Le covid-19 est une aubaine pour l'entreprise destructrice du ministre Blanquer
L’exécutif vient de publier au Journal Officiel le 24 décembre 2020, en catimini, au milieu de la période des fêtes de fin d’année, une ordonnance lui permettant de modifier les modalités du baccalauréat 2021 jusqu’à deux semaines avant le...
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L’exécutif vient de publier au Journal Officiel le 24 décembre 2020, en catimini, au milieu de la période des fêtes de fin d’année, une ordonnance lui permettant de modifier les modalités du baccalauréat 2021 jusqu’à deux semaines avant le début des épreuves, en fonction des évolutions de la crise de la covid-19. Cette disposition constitue une illustration supplémentaire autant de l’amateurisme d’un gouvernement navigant sans boussole en ce qui concerne la crise sanitaire que de l’opportuniste du ministre Blanquer pour aller plus loin dans ses réformes détruisant le cadre national républicain du système éducatif.
Car il ne fait pas de doute que Jean-Michel Blanquer poursuit un projet de société qui, s’il n’est pas pleinement assumé comme tel dans la plénitude de son cynisme, recèle une incontestable cohérence pour qui veut en examiner les actes. C’est celui d’une contre-révolution scolaire mortifère actuellement à l’œuvre. Les aspirations profondes de Jean-Michel Blanquer restent encore souvent pour le grand public à l’état d’élucubrations plus ou moins occultes. S’y opposer avec efficacité nécessite de commencer par les dévoiler afin d’appréhender au mieux leur dimension destructrice. Et de se demander en quoi consiste cette part encore inavouée et pour quelles raisons serait-elle encore inavouable en l’état.
Les cours à distance renforcent la pente vers la standardisation des cours, considérés à l’égal d’un produit industriel de grande consommation visant à une large diffusion.
Jusqu’à présent, de manière très générale, les réformes ministérielles ont cristallisé de forts mécontentements et de franches oppositions. Rue de Grenelle, on n’en a eu cure, préférant les passages en force, ruinant de la sorte dans l’œuf toutes les chances d’une école de la confiance, formule dont a été indûment affublée, sans doute avec une ironie calculée, la principale réforme du ministre Blanquer. Acculé dans les cordes, celui-ci tente de mettre à profit les conditions nouvelles engendrées par la crise sanitaire. Et ce quand bien même sa gestion a été particulièrement chaotique, avec une conjonction rarement atteinte de mensonges, de négligences, d’aberrations et, pour couronner le tout, de désaveux cinglants de la part de ses supérieurs hiérarchiques, que ceux-ci logent à l’Élysée ou à Matignon.
À quoi peut bien rêver Jean-Michel Blanquer? La pandémie de la Covid-19, avec le glissement progressif vers un enseignement en distanciel, lui offre des opportunités inespérées. La crise sanitaire a été l’occasion d’une percée de l’école numérique pour se diriger, pour reprendre le jargon inimitable de la maison éducation, vers une hybridation de l’enseignement. Les éventuelles conséquences ne sont pas neutres.
Les cours à distance renforcent la pente vers la standardisation des cours, considérés à l’égal d’un produit industriel de grande consommation visant à une large diffusion. Ils réduisent à la portion congrue l’indispensable médiation pédagogique collective qui constitue la singularité de l’enseignement républicain. Cela s’accompagne d’évaluations formatées, là aussi réalité accentuée par la mode de l’enseignement par compétences dont il importe de décortiquer la dimension idéologique lourde de conséquences. Cette standardisation et ce formatage entrent de surcroît en cohérence avec la baisse des exigences disciplinaires pour les concours de recrutement des enseignants.
De fait, l’ensemble contribue de manière mécanique à un élargissement des missions des enseignants et à une intensification de leurs tâches. Dans cette logique, les cadres inamovibles de la rue de Grenelle auront vite fait de considérer que les professeurs peuvent faire cours à davantage d’élèves, prendre en charge davantage de classes. Et, partant de cette nouvelle réalité, se coltiner un plus grand nombre de copies à corriger, dont le temps supplémentaire serait pris sur celui de préparation des cours (standardisés) et sur celui de la correction, automatisée avec les compétences (même si l’existence d’un hypothétique gain de temps reste à démontrer). Et d’aggraver une dérive actuellement à l’œuvre, à savoir se noyer dans une ”évaluationnite aiguë” particulièrement délétère et destructrice.
Le ministre Blanquer, qui a contribué en tant que Dgesco (directeur général de l’enseignement scolaire) à une grande partie des 80.000 suppressions de postes d’enseignants sous le quinquennat d’airain de Nicolas Sarkozy, ne peut pas ne pas avoir en tête cet effet d’aubaine. Les comptables à la petite semaine de la rue de Grenelle (dans le privé on dirait des cost-killers) n’ignorent pas les gisements considérables d’économies budgétaires qu’une telle gestion recèle. C’est à nouveau ouvrir à plein les vannes de l’austérité, avec les promesses alléchantes de (nouvelles) suppressions de postes.
Les élucubrations du ministre Blanquer sont bien réelles. Elles concourent à l’émergence d’une autre école et d’un autre projet de société. Elles renvoient non seulement à une autre vision du professeur et de la définition de son métier, mais aussi tout simplement à une autre conception de l’élève et même de l’individu.
Ce projet de société vise à favoriser les (quelques) premiers de cordée pour mieux leur assujettir les (nombreux) premiers de corvée. Ces derniers le seront par l’application du triptyque caractéristique de la start-up nation visant à individualiser / responsabiliser / culpabiliser aussi bien les élèves que les familles. À cet égard, ne perdons jamais de vue que l’école et la société relèvent d’ambitions collectives, et non d’un sinistre chacun pour soi généralisé se transformant rapidement en sauve qui peut.
Les élucubrations du ministre Blanquer sont bien réelles. Elles concourent à l’émergence d’une autre école et d’un autre projet de société.
C’est à ce niveau qu’interviennent lesdites compétences pour aggraver la sinistre besogne projetée. Elles sont, en réalité, des simulacres d’aptitudes et des ersatz de savoirs, promouvant une vision bassement minimaliste et étroitement utilitariste. Elles correspondent à des habitus de classe transmis et renforcés plus ou moins inconsciemment. Les idéologues pourront s’évertuer à les présenter avantageusement en supposés talents pour fonder d’éventuels mérites, elles ne peuvent cependant masquer les mécanismes de la reproduction sociale démontés en son temps par Pierre Bourdieu et les rouages d’un capital socio-symbolique discriminant. Les compétences contribuent bien à assujettir les premiers de corvée aux premiers de cordée avec l’instauration d’un darwinisme social et politique dans lequel il convient de s’adapter sous tension permanente et d’être “agile” face à la précarité. Les mutations pédagogiques de l’école peuvent donc s’envisager sous les angles conjoints de la marchandisation et de la morgue oligarchique de classe.
De Claude Allègre à Emmanuel Macron ou Jean-Michel Blanquer, en passant par Nicolas Sarkozy, le projet de société se renforce par sédimentations successives. Il se trouve en adéquation avec les attentes de l’économie. Sa progression bénéficie des conditions nouvelles créées par la pandémie. C’est en cela que résident l’effet d’aubaine et les élucubrations masquées de Blanquer.
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