Le désarroi au cinéma, en sept visages

Qu’est-ce que le désarroi au cinéma ? Ce sentiment troublant a pu s’inviter chez nous avec le confinement soudain, brutal, imposé depuis mars 2020. Cette attente mêlée d’angoisse vers un avenir incertain a pu se manifester chez certains par...

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Qu’est-ce que le désarroi au cinéma ? Ce sentiment troublant a pu s’inviter chez nous avec le confinement soudain, brutal, imposé depuis mars 2020. Cette attente mêlée d’angoisse vers un avenir incertain a pu se manifester chez certains par le désordre intérieur, désarmant. Le cinéma a été un refuge pour parer à cette déferlante obscure. Nous nous sommes donc plongés corps et âmes dans le septième art et avons revus quelques films à cette lumière.

Le désarroi peut surgir au cours d’une simple promenade. Il est la surprise macabre d’un sacré scandale reflété dans un puits sans fond. Si on commence à creuser à nos pieds, se jette à notre visage un gésier de boue de sang et de larmes que l’on voudrait à jamais enfoui. Être en plein désarroi comme dans un lac profond. C’est une descente en eau trouble dans laquelle on s’enlise jusqu’au cou. Lié à une disparition, à la solitude ou à l’abandon, il laisse sa marque dans les corps et sur les visages.

Voici donc sept films, sept regards de cinéma, allant de Vertigo d’Alfred Hitchcock à Midsommar de Ari Aster, en passant par le cinéma russe, qui, selon nous, reflètent cet état allant de la simple indécision à la détresse la plus extrême. Chacun de ces films crée un écho avec ce qui nous a saisi et laissé sans voix au cours de ces derniers mois. Et tous (au-delà de leur éclectisme) tissent étrangement un lien autour du thème de la disparition…

Vertigo (1958) d’Alfred Hitchcock : Le double trouble

Vertigo d’Alfred Hitchcock c’est la solitude d’un homme et celle d’une femme qui se trouvent et semblent se reconnaître d’une vie antérieure. Mais quand il croit la saisir dans ses bras, celle-ci disparaît, le voilà seul à nouveau. Madeleine-Carlotta est une énigme pétrie d’étrangeté. Sa silhouette, auréolée de vert confond en stupeur l’émoi de Scottie, tremblant face à cette troublante beauté surgie du passé. Le trouble a saisi l’homme quelques heures plus tôt, en pleine rue, lorsqu’un visage familier lui a sauté au visage avant de détourner son regard qui se figera plus tard dans la mort. Madeleine est devenue sienne et une autre à la fois, le temps d’une promenade près des arbres millénaires.  « Je suis né quelque part par là. Et je suis morte ici« . Une angoisse agitée de mouvements vains qui pousse monsieur-tout-le-monde à se saisir des vêtements de l’amante envolée pour en vêtir son double retrouvé. Le désarroi c’est le vertige des temporalités. L’œil se retourne dans son globe oculaire pour regarder le passé et ignorer la profonde désespérance face à la disparition de l’être aimé.

Délivrance (1972) de John Boorman : Voyage au bout de l’enfer

Délivrance de l’insurmontable cauchemar qu’est devenue une paisible et amicale descente en canoë. Délivrance de la fin de ce voyage jusqu’au bout de l’Enfer, les mains trempées dans le sang. Le jeune garçon au banjo du village barjo regarde, mutique, la bande des quatre en amont de leur dérive initiatique et qui du haut de cette barrière branlante, les met en garde contre le danger qui se tapis dans l’ombre de la rive dans un seul regard aussi énigmatique qu’impassible. La bascule, c’est ce moment où la silhouette malingre du garçon s’éloigne du champ de vision d’Ed, Lewis, Drew et Bobby, américains du dimanche, embarqués chez les Freaks du fond de la vallée. C’est l’immersion au fil de l’eau dans la bassesse humaine et la haine de l’autre, armé de ses préjugés racistes et de ses bottes boueuses qui rendra les rescapés, écorchés aux bras de leur compagnes.

Picnic at Hanging Rock (1975) de Peter Weir : L’énigme irrésolue

C’est le genre de film qui hante et trouble des années après son visionnage. Picnic at Hanging Rock est entouré d’une aura de mystère éblouissante tout comme cette beauté sortie d’un tableau de Botticelli qui nous tient en haleine. Le second long-métrage de Peter Weir est sorti à une époque où le cinéma australien était quasiment inexistant, en 1975. Picnic At Hanging Rock émerge donc littéralement de nulle part et trouble aussi pour cette raison. La disparition de quatre jeunes filles d’un pensionnat au cours d’un pique-nique sur le volcan Hanging Rock, reste irrésolue. Du rocher émane une atmosphère de magie, comme si un dérèglement à une certaine altitude envoûtait les grimpeuses, guidées par un morceau à la flûte de pan (celle de Gheorghe Zamfir) entre les interstices des parois rocheuses. L’organisation sans faille et puritaine du pensionnat-gynécée est alors bouleversée par le basculement dans la sexualité de ces jeunes filles aux amours saphiques.

Requiem pour un massacre (1985) d’Elem Klimov : Le regard de Glacha

Le film se déroule en 1943, en pleine guerre, en Biélorussie. Fiora est un enfant solitaire qui trouve un jour un fusil dans le sable alors qu’il joue à déterrer des objets laissés par les soldats. Trop jeune pour devenir partisan biélorusse, il déserte le camp et rencontre dans les bois, Glacha, une jeune fille qui semble venir de nulle part. De retour au village natal où il espère retrouver sa mère et sa sœur, Fiora découvre des maisons vides, les habitants se sont volatilisés. Les deux gamins courent alors vers les marais où l’on pense que les deux femmes se sont réfugiées avant l’arrivée des Allemands. C’est Glacha qui tourne la tête et voit le monticule de cadavre. Lorsque ses yeux reviennent vers nous, ils sont pétris d’angoisse, bouleversés par le spectacle horrifique du charnier qu’elle vient de voir, mais pas Fiora. Requiem pour un massacre est le fredonnement désespéré de l’enfance envolée, un visage dans la boue aux portes de l’enfer.

Le sacrifice (1986) d’Andreï Tarkovski : Le monde s’embrase

Un intellectuel se retire dans sa maison de campagne. On annonce la troisième guerre mondiale. Les ruines de la civilisation sont ensevelies par Tarkovski sous l’eau, la terre et le feu. Les restes du monde, de la culture et de la religion se sont évanouis dans un souffle. La joie se retire face à la mort qui s’approche ténébreuse et atomique, assourdissante. C’est le cauchemar éveillé des personnages du Sacrifice, bouleversés par l’annonce du cadeau empoisonné de l’Europe, sur le point de s’embraser. Le désespoir dans le film est gris et chaotique. Les couleurs disparaissent dans la cendre de leur maison. On s’en remet alors à une sorcière, nommée Maria. Elle réconforte les hommes désemparés, dépassés par leurs propres maux, ceux qui ne savent pas se taire. Maria est la bouée de secours dans cet océan de doute et d’inquiétude dans laquelle vient de sombrer la maisonnée. Elle est une guide silencieuse venue des terres arides de l’Islande, l’île du feu. Sacrifice humain dans la boue fumante et les cendres encore humides. Le vieux continent brûle encore, le vieil homme cause toujours de l’éternel retour et l’enfant se tait.

Mystères à Twin Peaks (1990-2017) de David Lynch : Le village de Sarah

Dans la série télévisée réalisée par David Lynch et Mark Frost dans les années 90, puis reprise 25 ans plus tard, le désarroi est partout. Il prend la forme ésotérique de signes cabalistiques et s’immisce dans les secrets intimes d’une fille, inondant petit à petit chacun des habitants de la ville. L’exemple le plus marquant tient dans les 1ères minutes de l’épisode pilote. C’est le visage de Sarah Palmer. Elle a compris, par le silence de son mari à l’autre bout du téléphone, que sa fille Laura n’est plus de son monde. Aucun son ne peut sortir de sa bouche, son visage se crispe dans la douleur et c’est ce cri aussi déchirant que terrifiant qui finit par sortir de ses entrailles, le 1er d’une longue série de cris qui se feront écho jusqu’au déchirement final. Le déclencheur c’est la découverte du corps nu et livide de Laura Palmer, la reine du lycée, retrouvée sur le rivage d’un lac emballée dans un sac plastique. Si la morte reste figée dans une beauté éternelle et énigmatique, les ravages physiques et mentaux provoqués par la tristesse, le deuil et la folie se lisent peu à peu sur les traits des autres. Sarah, métamorphosée, au fil des épisodes, est des années plus tard cette femme recluse, terrifiante par l’absence d’âme dans ses yeux vagues qui continuent à voir le mal partout. Spectateurs·trices de cette folie, nous plongeons nous aussi, dans un bouleversement jamais égalé.

Midsommar (2019) d’Ari Aster : La moue de Dani

C’est un remake à peine voilé de The Wicker Man (1973) de Robin Hardy. Midsommar distille son parfum d’angoisse sous une lumière aveuglante et des couleurs chatoyantes. Après la mort de ses parents et de sa sœur, Dani se retrouve plus seule que jamais, orpheline et embarquée dans un voyage avec celui qu’elle croit (à tort) aimer. Les vacanciers américains venus en anthropologues curieux dans un village suédois, se retrouvent témoins d’étranges rituels païens menés par des autochtones souriants. Plusieurs disparitions alertent, des découvertes macabres confirment le scénario qui se profile pour les jeunes touristes : ils seront les prochaines victimes du sacrifice estival. Dans le film d’Ari Aster, les couronnes de fleurs sont des bouches béantes et des yeux palpitants, comme déformées par un effet hallucinogène. Dani reste seule avec la communauté quasi cannibale qui a fini par l’adopter. La dernière image est cette moue inimitable de la jeune femme entre sourire crispé et angoisse refoulée, acceptation du deuil et dépassement de la douleur.

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