”, témoigne auprès du site Clubpoker.net un propriétaire de plusieurs enseignes du quartier de Downtown, situé au nord du Strip. “Depuis, chaque semaine a vu une progression. Je dirais même que les week-ends, nous sommes de plus en plus proches des niveaux antérieurs à la pandémie.”

“Notre ville fourmille à nouveau! De plus en plus de personnes prennent l’avion (pour Las Vegas)”, s’enthousiaste de son côté le community manager du compte Twitter de l’aéroport de la ville, McCarran Airport.

“Je ne pensais pas que beaucoup de gens seraient ici. Mais ils le sont”, résume bien un touriste américain auprès du LA Times.

La foule en divers endroits de la ville, le 6 avril 2021.

Dans les nombreux restaurants présents dans les hôtels, il n’est pas rare non plus -même en semaine- de ne pouvoir diner sans réservation préalable, ou d’attendre une heure qu’une table se libère à l’heure de pointe. Notons ici que tous les restaurants de la ville ne sont pas encore ouverts et que la capacité d’accueil reste pour le moment réduite à 50%.

Un restaurant en intérieur au Venetian, le 6 avril 2021.

“Nous avons plus de monde aussi sûrement, car les gens commencent à être vaccinés”, avance encore l’employé de jeux du Paris Las Vegas. Depuis le 5 avril, la vaccination est ouverte à toutes les personnes de plus de 16 ans dans le Nevada. Au Texas, elle l’est depuis la fin mars et le sera à partir de mi-avril en Californie, l’État voisin qui draine la grande majorité des visiteurs américains à Vegas.

“Aujourd’hui est un grand jour dans notre lutte contre le Covid-19 - les 16 ans et plus sont éligibles pour prendre un rendez-vous pour le vaccin. Soyez patient lorsque vous cherchez un rendez-vous - nous sommes toujours limités par l’allocation que nous recevons du gouvernement fédéral.”

Les seniors, une part importante des visiteurs, affluent de nouveau aux tables de jeu après avoir pour la plupart déjà reçu leur vaccin. “Au fur et à mesure, de plus en plus de clients âgés ayant été vaccinés se sentent plus à l’aise pour sortir de chez eux... Cela signifie à coup sûr qu’ils recommenceront à sortir et à retourner dans leurs casinos préférés”, estime un spécialiste du secteur du jeu dans le Las Vegas Review Journal, qui a aussi collecté des témoignages de retraités de retour aux tables de jeu.

Si l’on peut effectivement observer des personnes de plus de 65 ans bien présentes aux tables de jeu et surtout aux machines à sous, en cette deuxième semaine d’avril, la majeure partie des clients et touristes présents dans les casinos restent des personnes en dessous de cette tranche d’âge: familles, couples dans la trentaine et groupes de vingtenaires en “virée” sur Vegas.

Toutes les machines à sous ont été rallumées

Pour cette part importante de personnes encore non vaccinées, alors que le virus circule toujours activement, la tentation de s’asseoir pour tâter les cartes ou les jetons en vue de remporter le jackpot reste bien la plus forte. 

À toute heure, les tables de craps, un jeu de dés se disputant sur une énorme table et très apprécié des Américains, se remplissent rapidement.

Une table de craps au Flamingo, le 6 avril 2021.

Les “poker rooms”, si elles n’ont pas encore rouvert dans chaque casino, ont elles retrouvé leurs joueurs, dont beaucoup sont professionnels et vivent à Las Vegas à l’année. Lundi 5 avril dans la soirée, entre un tournoi à 200 dollars le droit d’entrée et les parties de “cash game” à plusieurs limites de mise possible, une vingtaine de tables dédiées au jeu de cartes -à raison de 8 joueurs par table- étaient occupées au Venetian, le plus grand hôtel du monde avec ses 7000 chambres et sa réplique de Venise en Italie.

Si à la réouverture des 1ers casinos en juin 2020, une machine à sous sur deux avait été débranchée pour permettre d’assurer la distanciation physique des joueurs, dix mois plus tard, on constate que ce n’est plus le cas: toutes les machines sans exception ont été rallumées.

Dans toute cette surexposition de lumière, musique et cliquetis permanents faits pour attirer le joueur dès qu’il sort de sa chambre, où les horloges sont inexistantes afin de le laisser le plus longtemps dépenser son argent, celui-ci est sans doute rassuré de voir que tout est mis en œuvre pour freiner au maximum le virus: paroi de plexiglas entre chaque joueur, gel hydroalcoolique présent un peu partout ou employés de ménage désinfectant régulièrement sièges et machines.

Les croupiers et employés de jeux ont déjà été ou sont en train d’être vaccinés, comme les 3500 du groupe MGM Resorts, qui ont pu recevoir une 1ère dose fin mars, rapporte le Las Vegas Review-Journal.

D’autres signes d’effervescence retrouvée ne trompent pas à “Sin City”. Il faut par exemple de nouveau faire la queue pour se faire prendre en photo sous le fameux panneau “Welcome to Las Vegas” planté à l’entrée du Strip.

Des touristes attendant de se faire photographier sous le panneau

Un nouvel hôtel casino a par ailleurs ouvert récemment, le Circa, avec son écran géant impressionnant pour regarder des matches depuis... la piscine, et un autre, le Resorts World Las Vegas, un projet à 4,3 milliards de dollars avec ses 3500 chambres et une piscine à débordement sur le toit, qui accueillera ses 1ers clients en juillet. Des petits événements en soi étant donné que l’ouverture de nouveaux établissements dans la ville demeure loin d’être fréquente, face à une concurrence déjà importante et féroce.

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Le Pinball Hall of Fame, un lieu unique au monde qui héberge une collection de 170 flippers, va lui déménager dans les jours qui viennent sur le Strip alors qu’il se trouvait jusque-là sur une de ses artères perpendiculaires, bien moins en vue. Le lieu va surtout presque quadrupler le nombre de ses pièces exposées, pour atteindre 700 flippers, et attirer bien plus de visiteurs avec son nouvel emplacement géographique.

Au Pinball Hall of Fame, le 5 avril 2021.

250 personnes maximum par spectacle

Au Museum of Neon Art, un autre lieu des plus insolites où l’on peut observer des néons iconiques des anciens motels et hôtels de la ville, les visites guidées s’enchaînent toutes les 15 minutes pour des groupes d’une vingtaine de personnes.

Les spectacles, une autre spécialité de la ville, ont aussi repris depuis le 15 mars avec une capacité d’accueil de 50%, dans la limite de 250 personnes par show. Les spectateurs peuvent par exemple de nouveau aller voir le magicien David Copperfield au MGM Grand, où 90% des places en moyenne ont déjà été vendues pour toutes ses représentations sur les quatre prochaines semaines.

Les clubs et discothèques commencent eux a rouvrir très progressivement, comme l’Omnia et le Hakkasan qui proposent des soirées les vendredis et samedis, sur leur terrasse, uniquement sur réservation et avec un nombre limité de personnes.

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La fête va même prendre de l’ampleur au mois de mai après l’annonce officielle de l’organisateur de l’Electric Daisy Carnival (EDC), qui se tient chaque année sur le Las Vegas Motor Speedway. Ce festival de musiques électroniques, qui rassemble les plus célèbres DJs du monde, se tiendra cette année du 21 au 23 mai, avec des restrictions et mesures sanitaires qui seront annoncées ultérieurement.

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Au rayon sportif, la franchise de hockey sur glace des Vegas Golden Knights évolue désormais devant 4000 spectateurs à chaque match à la T-Mobile Arena, soit environ 25% de la capacité totale de l’enceinte.

Les championnats du monde de poker (WSOP, World Series of Poker), cette grand-messe annuelle d’une cinquantaine de jours avec des joueurs de poker du monde entier, dont le directeur est un Français -Grégory Chochon- et qui se tiennent habituellement en juin et juillet, ont été décalés du 30 septembre au 23 novembre (sous réserve de validation définitive).

Un rebond d’infections inévitable?

Enfin, pour les salons, conventions et congrès qui s’échelonnent toute l’année à Las Vegas, la reprise paraît plus lointaine pour le moment. Le Consumer Electronics Show (CES), l’un des grands rendez-vous annuels de la tech, s’était tenu entièrement en ligne en janvier.

Mardi 6 avril, dans la soirée, Downtown Las Vegas. Dans l’autre point névralgique de la ville, situé au nord du Strip, bat le cœur historique de Vegas. Sur Fremont Street, sont concentrés certains des plus vieux casinos de la ville, comme le Binion’s Horseshoe, ouvert depuis 1951. Pour beaucoup, l’ambiance y est plus authentique que sur le Strip, les enjeux aux tables un peu moins élevés et la clientèle plus locale. Ce cocktail semble toujours fonctionner en temps de pandémie comme on peut le constater ce soir-là. La foule déambule joyeusement au milieu des spectacles de rue, la plupart un verre à la main, naviguant avec insouciance de casino en casino. À l’intérieur de ceux-ci, la très grande majorité des machines à sous ou tables de jeu sont occupées. De temps en temps, de grands cris se font entendre, synonymes de coup gagnant ou (petit) jackpot décroché.

Dans le quartier de Downtown, sur Fremont Street, le 6 avril 2021.

Dans ce fracas perpétuel de bruits, cliquetis et néons agressifs, au milieu des grands éclats de rires, des visages épanouis et de la descente d’alcool plus facile qu’ailleurs, la pandémie semble ici noyée, presque évaporée malgré les panneaux de plexiglas, les employés qui désinfectent en permanence et les rappels aux règles sanitaires affichées un peu partout.

Plus les heures de la soirée passent et plus les comportements se relâchent, les masques sanitaires tombent, les tables se remplissent et les jetons et cartes passent de main en main, dans des lieux pour la plupart fermés avec la climatisation qui tourne souvent à fond. Ce qui soulève beaucoup de questions quant à un possible rebond des infections sur place -déjà légèrement constaté depuis fin mars à l’échelle du pays-, malgré la rapidité de la vaccination.

C’est là que le bât blesse. Aux États-Unis, le problème central demeure en réalité le pendant négatif d’une campagne de vaccination menée tambour battant: la population relâche ses efforts pour respecter les gestes barrières et la distanciation sociale, cela conjugué avec l’arrêt trop précoce des restrictions de déplacements, de rassemblements et d’ouvertures de commerces et lieux de loisirs. Exactement ce que l’on est en train de vivre en ce moment à Las Vegas.

Ville complètement fantôme durant les trois 1ers mois de la pandémie, puis de nouveau excentrique et “crazy” alors que la circulation du virus est toujours active dix mois plus tard, décidément, Las Vegas demeurera toujours un endroit unique au monde.

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