L'avortement à 14 semaines, examiné par le Sénat, divise autour d'une question "technique"

IVG - Douze ou quatorze semaines. Ce mercredi 20 janvier, le Sénat doit examiner une proposition de loi “visant à renforcer le droit à l’avortement”. Ce texte, qui prévoit de rallonger le délai légal d’interruption volontaire de grossesse (IVG)...

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Image d'une affiche représentant Simone Veil prise place de la République à Paris, en mars 2018, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes.

IVG - Douze ou quatorze semaines. Ce mercredi 20 janvier, le Sénat doit examiner une proposition de loi “visant à renforcer le droit à l’avortement”. Ce texte, qui prévoit de rallonger le délai légal d’interruption volontaire de grossesse (IVG) de 12 à 14 semaines, a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en octobre dernier. 

Défendue par Laurence Rossignol, qui est en la rapporteure au Sénat, cette proposition de loi est sensible et divise autant les politiques que les experts de la santé. Cette dernière dit d’ailleurs ne pas se faire d’illusions quant à ses chances d’être adoptée, dans une interview accordée au HuffPost: “La majorité sénatoriale de droite est hostile aux mesures contenues dans la proposition de loi. Le texte a été rejeté en commission et il le sera également dans l’hémicycle mercredi sans qu’on puisse examiner les articles et les amendements. Mais le fait qu’il soit rejeté lui permet de retourner à l’Assemblée pour poursuivre la navette parlementaire.”

À ce titre, le ministre de la Santé Olivier Véran avait estimé en octobre dernier qu’il était prématuré d’allonger ce délai. “Je ne peux en conscience considérer que nous disposons de tous les éléments pour prendre une décision aujourd’hui”, a-t-il souligné à l’Assemblée, dans l’attente de l’avis du Comité consultatif national d’éthique, saisi sur la question.

Marlène Schiappa, ancienne secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, désormais ministre en charge de la Citoyenneté, faisait également savoir son opposition à cette mesure jugeant que “l’urgence” était d’abord d’avoir un meilleur “maillage territorial”.

En décembre, le Comité d’éthique s’est finalement dit favorable à l’allongement de ce délai.

Plus difficile?

Dans ce débat houleux, on retrouve d’un côté celles et ceux qui soutiennent cette mesure afin que les femmes puissent recourir à l’IVG jusqu’à quatorze semaines. Car, régulièrement, certaines ne découvrent que tardivement leur grossesse ou subissent “un retard dans la prise en charge, dû à des difficultés d’accès sur le terrain ou à un retard de diagnostic”, souligne Sarah Durocher, coprésidente du Planning familial, auprès du Monde

De l’autre côté, on retrouve logiquement ceux qui sont contre l’avortement. Mais on y trouve aussi ceux qui arguent que pratiquer un avortement à 14 semaines est un acte plus difficile. C’est notamment la position du président du Collège national des gynécologues et obstétriciens de France (CNGOF), Israël Nisand.

Selon lui, l’IVG n’est pas du tout semblable à douze et quatorze semaines. “Concrètement, à douze semaines, un fœtus mesure 85 millimètres, de la tête aux fesses. À quatorze, il mesure 120 mm et a la tête ossifiée. Ce qui veut dire qu’il faut couper le fœtus en morceaux et écraser sa tête pour le sortir du ventre. On peut donc comprendre que ce soit assez difficile à réaliser pour beaucoup de professionnels”, affirme le chef du service de gynécologie-obstétrique du CHU de Strasbourg dans une interview accordée au Monde

Cloé Guicheteau, qui travaille au Planning familial et au centre IVG du CHU de Rennes, le concède aussi... Mais nuance les propos d’Israël Nisand. Certes, pour elle, “entre douze et quatorze semaines une difficulté technique se fait ressentir”, indique-t-elle, contactée par Slate en juin 2019. Mais, pour les professionnels, le problème se situerait plutôt du côté psychologique que technique. “Pour les professionnels qui pratiquent l’IVG, ce n’est pas rien d’extraire un fœtus à ce terme-là. Heureusement, ils savent qu’ils ne sont pas en train de tuer une vie mais d’en sauver”, affirme-t-elle.

“Nécessité du soin à l’autre”

Interviewée par Le HuffPost, Sophie Gaudu, gynécologue-obstétricienne et responsable de centres d’IVG et de planification familiale, va aussi en ce sens et nuance les difficultés techniques. “Entre 12 et 14 semaines, on ne peut pas dire que ce soit tout à fait pareil”, concède-t-elle, “mais c’est un geste que les professionnels font déjà notamment dans le cadre des interruptions médicales de grossesse.” Selon elle, l’intervention est simplement plus longue d’à peine quelques minutes à réaliser.

Dans une tribune publiée sur L’Obs, intitulée “Il faut allonger les délais de l’IVG!”, signée par un groupe de médecins parmi lesquels Sophie Gaudu, il est affirmé qu’une “IVG chirurgicale à 14 semaines n’est guère plus traumatique ni techniquement difficile qu’à 12. Car oui, il y a dilacération et extraction par fragments même à des termes plus précoces. Nul besoin de souligner les détails de la technique, qui est rigoureusement la même, dans l’espoir d’impressionner et de heurter la sensibilité de nos concitoyens.”

Quant à la difficulté psychologique qu’un tel acte peut représenter pour les soignants, elle voit plus loin: “En médecine, nous faisons des tas de gestes qui peuvent être désagréables, mais ils sont faits dans la nécessité du soin à l’autre.”

De son côté, Martin Winckler, ancien médecin, va même plus loin et parle de “pratique courante”. Par écrit, il explique au HuffPost: “Une IVG à quatorze semaines, ça se fait par une méthode mixte: mifépristone (médicament abortif NDLR) d’abord, puis aspiration. (Et non aspiration seule). Un gynécologue-obstétricien peut être amené à faire une aspiration/évacuation utérine à tout moment d’une grossesse qui s’est interrompue spontanément (mort du fœtus). Ce sont des gestes que les gynéco-obstétriciens ont été formés à faire. Sinon, c’est qu’ils n’ont pas bien été formés”, affirme-t-il.

Pour Laurence Rossignol, les contre-arguments à l’allongement de l’IVG ne “tiennent pas debout”. ’J’ai moi-même auditionné le Collège national et les syndicats de gynécologues et d’obstétriciens, les sages-femmes, etc. Ma conclusion est qu’il n’y a pas de risque supplémentaire lié à l’allongement des délais pour la femme. Cela ne conduira pas non plus à un allongement de la moyenne de recours à l’avortement”, affirme-t-elle auprès du HuffPost.

Autonomie plutôt qu’anatomie

Selon Sophie Gaudu, tout le débat autour de l’allongement du délai s’éloigne en fait du cœur du problème: le droit pour les femmes de décider elles-mêmes. À propos de la position d’Israël Nisand, qu’elle qualifie de “discours anti-IVG”, elle affirme qu’en “replaçant le débat sur l’anatomie, il nie l’autonomie de la femme. La seule question à se poser est: ‘la femme a-t-elle besoin de ce soin-là?’, ’est-ce qu’on lui donne le droit de décider pour elle-même?”.

Un point sur lequel anti et pro allongement du délai de recours à l’IVG semblent se rejoindre: celui selon lequel il existe toujours des difficultés d’accès à l’IVG en France.

En ce sens, Israël Nisand se dit “favorable à ce qu’on fixe un délai d’obtention d’un rendez-vous pour un avortement dans un délai maximum de cinq jours. Cela réduirait considérablement les dépassements”, explique-t-il au Monde. Il concède qu’il faudrait également “considérer les IVG comme une urgence et agir en conséquence. Cela veut dire régler le problème des ressources humaines”. De son côté, Sophie Gaudu avance qu’il “faut ouvrir plus de centres en France”. Après une première matinée à échanger à l’Assemblée ce jeudi, l’article premier permettant d’étendre le délai de recours à l’IVG a été adopté à 102 voix pour contre 65 contre.

À voir également sur Le HuffPost: Clémentine Autain confie son expérience personnelle pour défendre l’allongement de la durée de l’IVG