Lassée des pubs pour culottes menstruelles et articles pour bébé, j’ai changé de genre sur Facebook - BLOG
GENRE - Deux ans après mon mariage, toutes mes amies se sont mises à faire des enfants, même celles qui ne semblaient pas particulièrement prêtes pour la maternité. Facebook est devenu une sorte de procession de messages annonçant des grossesses,...
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GENRE - Deux ans après mon mariage, toutes mes amies se sont mises à faire des enfants, même celles qui ne semblaient pas particulièrement prêtes pour la maternité. Facebook est devenu une sorte de procession de messages annonçant des grossesses, suivis de photos de ventres arrondis, puis d’albums de nourrissons en grenouillère photographiés mois par mois, et enfin de vidéos des 1ères fois où ils rampaient ou marchaient.
Il m’est arrivé d’acheter de jolies serviettes à motifs animaliers, de décorer des grenouillères avec de la peinture gonflante et de grignoter des M&Ms couleur pastel lors de fêtes prénatales. Mais comme la plupart de mes amies vivaient dans des villes et des États éloignés, ma participation à leur grossesse et leur maternité restait principalement virtuelle, et Facebook était la plateforme privilégiée pour annoncer ces grands événements de la vie.
Je likais ces photos de bébés en signe de soutien. Mes amies étaient occupées à trouver leur équilibre entre leur nouveau statut de mère et les nuits sans sommeil, les congés parentaux insuffisants et la quête d’une crèche ou d’une assistante maternelle abordable, l’équation impossible que représente le fait d’élever un enfant. Je voulais qu’elles sachent que je pensais à elles.
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Les femmes ne comptent que lorsqu’elles ont leurs règles ou un enfant
Et puis des publicités d’articles pour bébés et de culottes menstruelles ont commencé à se glisser dans mon fil d’actualités. Pas de manière sporadique, mais quotidienne. Les culottes à elles seules restaient relativement inoffensives, mais leur juxtaposition constante avec les articles pour bébés suggérait quelque chose de plus sinistre. C’était comme si, pour les annonceurs, et peut-être aussi pour la société dans son ensemble, les femmes ne comptaient que lorsqu’elles ont leurs règles ou un enfant.
Je n’ai jamais ressenti le besoin de porter les bébés des autres, d’humer la tête d’un nouveau-né, ou de faire des grimaces à un enfant curieux. Si je pouvais avoir les larmes aux yeux devant les vidéos de bébés animaux dans un zoo ou d’animaux en voie de disparition, les bébés humains déclenchaient plutôt des réactions inverses. Je ne voulais pas d’enfants et, en tant qu’autrice, je craignais de leur en vouloir d’empiéter sur mon temps de création. J’adore mes chiens, mais j’aime aussi le fait de pouvoir les faire sortir dans la cour quand j’ai besoin de me concentrer.
J’ai trouvé une partenaire sur la même longueur d’onde. Chaque fois qu’on nous demandait quand nous aurions des enfants (une question qu’on ne devrait plus poser, pour différentes raisons), nous répondions que nous préférions être les tantes excentriques. Nous n’étions pas tenues de fournir une explication, mais cela semblait les calmer un peu.
Plus les gens m’interrogeaient sur le taux d’occupation potentiel de mon utérus, la question étant de savoir quand et non pas si cela se produirait, plus mon désintérêt pour la maternité tournait au mépris envers tous ceux qui partaient du principe que ce n’était qu’une question de temps.
Je pestais intérieurement contre ce préjugé ridicule, si largement partagé, qui veut que toutes les femmes souhaitent avoir des enfants, et voilà que les publicités ciblées s’y mettaient aussi. J’ai écrit à Facebook que ces publicités n’étaient pas pertinentes, en espérant que cela mettrait fin au cycle. Mais chaque fois que je me connectais, je voyais des annonces pour culottes menstruelles ou équipements pour bébé (vêtements, baby phones, et autres). Cela me faisait penser à ces membres de ma famille qui me répétaient: “Tu changeras d’avis avec l’âge”, comme si une vie sans enfant, au même titre que l’homosexualité, n’était qu’une phase qui s’achèverait lorsque je me conformerais aux attentes de la société.
Je n’ai pas eu de mal à me débarrasser des catalogues imprimés et des publicités en ligne, mais celles des réseaux sociaux étaient coriaces. Elles apparaissaient dans mon fil d’actualités et ressemblaient à s’y méprendre aux messages que je voulais voir. En faisant défiler les nouvelles publications de mes amis, j’absorbais inconsciemment ces messages toxiques.
Je n’étais pas dupe. Toutes les femmes ne désirent pas d’enfants, et toutes n’ont pas leurs règles. Toutes les personnes qui ont des règles ne se voient pas comme des femmes. Cette expérience soi-disant universelle n’avait en fait rien d’universel. J’aurais bien voulu rire de ces messages réducteurs, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’être agacée, et je le vivais comme une défaite personnelle. Cette binarité avait beau être stupide, cela ne m’empêchait pas d’en être prisonnière.
J’ai envisagé de me désinscrire de Facebook, mais j’ai eu peur de m’éloigner encore plus de mes amis qui vivent loin de moi. J’ai pensé à ne plus liker les photos de bébés, cause probable de ces publicités, mais cela aurait signifié laisser l’algorithme modifier mon comportement. Ça n’allait pas non plus.
Et si je n’étais plus assimilée à une femme?
J’avais coché la case “F” lors de mon inscription sur Facebook, à l’époque où il n’existait que deux options, pestant en silence contre ce choix obligatoire du genre.
Le féminin était une expérience culturelle dont je me sentais proche mais que je ne voyais pas investir exclusivement. Ce n’était pas qu’une question d’enfants. J’étais queer et ne me conformais à aucun genre. Je portais des vêtements d’homme, des coupes de cheveux androgynes maison et ne me rasais qu’une fois par an.
Chaque fois que mes amies cisgenres et hétérosexuels partageaient des anecdotes sur leurs relations, par exemple en interprétant le caractère légèrement possessif d’un petit ami comme une preuve d’amour, ou s’offusquaient s’il admettait, à sa demande à elle, qu’il trouvait une autre femme séduisante, leur résumé de la situation, digne d’une Carrie Bradshaw dans Sex and the City, me laissait perplexe. “C’est ça, ce que pensent les femmes?” me demandais-je avant de me réjouir d’être gay. Mes relations n’étaient pas parfaites, mais elles ne fonctionnaient pas selon le principe du donnant-donnant que les hétérosexuelles tendaient à déployer.
Dès mon adolescence, mes amies organisaient des discussions solennelles pour m’encourager à ressembler à, et me comporter comme, une fille: me raser les jambes, porter du maquillage ou des vêtements féminins au lieu des pantalons baggy et des marcels, etc. Je m’y étais pliée parce que je pensais que je devais le faire, mais il y avait toujours quelque chose qui clochait dans la mise en scène de ma féminité. Je n’entrais pas dans cette case.
Le problème, c’est que je ne rentrais dans aucune case. Pendant un temps, j’ai pensé que j’étais juste un garçon manqué, que je me sentais euphorique parce que je faisais des “trucs de mecs” comme sauter par-dessus la portière de la vieille décapotable d’un ami ou porter des slips pour homme. Mais je n’ai jamais été vraiment masculine. Et je ne voulais pas être un homme.
Tandis que mon apparence physique devenait de plus en plus masculine, mon expérience intérieure du genre se rapprochait de l’ambivalence. En fait, je me sentais sans genre et libérée des genres.
Mon profil Facebook indiquait toujours que j’étais une femme parce que je ne m’identifiais pas activement aux autres options. Ils ou elle, non-binaire ou bigenre ou genderqueer, rien ne me correspondait. Facebook proposait désormais un champ de genre personnalisé. On pouvait taper tout ce qu’on voulait et on obtenait automatiquement des suggestions pertinentes. J’ai trouvé que la catégorie “genre non-conforme” exprimait une position affirmée, alors je l’ai adoptée.
Même si je ne m’attendais pas à ce que ce changement de genre sur les réseaux sociaux ait d’autres effets que d’apaiser ma frustration, les publicités toxiques ont cessé. Du jour au lendemain
Au lieu de trucs pour bébés et de culottes menstruelles, j’ai commencé à voir des annonces pour des cours de photo et des produits technologiques en lien avec mes centres d’intérêt. Même si la marque de culottes menstruelles Thinx a mené une campagne de pubs incluant les transgenres en s’adressant aux “personnes qui ont leurs règles”, ses campagnes Facebook, elles, ne visent pas la tranche de population à laquelle j’appartiens désormais.
Pour les annonceurs de Facebook, les hommes et les personnes sans genre ont le droit d’avoir des centres d’intérêts et des loisirs. Quant aux femmes, elles doivent se contenter d’avoir leurs règles et des bébés.
Ce sujet peut sembler insignifiant, mais le fait de déverser des pubs hypergenrées sur des cibles comme “les femmes d’un certain âge” heurte la sensibilité des personnes non-binaires, trans ou autres. Ceux qui ne correspondent pas au rôle assigné à un certain genre se souviennent du gouffre entre leur vécu et les normes de la société chaque fois que les algorithmes exploitent des stéréotypes éculés. Les pubs peuvent aussi déclencher des dysphories de genre, ce qui explique en partie pourquoi certaines entreprises ont laissé tomber le rose, le bleu et le mauve pâles, longtemps associés aux emballages des produits menstruels.
Les pubs réductrices de ce genre peuvent aussi s’avérer blessantes pour les femmes cisgenres. Celles qui veulent des enfants sans pouvoir en concevoir, celles qui ont fait une fausse couche, celles qui n’ont pas de conjoint et n’ont pas le désir (ou les moyens) d’en faire seules grâce à la procréation assistée se voient rappeler à chaque pub l’absence de ce qu’elles souhaitent désespérément, et pourraient en conclure que cela fait d’elles des femmes diminuées.
Je n’ai eu aucun mal à sortir de la catégorie du genre féminin, et j’ai obtenu les effets escomptés. J’ai vaincu l’algorithme des annonceurs. Mais la véritable victoire n’adviendra que lorsqu’on aura démantelé pour de bon les publicités genrées. Une fois débarrassée de mon genre, j’ai été perçue par les annonceurs comme un individu doté d’intérêts propres et d’une vie bien remplie en dehors de ma capacité reproductrice. C’est ainsi que nous devrions tous être considérés.
Ce blog, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par M. André pour Fast ForWord.
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